Fondation Gabriel Péri

Michaël Löwy : « Lectures marxistes de la religion (à partir de Gramsci et d’Ernst Bloch) »

, par Equipe de rédaction

Compte-rendu de la rencontre philosophique du 8 février 2007 avec Michaël Löwy.

Marxisme et religion : un fameux chaud-froid

« À bonne distance entre l’historicisme qui efface l’objet de l’histoire et le sociologisme qui l’éternise, Michaël Löwy est, comme l’a présenté Arnaud Spire, un de ces chercheurs en sciences humaines que l’on qualifie sans hésitation de philosophe. De ceux dont les travaux en sociologie sont appelés à avoir un grand retentissement philosophique ». On attendait donc beaucoup de ce directeur de recherche au CNRS sur le thème « Marxisme et religion », invité à l’occasion de la parution de Sociologies et religion. Approches dissidentes (PUF), sorte de suite à Sociologies et religion. Approches classiques.

Incontournable dans ce cadre, la formule « la religion c’est l’opium du peuple » avait été employée bien avant Marx. C’est d’ailleurs surtout Engels qui s’intéressa le premier aux conflits religieux du 16e siècle en termes de luttes de classes (cf. La guerre des paysans). Un peu plus d’un siècle plus tard, Antonio Gramsci, dans un pays majoritairement catholique, l’Italie, ne confond pas la religion et l’Église, organisation ecclésiastique qui est prête à tout pour défendre ses intérêts comme une corporation. Lecteur de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, de Max Weber, Gramsci estime que la Réforme de Luther et Calvin était un vaste mouvement national populaire, une grande réforme morale et intellectuelle, paradigme de toutes les révolutions modernes. Ernst Bloch, qui vit en Allemagne, dans un univers à dominante protestante, est lui aussi passionné par la religion. Il se réfère à Engels et va plus loin : à propos de la guerre des paysans du 16e siècle, il invite à prendre en considération « l’histoire souterraine de la révolution ». S’il s’intéresse aussi à Luther et à Calvin, il fait une lecture de Max Weber opposée à celle de Gramsci. Mais, dans son Principe Espérance, s’il critique l’athéisme bourgeois, il propose de transporter vers l’immanence (le terrain social et politique) le trésor d’espérance de la religion, notamment l’idée communiste (celle du communisme primitif, celle des hérésies du Moyen Âge, celle du communisme monastique de Joachim de Flore, du communisme millénariste et des anabaptistes). L’ouvrage de Ernst Bloch, L’athéisme dans le christianisme, inspiré d’Erich Fromm, boucle sa réflexion sur le traitement marxiste de la religion. Tout comme, plus généralement, il distingue dans le marxisme le courant froid (marxisme comme science matérialiste, analyse impitoyable de la réalité telle qu’elle est, critique et démystification) et le courant chaud (l’utopie, l’espérance). Il faut les deux. Appliqué à la religion : le marxisme doit démystifier et critiquer impitoyablement la religion comme opium du peuple, mystification, idolâtrie, et sauver « l’excédent utopique de la religion », force protestatrice et anticipatrice. Il faut reconstituer l’alliance entre le christianisme et la révolution, telle qu’elle a existé dans la guerre des paysans. Les penseurs fondateurs de la théologie de la libération, en particulier, ont été attentifs à ces paroles. Affaire à suivre donc. En Amérique latine et ailleurs. D’autant que les concepts ont une vie beaucoup plus large que les différentes approches qui les restituent.

Michèle Castillon.