« Depuis 2007, nous vivons une phase de basculement de l’histoire économique du monde. (...) Notre pays doit retrousser les manches », a déclaré Fillon le 7 novembre, en annonçant son 2e plan d’austérité en 3 mois qui doit rapporter 18,6 milliards en deux ans. Appel aux « sacrifices », chantage à la « faillite », le ton est donné pour faire payer l’immense majorité de la population dans le seul but de sauver les profits des plus riches. Mais une chose est sûre, c’est que le gouvernement et les classes possédantes viennent effectivement d’opérer un tournant, qui rend la question de la riposte contre cette politique d’austérité et de régression sociale particulièrement urgente.
Parmi les attaques annoncées, le gouvernement a décidé d’augmenter l’impôt le plus injuste, en faisant passer la TVA de 5,5 % à 7 % sauf pour une courte liste de produits de première nécessité. La mesure doit rapporter 1,8 milliard d’euros et touchera de plein fouet les chômeurs, les retraités, les salariés déjà frappés par les nombreuses augmentations de prix qui se sont multipliées depuis un an.
Le gouvernement annonce aussi l’indexation des prestations sociales (familiales, logement) sur la croissance prévue à 1 % au lieu de l’inflation. Alors que les loyers continuent de flamber, les conséquences d’une telle mesure sont d’autant plus graves qu’elle risque fort d’être un premier pas vers la baisse d’autres prestations sociales comme le minimum vieillesse, le RSA ou les allocations chômage.
Autre provocation, Fillon a décidé d’avancer d’un an la mise en application de l’âge légal de la retraite à 62 ans, obligeant ainsi des centaines de milliers de salariés à travailler entre un et quatre mois de plus par rapport à ce que prévoyait la loi initiale.
Fillon a annoncé également 700 millions d’euros d’économies supplémentaires sur la Sécurité sociale avec un florilège de mesures réactionnaires. La taxe sur les contrats de mutuelle passe ainsi de 3,5 % à 7 %. Même le président de la Mutualité française s’en est scandalisé : « Les inégalités de soins explosent. Cela ne peut plus durer » en rapportant que depuis 2008, le produit de la taxation est passé de 720 millions à 4,3 milliards d’euros ! Les salariés du privé devront subir 4 jours de carence en cas d’arrêt maladie et un jour de carence vient d’être voté par les députés pour les salariés du public. Cette mesure est particulièrement révoltante, en particulier pour les nombreux salariés des petites entreprises où il n’y a pas d’accord de prévoyance et qui seront lourdement frappés en cas d’arrêt maladie. Dans le public où ces systèmes de couverture n’existent pas non plus, le jour de carence se traduira par la perte sèche d’une journée sur la paye, alors que les salaires sont gelés sur 2011 et 2012. Pour en rajouter, Bertrand vient même d’annoncer la mise en place d’une amende en cas d’arrêt maladie jugé « abusif »... par ces cabinets médicaux payés par les employeurs et spécialisés dans la chasse à l’« absentéisme » !
Pour justifier ces sales coups, les propos les plus démagogiques se succèdent, avec au passage les appels du pied à l’électorat du FN. Le zélé Wauquiez a ainsi déclaré : « Quelqu’un qui est en arrêt maladie, il faut qu’il se rende compte : tout ça, ça coûte à la sécurité sociale », opposant « celui qui joue le jeu, qui, quand il est un petit peu malade, fait l’effort d’aller au travail » et celui qui se dit « quand je suis malade, c’est pas grave parce que je suis indemnisé ». Les déclarations nauséabondes contre les fonctionnaires, contre les salariés, dénoncés comme des « fraudeurs » en puissance par ces politiciens corrompus par le fric et baignant dans les affaires, sont d’autant plus révoltantes lorsque l’on connait la réalité de la dégradation des conditions de travail dans les entreprises.
Le ton est donné par Sarkozy lui-même qui est monté au créneau contre la « fraude sociale » à Bordeaux le 15 novembre : « Oui, frauder la Sécurité Sociale, c’est voler. C’est voler chacun et chacune d’entre nous, chacun et chacune d’entre vous. [...] Nous devons être sans indulgence contre les tricheurs et les fraudeurs »... alors que l’Urssaf peine aujourd’hui à récupérer 185 millions d’euros aux patrons sur les 6 à 12 milliards de fraude que représenterait le travail dissimulé. Sans parler des nombreux accidents du travail et maladies professionnelles non déclarés comme tels par les salariés sous la pression de leurs employeurs. Cela coûte chaque année entre 600 millions et 1,1 milliard d’euros à la caisse d’assurance maladie qui doit ainsi payer à la place de la branche de la Sécu financée par le patronat.
Ces discours populistes ne visent qu’à masquer la politique de cadeaux aux entreprises menée depuis des années par les gouvernements successifs. Les exonérations de cotisations patronales atteignent aujourd’hui des records : près de 21 milliards d’euros pour les allègements Fillon sur les bas salaires et 3 milliards au titre des seules exonérations sur les heures supplémentaires déclarées ! Voilà où est la fraude et le vol contre l’ensemble des salariés !
Mais les financiers, les patrons en veulent encore plus, à l’image de PSA qui vient d’annoncer 6 000 suppressions d’emplois et le licenciement de 800 intérimaires alors que le groupe dispose de 11 milliards de liquidité et vient de distribuer 200 millions d’€ de dividendes aux actionnaires. Sarkozy le dit : « le coût élevé du travail dans notre pays pénalise notre économie »... c’est bien au monde du travail que les classes dominantes veulent s’attaquer frontalement !
Face à cette campagne de mesures antisociales et de déclarations réactionnaires, les sentiments des travailleurs se retrouvent partagés entre incrédulité, impuissance et révolte. Le chantage à la crise et à la « faillite » pour faire accepter les sacrifices ne passe pas. Beaucoup voient bien que toute cette politique est destinée à protéger les intérêts des plus riches. Mais en même temps, une question se pose : pourquoi aucune réaction des syndicats ? D’autant que déjà, à droite comme dans les milieux patronaux, des voix se font entendre pour aller encore plus loin.
Effectivement, les directions des grandes centrales syndicales se positionnent davantage dans l’attente des élections présidentielles de 2012 que dans la riposte aux sales coups du gouvernement. Une intersyndicale se tient ce 18 novembre avec en perspective, une journée d’action en décembre. Thibault a évoqué « une journée de mobilisation interprofessionnelle » sans parler de grève, mais Grignard de la CFDT annonce déjà la couleur : « Une journée de grève, c’est hors de portée »... C’est dire la volonté d’engager la bataille contre le gouvernement !
Mais le fond du problème demeure la politique du « dialogue social » dans laquelle se moulent les directions syndicales depuis des années… pendant que le camp adverse compte passer à un tout autre braquet dans ses attaques.
Quand le « dialogue social » mène à l’union sacrée
Lors du G20 à Cannes, Parisot et la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI) ont ainsi présenté une déclaration commune du Labour 20 (L20) et du Business 20 (B20), patrons et syndicats main dans la main ! Cette première déclaration commune, directement parrainée par Parisot, Chérèque et Mailly, est tout un programme : « Il est nécessaire et urgent que les gouvernements et les partenaires sociaux entreprennent des efforts afin de créer des emplois stables, parmi lesquels des apprentissages et des stages qui, couplés à des offres de formation, permettront l’acquisition de qualifications, de renforcer les compétences professionnelles et d’améliorer le degré d’employabilité »... Un vrai discours de patron !
Mailly s’est félicité : « c’est la première fois qu’une déclaration commune des patronats et des syndicats parle de socle de protection sociale »... Mais pour les patrons, ce fameux socle « ne doit pas entraver le fonctionnement du marché du travail, mais répondre aux besoins des entreprises et favoriser la mobilité des salariés partout dans le monde par des formes de travail flexibles » !
Mais bien plus important, le véritable intérêt de cette « union sacrée » pour les patrons et les Etats était d’apporter du crédit et donc un soutien à la politique décidée par ce G20, qui s’est terminé par la validation des plans d’austérité dans une série de pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne...
La CGT a refusé de se prêter à cette initiative, mais sans en faire de publicité puisque la réponse de Thibault à la CSI est restée confidentielle : « Il me paraît inopportun, au regard de la crise actuelle et de la situation à laquelle sont confrontées les organisations syndicales dans nombre de pays, de laisser entendre qu’il y aurait une vision partagée entre syndicats de salariés et patronaux sur les principaux facteurs qui permettraient une sortie de crise durable ».
Il est clair qu’il n’y a pas de « diagnostic partagé » avec les classes dirigeantes. Les financiers et les grands groupes industriels ne sont pas deux mondes différents, ils sont la même classe capitaliste qui mène la même offensive contre les travailleurs à l’image de PSA aujourd’hui.
Mais si la CGT s’est désolidarisée du L20, elle vient par contre de voter, avec toutes les autres confédérations, l’avis du Conseil économique social et environnemental intitulé « la compétitivité, enjeu d’un nouveau modèle de développement », sous prétexte « qu’il n’a pas défini la compétitivité comme la capacité des entreprises à abaisser le coût du travail » mais comme celle d’une nation « à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité »... Comme si cela allait changer un tant soit peu la politique du patronat dans sa guerre au « coût du travail » ! Le seul objectif de cette mascarade des « partenaires sociaux » est de maintenir ce « dialogue social » de dupe, pour tenter de paralyser et de contenir la révolte qui s’accumule au sein du monde du travail.
Bien au contraire, l’urgence est de dénoncer la politique menée par les classes dirigeantes, en particulier sur la question de la dette. Il ne peut y avoir de lutte sérieuse contre le plan d’austérité sans oser contester cette politique qui consiste à renflouer à fonds perdus le système financier, les banques, sur le dos des classes populaires. Cela passe par la contestation de la légitimité de la dette et par l’exigence de son annulation.
Le fond de la crise ne se réduit pas au poids considérable des agences de notation sur la politique des gouvernements. Celui-ci n’est que la conséquence de toute une politique de privatisation du crédit menée depuis des années et qui fait qu’aujourd’hui, les Etats ne peuvent se financer que sur ces marchés qui spéculent à tour de bras. C’est à ce parasitisme qu’il faut s’attaquer, à la racine.
Dans les 10 propositions de la CGT en réponse à la crise, celle-ci réclame la création d’un pôle public pour établir un mécanisme de crédit à taux réduit. Mais comment imaginer un tel système sans la remise en cause du pouvoir actuel des banques ? Comment un tel pôle public pourrait exister à côté du système financier actuel, qui pompe une part toujours grandissante des richesses produites ? De même, sur la question de la dette qui se creuse par le mécanisme des intérêts usuriers, rien n’est dit sur l’illégitimité de celle-ci.
Au niveau syndical, seul Solidaires dit clairement « dette, austérité, ce n’est pas à nous de payer ! », en appelant à construire le rapport de force comme en Grèce. Pour l’argumenter, Solidaires pointent les très nombreux cadeaux fiscaux faits aux patrons depuis des années. C’est certes vrai, mais le creusement de la dette vient aujourd’hui essentiellement des intérêts qui s’emballent, atteignant maintenant l’équivalent du budget de l’Education nationale. C’est bien pourquoi la question de son annulation pure et simple devient essentielle.
Unir toutes les forces du monde du travail, les forces syndicales, politiques
Face au tournant de la situation, il y a urgence à faire de la contre-propagande face au pouvoir qui multiplie son offensive, à convaincre les salariés de la légitimité de leurs exigences, à se dégager des culpabilisations, à regrouper politiquement les travailleurs et les classes populaires dans le refus de l’austérité. Les choses se jouent maintenant, d’autant plus que Hollande se positionne lui aussi dans l’objectif de nous faire payer cette dette illégitime.
Lors de son dernier CCN, la CGT s’est revendiquée de l’appel pour un audit citoyen en déclarant : « La CGT figure parmi les premiers signataires de cet appel aux côtés d’organisations syndicales et d’associations rassemblées au sein d’un collectif national », mais la question de la participation des partis en tant que tels reste problématique. Ainsi, la CGT a décliné l’invitation du NPA à une rencontre unitaire sur la question de la riposte au plan Fillon. De même, Thibault a répondu à une proposition de Didier Le Reste pour le Front de Gauche en déclarant : « On n’a pas besoin de se voir donner des leçons de stratégie syndicale ».
Mais il y a au contraire urgence à unir toutes les forces du monde du travail vu l’ampleur de la crise et de l’offensive. Et puis, comment peut-on envisager sérieusement la lutte contre l’austérité sans regrouper question sociale et politique ? L’exemple de la Grèce, en pleine tempête politique avec un gouvernement allant des socialistes à l’extrême-droite, illustre à quel point les luttes doivent poser la question du pouvoir, en osant contester le droit à diriger des puissants et de ces politiciens corrompus au service de la finance.
Comme lors de la contre-réforme des retraites, la lutte contre le plan d’austérité Sarkozy-Fillon pose le problème de l’affrontement avec le gouvernement, sans en craindre les conséquences politiques. Les classes possédantes n’en laissent pas le choix. L’issue à la crise ne peut partir que des mobilisations du monde du travail, des jeunes, des indignés, posant le problème du pouvoir et de la démocratie.
Nous devons impulser le débat partout, dans les équipes syndicales, les entreprises, les quartiers, se saisir des cadres unitaires pour discuter des exigences des classes populaires face à la situation. L’urgence est d’abord de ne plus payer pour les intérêts spéculatifs de la dette publique, d’exiger son annulation. Face au parasitisme des marchés financiers qui ont pris une ampleur telle que les Etats eux-mêmes ne maitrisent plus la situation, il faut mettre à l’ordre du jour la nationalisation des banques sans indemnités ni rachat, sous le contrôle des salariés qui y travaillent et de la population.
Face au tournant qui s’opère dans le camp d’en face, il y a urgence à regrouper les forces, à s’organiser dans des cadres larges et démocratiques regroupant des militants syndicaux, politiques, associatifs, des travailleurs qui ne veulent pas se soumettre au chantage du gouvernement. C’est le seul moyen de passer par-dessus la routine des appareils qui se refusent à voir la réalité en face. La tâche est au contraire de préparer l’affrontement face à l’austérité, car il n’y a pas d’autre issue possible pour mettre un coup d’arrêt à la régression sociale.