La Chine dans le monde : quelques repères historiques

, par ROUSSET Pierre

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1. La Chine est souvent appelée « l’Empire du Milieu ». Cela exprime la situation de la Chine classique dans son monde, avant l’arrivée des impérialismes européens : un centre de civilisation (de culture notamment confucéenne) qui fut en son temps un pays « avancé » et un État précocement centralisé entretenant des relations d’autorité avec les Etats environnants : Vietnam (occupé mille ans !), Tibet, Corée, Japon... Signe du rayonnement chinois, ce dernier pays, bien qu’appartement à une autre ligne de développement historique (de type plus « féodal »), de culture (notamment) shintoïste, adopte l’écriture chinoise (alors que la structure de sa langue est radicalement différente du chinois).

2. Pour la Chine impériale, les pays lointains (occidentaux) étaient « barbares ». Le choc n’en fut que plus grand quand elle fut confrontée, au XIXe siècle à l’arrogance culturelle et la puissance technico-militaire des impérialismes européens. Le nationalisme chinois est né en réaction. Dès le XIXe siècle, il a pris de nombreuses formes : nationalisme antimandchou (ce sont les envahisseurs mandchous venus du nord qui ont fondé en 1644 la dynastie moderne en se « sinisant ») avec des traits modernistes et populaires de la révolte des Taïping, nationalisme élitiste des mandarins réformateurs, nationalisme xénophobe des Boxers... Un nationalisme révolutionnaire, anti-impérialiste, prend une nouvelle forme après la Première Guerre mondiale et la Révolution russe au sein d’une mince intelligentsia urbaine, dans le Mouvement du 4 Mai 1919. Avec de nombreuses nuances, il combine un rejet radical du confucianisme, une ouverture à la pensée occidentale (Lumières, marxisme...) et une vigoureuse défense de l’identité chinoise contre les prétentions universalistes de l’Occident conquérant. Il représente l’une des ingrédients initiaux du Parti communiste chinois (PCC), fondé en 1921. Notons que dans les années trente, l’orthodoxie communiste reconnaît le droit d’autodétermination des populations non-Hans (ethnie majoritaire) que sont les Tibétains, Ouïgours (musulmans), etc.

3. Le Japon impérial a envahi la Chine d’abord progressivement, puis en engageant une guerre globale en 1937 (c’est le début en Asie de la Seconde Guerre mondiale). La révolution chinoise est un conflit complexe, car triangulaire : face aux Japonais, les forces du Guomindang (parti dominant bourgeois) et du PCC (l’Armée rouge) s’allient et se combattent simultanément. La question nationale et l’opposition de deux nationalismes antagoniques sont, comme la question sociale, au coeur de la guerre de défense nationale et de la guerre civile chinoise. Pour les communistes chinois, il y a identification étroite entre le combat national pour sauver la nation de la domination impérialiste et le combat social pour sauver les pauvres de l’exploitation et de l’oppression.

4. Le PCC sous direction maoïste s’est adossé au « camp socialiste » sous direction moscoutaire (stalinienne) tout en imposant son autonomie de décision, après les désastres de 1927-1934. Les relations entre Moscou et Pékin restaient à définir après la victoire de 1949. La guerre de Corée (1950-1953) tranche bien des questions. La direction maoïste sait qu’elle est la cible de l’impérialisme étatsunien et ne rompt donc pas encore l’alliance avec l’URSS. Mais elle a dû s’engager dans une guerre qu’elle n’avait pas voulut, en payant pour cela un prix excessivement lourd et sans recevoir de Moscou toute l’aide promise. Le fait que Moscou négocie plus tard un traité nucléaire avec les États-Unis en excluant la Chine, porte le coup de grâce aux relations entre les pays. La défiance réciproque entre les deux partis devient un antagonisme direct. La définition d’une « voie chinoise » de la révolution avait été au coeur des débats dans la gauche dès le Mouvement du 4 Mai. Elle le reste. La Chine maoïste se perçoit à nouveau « au centre » de développements internationaux qui vont du Mouvement des non-alignés dans les années cinquante à la « zones des tempêtes » de ce que l’on a appelé la « révolution coloniale » dans les années soixante. Plus directement, elle se perçoit toujours an « centre » de son espace régional. Elle revendique la quasi-totalité de la Mer de Chine du Sud y compris et en premier lieu contre les communistes vietnamiens.

5. Ce nationalisme de puissance prend un nouveau contenu avec le rapprochement sino-américain engagé en 1971 (en pleine guerre d’Indochine) lors du voyage de Nixon (président des Etats-Unis) à Pékin ­et avec l’entrée de la République populaire à l’ONU en lieu et place de Taiwan. L’URSS est devenu « l’ennemi principal ». Le Vietnam reçoit une « leçon » (la guerre de 1978-1979). Durant cette période, les préoccupations chinoises sont avant tout géostratégiques et, à l’ONU, défensives. L’Asie orientale reste en effet une zone instable de conflits : Corée, Taiwan, poursuite de mouvements révolutionnaires en Asie du Sud-Est, tensions à la frontière sino-soviétique...

6. Avec le développement capitaliste en Chine, à partir des années 1990s surtout, la politique internationale de la Chine prend une autre dimension. Hier, l’importance de la périphérie non-Han tenait à des questions culturalo-nationalistes et géostratégiques. Dorénavant, un mouvement de « colonisation » est engagé, avec l’établissement d’un nombre croissant de Hans, et de mise en valeur économique (pour lequel des multinationales montrent de l’intérêt). La Chine exporte dorénavant ses capitaux au point de devenir le premier investisseur étranger (Birmanie) ou de susciter des résistances populaires virulentes de la part de mouvements de gauche anciennement maoïstes (Philippines). Elle occupe une place économique particulièrement importante en Afrique, car, libre de tout passé impérial dans ce continent, elle peut « faire de l’économie » sans « faire de la politique ». Pour le régime et le nationalisme chinois d’aujourd’hui, la Chine doit être « puissante et riche » et l’histoire doit reprendre son cours « normal » : après une trop longue parenthèse historique où l’Europe puis les Etats-Unis sont devenus le centre du monde, le « pays du milieu » doit retrouver sa place. Pékin postule dorénavant à jouer un rôle plus actif sur la scène mondiale. D’où le sens donné à l’organisation des Jeux olympiques cette année et la participation à la cérémonie d’ouverture d’un nombre sans précédent de chefs d’Etat. Les réactions à l’écrasement de la révolte tibétaine illustre toute l’ambivalence des rapports nippo-occidentaux avec la nouvelle Chine capitaliste.

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