Tout le monde sait qu’en matière de rapport de forces politique, une décision de justice a peu de poids. Pour autant, toutes ne sont pas négligeables. Ainsi, lorsqu’en 1994, fut promulguée la loi Neiertz instituant le « délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse », la CADAC comme tous les défenseurs du droit a l’avortement l’a saluée comme une victoire. Elle permit en effet que soient enfin poursuivis devant les tribunaux les membres des commandos antiavortement qui avaient bloqué le fonctionnement de centres d’IVG à Paris, en banlieue et dans de nombreuses villes de province. Certes, les decisions des tribunaux furent très variables (de la relaxe pure et simple à Paris en juillet 1995 ou en mars 1996 en appel, à Versailles), mais à chaque fois, les procès ont donné lieu à une mobilisation locale unitaire contre les commandos et en défense du droit à l’avortement...
Cette dynamique, enclenchée à l’occasion des procès, s’approfondit et déboucha sur la grande manifestation unitaire de novembre 1995 pour le droit à l’avortement et contre l’ordre moral. Le rapport de forces créé par les 40 000 femmes et hommes descendu(e)s dans la rue ce jour là a marqué un coup d’arrêt provisoire à l’offensive des intégristes et de l’extrême-droite.
Des juges à la rescousse des féministes
D’une certaine manière, le rejet par la cour de cassation, le 27 novembre 1996, des pourvois déposés par 17 membres de commandos anti-avortement (parmi lesquels le fameux Xavier Dor condamné à de la prison ferme), enregistre à posteriori cette modification favorable du rapport de forces.
Pour comprendre la portée des trois arrêts de la cour de cassation, il faut se rappeler les arguments des commandos intégristes pour légitimer leur action :
Le foetus est une personne, est un enfant, et donc comme tout être himain a droit à la vie et à la protection. Dans ce contexte, les avortements doivent être considérés comme un genocide et tous les moyens, même légaux, sont légitimes pour empêcher un tel crime !
Pour spécieux qu’ils soient, ces arguments avaient été cautionnés par le tribunal correctionnel de Paris qui avait relaxé en juillet 1995 le commando qui avait bloqué le centre d’IVG de l’hôpital de la Pitié Salpétrière. De ce point de vue, la décision de la cour de cassation interdit dorénavant aux magistrats de faire valoir l’ambiguité de la loi Veil sur le statut de l’embryon pour contester le droit à l’avortement. En effet, même si la cour ne peut statuer sur le fond et par exemple, dire clairement que le foetus ne peut être assimilé à un enfant déjà né, c’est-à-dire dire une personne, elle a en revanche affirmé que les dispositions de la loi Veil n’étaient en contradiction ni avec l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme (le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi) ni avec l’article 6 de la convention à la vie. Par ailleurs, elle a confirmé que « l’état de nécessité » ne pouvait être invoqué « pour justifier le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse ». Enfin, les juges ont reconnu au MFPF et à l’UFF le droit de se constituer partie civile que leur déniaient les membres des commandos.
Aux USA, des bombes pour tuer
Cette victoire incontestable ne peut évidement nous combler à l’heure où le FN vient de gagner la mairie de Vitrolles. Par ailleurs, il suffit d’ouvrir les yeux sur ce qui ce passe aux USA, pour savoir que les commandos anti-avortement peuvent radicaliser leur action et ne plus se contenter d’entraver passivement le fonctionnement de services d’IVG. En janvier dernier par exemple, trois bombes ont explosé à la veille de la marche pro-life du 22 janvier qui comme chaque année a réclamé que le droit à l’avortement ne soit plus protégé par la Constitution ; deux bombes visaient des cliniques pratiquant des avortements à Atlanta (Georgie) et à Tulsa (Oklahoma) ; la troisième a frappé le centre de Washington. Certes, la fermeté de Clinton à cette occasion est réconfortante mais cela suffira-t-il à empêcher de nouveaux meurtres de médecins ou de travailleurs sociaux ? Rien n’est moms sûr. Aux USA par exemple, cinq membres du personnel medical ont ainsi été délibérément liquidés ces dernières années et en 1996 on a enregistré pas moins de trente actions violentes contre des cliniques !
En France même, les adversaires de l’avortement ont plus d’un tour dans leur sac. Ils utilisent déjà d’autres arguments juridiques. Ainsi, devant la cour d’appel de Chambéry, ils ont justifié leur action contre l’hôpital d’Annecy par le fait que les brochures distribuées aux femmes n’avaient pas été actualisées depuis 1993 ! Et l’argument a été accepté par le tribunal ! Parallélement, ils continuent leur action au plan parlementaire. Comme chaque année, ils ont déposé une proposition de loi visant à supprimer le remboursement de l’IVG et, ce qui est nouveau, une autre proposition de loi « visant à étendre à l’échelle nationale l’existence de centres d’accueil des femmes en détresse » pour dissuader les femmes d’avorter...
Comme on le voit, ce n’est pas le moment de relâcher notre vigilance !
C.B.