Le débat sur la parité, dans ses derniers développements, en a surpris plus d’un. Le 20 janvier dernier, la majorité du Sénat s’opposait au compromis laborieusement établi entre Chirac et Jospin, entre la droite et la gauche plurielle, sur un amendement de l’article 3 de la Constitution prévoyant que « la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Cet amendement avait été voté le 15 décembre à l’unanimité des député(e)s. Au nom de la défense des principes universels qui régissent la Constitution, les sénateurs ont renvoyé aux partis politiques la responsabilité de favoriser la parité. Le texte doit revenir en seconde lecture devant l’Assemblée le 16 février. Entre temps, le débat a rebondi dans les journaux
Dans Libération, le 4 février, Gisèle Halimi a fustigé la « misogynie qui siège au Sénat ». Dans Le Monde, après la mise en cause, le 6 février, par Sylviane Agacinski de l’« effacement des sexes » par le principe d’universalité, Evelyne Pisier a dénoncé avec brio, le 11 février, « l’enfermement des sexes » dans le principe de parité. L’Express, toujours le 11 février, a publié une déclaration contre la parité dans la loi, signée de 3 intellectuelles (Elisabeth Badinter, Evelyne Pisier, Danièle Sallenave). Le Monde des 14 et 15 février a fait sa « une » sur « Chirac-Jospin : l’enjeu de la parité » et a donné la parole à Robert Badinter, en faveur d’un financement des partis subordonné à leur bonne volonté en matière de parité.
Marchandages
Les paritaristes ont gagné un premier pari : celui d’avoir contraint l’ensemble des partis à reconnaître le scandale de la sous-représentation des femmes dans les assemblées élues. Mais ce premier constat ne doit pas masquer la réalité des faits ; la question de l’égalité des femmes et des hommes est totalement instrumentalisée. Plus personne n’a en tête le débat de fond : comment favoriser la participation à la vie politique non pas d’une petite « élite » féminine mais d’une grande partie de la population féminine ? Cet enjeu est escamoté au profit de marchandages entre le PS et la droite, dans le cadre de la cohabitation.
Les sénateurs font pression sur l’Assemblée nationale pour être sûr que la question du cumul des mandats est bien enterrée, qu’il n’y aura pas d’extension du scrutin proportionnel, que l’élection du Sénat au scrutin indirect ne sera pas remise en cause. Toutes choses qui pourtant introduiraient plus de démocratie dans les institutions et favoriseraient sans aucun doute la féminisation des assemblées. De ce point de vue, le Sénat est foncièrement réactionnaire et mérite d’être remplacée par une autre assemblée. Nous y reviendrons. Quant au PS, le souci est avant tout électoraliste. Si ce n’était pas le cas, il se serait battu avec courage pour une loi sur les 35 heures qui interdise notamment l’annualisation des horaires et la remise en cause de la réglementation des conditions de travail. Il interdirait également les embauches à temps partiel qui transforment, souvent malgré elles, des millions de femmes en travailleuses pauvres qui viennent rejoindre tous ceux qui, à un titre ou à un autre, tâchent de survivre avec les minima sociaux.
Car on le sait bien, le premier obstacle à la participation des femmes mais également des autres exclus de la vie politique, c’est soit le manque de temps, la fatigue, soit l’absence d’espoir et le sentiment de n’avoir prise sur rien. Or les femmes souffrent d’un manque de temps chronique parce que la plupart des hommes ne partagent toujours pas à égalité les soins du ménage ou la responsabilité des enfants, et aussi du fait de la rareté criante des crèches comme des équipements sociaux.
Le rôle de l’État
Il faut noter, par ailleurs, le changement de formulation entre le premier projet gouvernemental de juin1998 et la proposition soumise en décembre au vote de l’Assemblée nationale. Il s’agissait, en juin, d’inscrire dans la Constitution l’idée selon laquelle « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ». Une formule vague, certes, mais qui avait un double mérite : celui de ne pas inscrire le principe de parité dans la Constitution tout en permettant des mesures d’action positive destinées à compenser de façon volontariste les discriminations subies par les femmes au fil de l’histoire et ce non seulement dans le domaine électoral, mais aussi dans d’autres secteurs comme l’école, le travail, etc. En ce sens, cette formule ne nous aurait pas choquées (voir à ce sujet Rouge du 25 juin 1998). Mais, sous la pression des paritaristes, elle a été rendue plus contraignante en s’attachant à rendre obligatoire, par la loi, la parité des candidatures électorales pour les scrutins de listes.
Résolument pour la mixité dans la vie politique, nous sommes pour que les partis, sous la pression de la mobilisation des femmes, présentent en position éligible, de leur propre initiative, autant de femmes que d’hommes sur les listes électorales ; mais nous restons hostiles à l’intervention de l’État dans les options programmatiques des partis. Si un parti refuse ou s’avère incapable de présenter un nombre égal de candidates et de candidats, aux électrices (voire aux électeurs) de le sanctionner. De même, face au blocage des partis en matière de mixité, des femmes peuvent très bien choisir de présenter une liste non mixte à des élections. On peut être d’accord ou non avec une telle perspective, mais rien ne devrait empêcher des femmes de faire ce choix, surtout pas l’État.
Plus fondamentalement encore, nous avons expliqué pourquoi nous étions contre l’inscription de la parité dans la Constitution. Pour légitimer le principe de parité, certaines ont mis en avant le caractère duel de l’humanité. Cette dernière se partageant en deux sexes, cette « différence » devrait être inscrite dans la Constitution c’est dire qu’hommes et femmes sexuellement différentes ont nécessairement 2 visions du monde, différentes et homogènes. Ce qui est faux pour 2 raisons : d’une part, la vie politique ne relève pas de l’ordre de la nature mais de l’ordre social ; d’autre part, les appartenances de sexe croisent d’autres appartenances qui peuvent peser plus lourdement à certaines étapes de la vie des individu(e)s dans la définition de leur identité, elle-même multiple et évolutive. Par exemple, une jeune femme dont les parents sont immigrés se sentira probablement plus proche, bien que de sexe différent, de ses copains de cité, victimes eux aussi du racisme, que de Christine Boutin.
Ce qui nous fait dire que l’humanité n’est pas duelle mais multiple. C’est précisément cette multiplicité qui rend nécessaire la reconnaissance de droits universels pour tous et toutes, indépendamment des caractéristiques personnelles de chacune et de chacun, même si cela ne suffit pas à garantir l’égalité concrète. Marx l’a, soit dit en passant, analysé depuis longtemps.
De ces inégalités concrètes indiscutables entre les femmes et les hommes, les paritaristes en déduisent la nécessité d’inscrire la parité dans la Constitution, refusant obstinément de prendre en considération, au-delà des discriminations de sexe (ou plutôt de genre), celles liées aux origines sociales ou ethniques, aux orientations sexuelles, etc., des individu(e)s.
Les moyens mis en œuvre pour combattre les discriminations de genre ne doivent pas relever d’une exception mais doivent pouvoir être étendus à la lutte contre d’autres formes de discrimination. Toute autre logique risque fort de se transformer en potion amère pour les femmes quand, au nom de la « différence », certains prétendront (et c’est déjà le cas) les inciter à quitter leur travail pour se consacrer totalement à l’éducation de leurs enfants, plutôt que de garantir aux hommes et aux femmes un travail, ainsi que du temps pour leur famille, pour les loisirs, pour les engagements associatifs.
C’est pourquoi, plutôt que d’inscrire la parité dans la Constitution, on pourrait proposer de remplacer le Sénat, assemblée de notables élue de manière non démocratique, par une « chambre pour l’égalité », composée des représentant(e)s des groupes sociaux victimes de discrimination, de leur donner ainsi une tribune d’où ils pourraient interpeller l’Assemblée nationale sur son action et faire des propositions. (L’Assemblée restant l’expression de la volonté collective, à condition bien sûr que son élection soit elle-même démocratisée). Cette proposition mériterait d’être discutée et précisée, nous en sommes conscientes. Et elle n’a de sens que si elle s’inscrit dans un plan d’ensemble de lutte contre les inégalités sociales et politiques, grâce à un plan d’urgence pour garantir aux individu(e)s et aux femmes notamment le droit au travail et à l’indépendance financière, pour offrir des équipements sociaux de qualité permettant d’accueillir les jeunes enfants comme les personnes âgées dans de bonnes conditions. Ce qui exige également une modification en profondeur des institutions de la Ve République.