La question corse

, par DRICI Franck

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Souvent présent en bonne place dans l’actualité journalistique, le nationalisme corse a suscité assez peu d’analyses politiques approfondies. Cela donne un intérêt particulier à l’étude que Xavier Crettiez, un universitaire spécialiste des conflits séparatistes européens, a consacrée à la « question corse ».

  • Xavier Crettiez, La question corse, Paris, Éditions Complexe, 1999, 261 p.

La question corse

Discrimations économiques

L’auteur retrace sans préjugés la genèse du mouvement nationaliste corse au cours des années 60, période qui voit s’installer définitivement dans l’île de riches colons tout juste rapatriés d’Algérie ; qui bénéficient de financements et de concessions de terre refusés aux agriculteurs locaux. S’ajoutent des phénomènes spécifiques d’oppression et d’aliénation dont la Corse souffre au même titre que d’autres régions périphériques au sein de l’ensemble français : retard économique sur le reste du pays avec son cortège de chômage pour les jeunes et de frustrations individuelles pour tous, ignorance des spécificités locales par une législation et une administration conçues en fonction des situations qui se rencontrent en moyenne dans l’ensemble du pays, indifférence officielle allant jusqu’à la répression à l’égard de l’identité culturelle et de la langue locales etc...

Répression policière, action violente

Cette situation n’alimente qu’une contestation régionaliste assez paisible jusqu’au 22 août 1975 où, en réaction à l’occupation de la cave d’un important viticulteur par un groupe de militants autonomistes sous la conduite du docteur Edmond Simeoni, un certain Jacques Chirac, déjà au pouvoir en tant que Premier ministre, déclenche l’assaut des « forces de l’ordre ». Bilan : trois morts et le passage d’un grand nombre de militants corses à la l’action violente et à la revendication indépendantiste.

À l’Armée Révolutionnaire Corse, autonomiste, succède le Front de Libération Nationale Corse (FLNC), au recrutement plus populaire, car regroupant, dit l’auteur « les laissés pour compte » d’une « modernisation » effectuée principalement au bénéfice de grands intérêts capitalistes continentaux.

En pratique les militants du FLNC se distinguent de leurs devanciers par le recours à des méthodes violentes qui seront utilisées durablement et largement puisque de 1975 à 1997, l’île aura connu environ 8 000 attentats à l’explosif, soit un par jour en moyenne. Xavier Crettiez a bien perçu le caractère original de cette lutte armée qu’il reconnaît comme « mesurée » car rarement meurtrière et visant essentiellement des cibles matérielles ; l’assassinat du Préfet Érignac étant une action d’un type exceptionnel.

L’auteur souligne que cette violence n’a pu se perpétuer qu’en raison de cette modération, et parce qu’elle a su cibler ses objectifs de manière à s’assurer de nombreuses complicités, au moins passives. L’auteur n’en tire toutefois pas la conclusion politique qui semble en découler. Les nationalistes sont porteurs d’aspirations largement partagées par la population dont ils sont entourés.

La voie indépendantiste

Le mouvement nationaliste entretient un rapport également ambigu avec les forces politiques traditionnelles corses, organisées dans les célèbres « clans », peu soucieux d’idéologie, et qui remplissent à l’égard de la population une double fonction de protection et de contrôle politique.

Les nationalistes dénoncent ces manipulations, et se voient à leur tour accusés par les chefs de clans de dérives maffieuses qui paraissent malgré tout moins graves que celles des tenants de l’ordre établi. Peut-être, traduisent-elles surtout l’impossibilité de mener dans le contexte local une action politique efficace, sans utiliser, au moins dans une certaine mesure, des méthodes claniques.

Ces compromissions nuisent toutefois à la cause nationaliste également affaiblie par les divisions internes du courant nationaliste qui conduisent à un morcellement croissant entre de multiples organisations plus ou moins clandestines. Le climat et les habitudes créées par la lutte armée rendent ces affrontements internes souvent sanglants, au point d’être à l’origine de plus grand nombre des meurtres attribués aux militants nationalistes.

Xavier Crettiez, sans l’affirmer trop clairement, admet, qu’en dépit de ces faiblesses, le mouvement nationaliste a su imposer ses thèmes dans le débat politique. Alternant négociations plus ou moins officielles et mesures de répression largement inefficaces, le pouvoir central n’a jamais su depuis maintenant un quart de siècle leur apporter de réponses adaptées.

La voie des réformes institutionnelles a notamment achoppé sur la reconnaissance du peuple corse en tant que groupement distinct dans l’ensemble français, concession qui parait indispensable pour amener les nationalistes à l’abandon de la revendication indépendantiste. Même si l’auteur semble douter de la sincérité de celle-ci et si elle n’a jamais eu l’approbation d’une majorité de corses ; elle demeure en effet forte et ouvertement affirmée.

Perspectives politiques

Les événements survenus depuis la publication de cet ouvrage en 1999 ont montré que l’importance politique du problème corse ne doit pas être sous-estimée. Les résultats des élections législatives qui ont vu la Corse basculer à gauche, à contre courant de la tendance nationale, ont reflété la préférence de la majorité de la population corse pour une solution politique, susceptible de mettre fin à une situation de blocage contraire aux intérêts de tous, corses ou « continentaux » installés sur place. En attendant une issue de ce type, la lutte des corses demeure une des contradictions qui minent le système politique d’une bourgeoisie française crispée sur un autoritarisme uniformisateur de plus en plus mal accepté. À ce titre, il offre des moyens d’action à tous ceux qui contestent son pouvoir.

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