La relance, c’est la nationalisation des banques, le contrôle des travailleurs, la hausse des salaires, le partage du travail…

, par LEMEL Éric

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Les dirigeants des 20 pays les plus riches du monde se sont retrouvés à Washington le 15 novembre pour, dixit, « tirer les leçons de la crise actuelle », « prendre toutes les mesures nécessaires pour restaurer la confiance des marchés et la stabilité, et minimiser les risques d’une nouvelle crise »...
Des objectifs ambitieux... pour des résultats qui se sont cantonnés à une déclaration de grands principes, ceux du « libre marché, le respect de la propriété privée, l’ouverture des échanges et des investissements, la concurrence entre les marchés » et qui se contentent de recommander, en guise de « mesures nécessaires », la mise en œuvre de « politiques de relance ». Cela n’a pas suffit pour redonner le moral aux Bourses qui ont connu une semaine de dégringolade... Jusqu’au sauvetage de Citigroup qui a provoqué un fol optimisme...
Les spéculateurs sont dans une phase aigüe maniaco-dépressive. La déprime devant la réalité de l’ampleur de leur crise, avec des accès de brusque euphorie quand les États les comblent de cadeaux !
Mais la tendance générale est à la baisse entraînée par la récession qui atteint l’économie mondiale. Les « plans de relance », cyniquement présentés comme le moyen de protéger les travailleurs de la crise, accompagnent maintenant la politique d’intervention des États pour renflouer le système financier. Ils sont les deux volets d’une même politique. Une fuite en avant dans l’urgence, pour soutenir un système financier en train de s’effondrer en finançant les classes dominantes, leurs profits et leurs spéculations, avec l’espoir qu’un miracle se produise... Mais le miracle n’aura pas lieu. La politique de soutien au système financier est vouée à l’échec par la profondeur même de la crise, expression du niveau de parasitisme atteint par l’aristocratie financière qui règne sur l’ensemble de l’économie mondiale. Et la politique de relance est tout autant vouée à l’échec puisqu’elle arrose les patrons dans le même temps que les États organisent la régression sociale, laissent faire les licenciements...
Cette politique des classes dominantes qui vise à relancer les profits ne peut qu’alimenter la crise. Elle conduit à une catastrophe. Les classes exploitées lui opposent une politique qui relance l’économie pour satisfaire leurs besoins en prenant sur les profits et le capital. Le débat se tranchera dans la lutte.

Une crise globale, qui s’approfondit de jour en jour

Sur les marchés financiers, la grande purge continue. Les Bourses internationales continuent leur yo-yo. L’État américain est de nouveau intervenu dimanche 23 novembre en injectant 20 milliards de dollars dans le capital de Citigroup, deuxième banque commerciale US, et en lui offrant une garantie de 306 milliards sur ses pertes futures. Cette opération a entraîné, après une semaine de chute libre, une remontée spectaculaire de toutes les Bourses. Une preuve cynique de plus, s’il en était besoin, que les milliards offerts aux banques par les États sous prétexte de « soutien » ne sont que des primes à la spéculation.
Dans le domaine de l’économie dite réelle, le marasme touche des secteurs de plus en plus nombreux, et de plus en plus gravement : secteur de l’immobilier, de l’automobile... Les annonces de mise en chômage technique, de licenciements, de fermetures définitives se succèdent. Une enquête récente d’un assureur-crédit publiée par les Echos, prévoit que les « défaillances d’entreprises » pourraient augmenter de 25 %, en France, pour chacune des deux années 2008 et 2009. Cette accélération est pour une part due au durcissement des conditions du crédit. Mais elle est surtout la conséquence de la politique du patronat qui anticipe la récession par les licenciements et ainsi l’accélère. La diminution de la demande solvable contraint en retour producteurs et vendeurs à baisser leurs prix pour écouler leurs stocks. Une baisse des prix qui est une conséquence directe de la récession, qu’elle contribue à accentuer. Ils plongent ainsi le monde dans une récession qui échappe à la politique des États dont le seul souci est de préserver les intérêts des classes dominantes.
Ces dernières années, le développement de la Chine et de quelques autres pays avait créé l’illusion d’un accroissement illimité des profits. Profits tirés de la sur-exploitation de la main d’œuvre sous-payée des pays pauvres, mais aussi des reculs des conditions de travail et de salaire auxquels les travailleurs des anciens pays industriels, soumis à la concurrence d’un marché du travail désormais international, n’ont pas été capables de s’opposer.
Tandis que les profits explosaient, gonflés par une spéculation financière effrénée, la croissance des pays « émergents » s’est ainsi accompagnée d’une baisse des revenus des populations des pays riches, principaux consommateurs de marchandises produites. Cette baisse du pouvoir d’achat réel de la population des pays riches a été compensée un temps par un recours massif au crédit bon marché. Mais le faux semblant a pris fin avec la crise des subprimes, dans l’explosion de la bulle spéculative de l’immobilier américain en 2007. Les éléments d’une récession économique, l’incapacité du marché solvable à absorber la masse des marchandises produites, sont alors apparus au grand jour, et n’ont cessé, depuis, de se développer.
La crise actuelle est l’aboutissement de la politique des classes dominantes, de la guerre de classe qu’elles ont pu mener pendant des années en toute impunité, parce que les classes populaires du monde entier, soumises à un rapport de force défavorable, leur laissaient les mains libres.
Mais, en mettant à nu les contradictions qui ont conduit le capitalisme à la faillite, en montrant l’impuissance de la grande bourgeoisie financière et de ses larbins politiques à s’y opposer, elle souligne l’urgence à inverser ce rapport de force. C’est la seule issue à la crise.
La légitimité de la bourgeoisie à diriger la société est remise en cause. L’image des subventions faramineuses des États aux banquiers responsables de la crise et qui partent en fumée dans les jeux boursiers tandis que se poursuivent de plus belle restrictions et attaques contre les travailleurs, alimente la révolte et la contestation sociale.
Cela contraint la bourgeoisie et ses représentants à mener une bataille politique incessante pour tenter de faire croire qu’ils gardent la situation sous contrôle. Tout comme ils essaient de faire passer leur politique de soutien inconditionnel aux parasites de la finance pour le seul moyen d’atténuer les effets de la crise pour les classes populaires. Leur politique ouvre les yeux de millions de travailleurs, les éveillent à la défense de leurs intérêts de classe.

Un nouveau Bretton Woods ?

Le sommet de G20, avec sa prétention à mettre en place des mesures susceptibles de « rétablir la confiance des marchés et la stabilité » par une coordination internationale des États n’a été que l’un de ces multiples tours de passe-passe.
Certains, tel le 1er ministre britannique, Gordon Brown, prétendaient y voir un « nouveau Bretton Woods », la possibilité pour le G20 de mettre en œuvre les mesures de régulation, de « gouvernance internationale », que l’on nous annonce depuis le début de la crise et qui conditionneraient, selon eux, une nouvelle phase de stabilité économique.
Comme celle qui a suivi la fin de la deuxième guerre mondiale et qui trouverait son origine dans les accords signée en 1944, à Bretton Woods, aux États-Unis, où s’étaient réunis la quarantaine de pays alliés contre l’Allemagne, afin d’organiser l’économie mondiale de l’après-guerre et tenter de mettre en place des outils censés éviter le retour de crises comme celle de 1929.
Les accords de Bretton Woods concrétisaient la place de première puissance économique, politique et militaire que les États-Unis avaient acquise au cours de la guerre. Ils faisaient du dollar, dont la valeur était garantie par les stocks d’or détenus par les États-Unis, la monnaie des échanges internationaux et la référence de toutes les autres monnaies. Et c’est à Bretton Woods que sont nés la Banque mondiale, destinée à financer, avec des capitaux américains, la reconstruction de l’Europe et du Japon détruits par la guerre, et le FMI, pour réguler les échanges monétaires internationaux.
Depuis, les USA n’ont cessé de faire évoluer les « outils » issus de Bretton Woods au gré des aléas de la situation économique et politique mondiale, pour assurer leur domination, et grâce à cette domination.
Car c’est l’hégémonie écrasante des USA, et non les « règles » et institutions internationales issues de Bretton Woods, qui a constitué la base de la stabilité du capitalisme de l’après-guerre, lui permettant de traverser toutes les crises du demi-siècle (décolonisation, crises économiques...), pour arriver au capitalisme mondialisé d’aujourd’hui.
Cette situation prend fin à travers la crise qui en est l’aboutissement, mais les conditions d’un nouveau Bretton Woods n’existent pas : aucun pays n’est actuellement en mesure d’imposer ses propres règles du jeu. Les classes dominantes et leurs États n’ont pas d’autre choix que de se préparer à faire face à l’exacerbation de la concurrence internationale, sur la base de nouveaux rapports de force internationaux.
Bien sûr, s’ils ne peuvent plus prétendre à une hégémonie indiscutée, les États-Unis gardent dans cette situation une place prépondérante. Malgré la crise financière et leur endettement astronomique, ils restent la première puissance économique mondiale. Leur État est le seul à avoir les moyens d’intervenir pour assurer la domination de la bourgeoisie internationale à l’échelle de la planète. Et le dollar, bien qu’affaibli, est encore la monnaie principale des échanges internationaux. Une grande part des réserves des pays « émergents », comme la Chine, ou de certains pays producteurs de pétrole, sont constituées de dollars ou de bons de trésor américains. Autant de raisons pour ces pays de soutenir la monnaie et l’économie américaine... C’est sur cette puissance que voudrait s’appuyer Obama en engageant un vaste plan à travers lequel il voudrait restaurer l’hégémonie américaine en en faisant le moteur d’une relance mondialisée. Au mieux, il ne pourra qu’amoindrir la crise tout en préparant ses nouveaux développements.

Relancer l’économie, ou financer les profits et les spéculateurs ?

Le plan annoncé par Obama pourrait atteindre 800 milliards de dollars. Il s’agirait d’allègements fiscaux, d’aides au crédit, et « d’investir dans de grands chantiers d’infrastructures : écoles et hôpitaux publics, routes, ponts et surtout développement d’énergies alternatives ».
En Europe, Sarkozy et Barroso rêvaient d’un plan commun, financé au prorata des moyens de chacun des pays et dont les aides auraient été attribuées, sous l’égide de la Commission européenne, en fonction des besoins. Mais ce projet n’a pas résisté aux divergences d’intérêts. Chacun des pays membres agira en ordre dispersé, avec ses propres moyens et pour ses propres objectifs... La Commission européenne devra se consoler de sa mise à l’écart en attribuant à chacun de ces plans le label « plan européen de relance », dont le total devrait atteindre 130 milliards d’euros.
En Grande-Bretagne, le plan portera sur une vingtaine de milliards de livres, sous forme d’allègements fiscaux, particulièrement de la TVA.
En France et en Allemagne, le plan devrait revêtir la forme d’« aide aux investissements », c’est-à-dire du soutien financier, par l’État, de certains secteurs réputés « stratégiques ».
C’est le rôle du « fond stratégique d’investissement » de Sarkozy, et de ses projets : grands travaux d’infrastructure (routes, chemins de fer...), plan de soutien à l’automobile, rachat par l’État à des promoteurs privés de tout un stock de logements invendus pour en faire des logements sociaux...
Tous ces « plans » sont censés produire indirectement des emplois, donc de la croissance, et donc, en fin, de compte, relancer l’économie... Une formule magique à laquelle personne ne peut croire, mais qui n’empêche pas Obama d’y voir la possibilité de créer les 2,5 millions d’emplois promis au cours de sa campagne.
Sauf pour quelques pays comme la Chine, le financement de ces plans repose forcément, fautes de réserves, sur une aggravation de l’endettement des caisses publiques. C’est la poursuite, sous une autre forme, de la politique de financement du système financier aux frais du contribuable.
Certains n’hésitent pas à comparer le plan « audacieux » d’Obama au New-deal mis en œuvre par Roosevelt à partir de 1933 pour tenter de faire face aux conséquences de la crise de 29. Mais les États-Unis avaient alors les moyens d’une telle politique. Et si le New-deal n’a pas mis fin à la crise, qui ne s’est résolue réellement qu’à travers les massacres et les destructions de la 2ème guerre mondiale, il en avait malgré tout atténué les effets aux États-Unis.
Aujourd’hui une telle politique n’est plus possible, même avec toutes ces limites. Les 800 milliards du financement envisagé par Obama viendront creuser d’autant le déficit abyssal des caisses américaines. Et, loin de « relancer l’économie », ils rejoindront ceux que le Trésor américain et la FED ont déjà jetés, et continuent de jeter, par centaines, dans le gouffre de dettes insolvables du système financier. Quant à la capacité, qui semble sans limites, de l’État américain à puiser dans des caisses vides, elle ne tient que tant que ses créanciers, particulièrement la Chine, accepteront de financer l’endettement des USA sur leurs propres réserves. Jusqu’à quand ?
Sous couvert de protéger les travailleurs et les populations des effets de la récession, les « plans de relance » que se préparent à mettre en œuvre les gouvernements sont une nouvelle fuite en avant face à une situation qui se dérobe sous leurs pieds.

Contre la tentative de relance des profits, un plan d’urgence pour les travailleurs et les classes populaires

La crise actuelle est le résultat des contradictions dans lesquelles se débat le capitalisme international. Elle est aussi, dans le cadre du système capitaliste, le seul mode possible de résolution de ces contradictions. De ce fait, elle répond à une logique, à des « lois économiques » qui sont celles du système capitaliste et dont le G20 réaffirme les principes dans sa déclaration : « principe du libre marché, respect de la propriété privée et de la concurrence entre les marchés »... Des « lois » que l’on nous présente comme inéluctables et au nom desquelles il nous faudrait accepter la situation actuelle et ses conséquences dramatiques. Des « lois » qui ne sont en réalité qu’un argument politique pour imposer aux populations la logique d’une politique de classe égoïste et parasitaire qui mène tout droit à la catastrophe.
Mais si les gouvernements se sentent obligés de déguiser en « plans de relance de l’économie » leurs nouveaux cadeaux aux patrons et aux financiers, c’est qu’ils craignent que les rideaux de fumée de leur propagande et le poids démoralisant de la crise ne soient impuissants à désarmer la révolte et la contestation sociale qui se développe, et dont, ici, le succès des manifestations des enseignants du 20 novembre, celles des postiers du 22, sont l’expression.
L’histoire est là pour démontrer qu’au cœur des mécanismes qui ont conduit à la crise, il y a le recul du mouvement ouvrier qui a laissé les mains libres aux classes dominantes avides de profits et de domination, au mépris des intérêts des populations. Au cœur de la crise, il y a la question d’une loi bien réelle celle là, celle du rapport de force entre les classes. Et si les classes opprimées laissaient encore faire, l’aventure financière dans laquelle s’engagent aujourd’hui les États conduirait inévitablement à une régression considérable.
La seule relance possible, c’est de prendre sur le capital pour produire en fonction des besoins des populations et, pour cela, de nationaliser le crédit afin de fournir aux entreprises les capitaux dont elles ont besoin pour produire, non en fonction des profits escomptés par une minorité de parasites, mais en fonction d’un plan répondant aux besoins effectifs et sous le contrôle des travailleurs. C’est de prendre sur le capital pour garantir à tous un salaire permettant de vivre dignement, pour interdire les licenciements en imposant le partage du travail entre tous.
Ces mesures d’urgence ne peuvent venir d’en haut, elles ne peuvent être imposées que par en bas, par la mobilisation et l’organisation des travailleurs pour imposer leurs droits contre ceux du capital financier spéculatif.

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