Sans surprise, le rendez-vous de « concertation » du 12 avril a été un jeu de dupes, où les directions syndicales, piégées par la politique du dialogue social, ont été roulées dans la farine. Alors qu’elles réclamaient un « vrai débat » au gouvernement depuis le 23 mars, sans appeler à une suite de la lutte avant le 1er mai et sans avancer de revendications claires, Woerth est passé, lui, à l’offensive en déclarant : « On en parle depuis des années, il faut surtout passer à l’action ».
Au niveau calendrier, il annonce des « réunions thématiques » jusqu’en mai avec les « partenaires sociaux »... pour que le gouvernement annonce ses mesures mi-juin, avec présentation du texte au conseil des ministres en juillet, puis au parlement en septembre. Quant aux mesures que compte prendre le gouvernement, elles ne laissent pas grand mystère comme l’annonce Woerth : « L’allongement du temps de travail, quand vous vivez plus longtemps, vous devez passer plus de temps au travail [...] L’âge légal de 60 ans est évidemment en débat, il ne faut pas avoir de tabou dans ce type de sujet ». L’objectif est celui de l’allongement de la durée de cotisation et du recul de l’âge légal, comme cela s’est fait en Espagne ou en Grèce.
Parisot, très satisfaite de la réunion, a d’ailleurs souligné que cette fois, « le problème est abordé dans sa totalité, dans son exhaustivité et en profondeur ». Il s’agit pour le patronat et le gouvernement d’imposer un recul majeur sur les retraites, façon de faire payer leur crise à l’ensemble de la population.
Parallèlement, le secrétaire d’État à la Fonction publique, Tron, veut s’attaquer à la règle de calcul de la retraite sur les 6 derniers mois ainsi qu’à des dispositions de départ particulières. Déjà, les députés viennent d’adopter, dans un texte ajouté sur le dialogue social dans la Fonction publique, une réforme du régime de retraite des 300 000 personnels infirmiers et paramédicaux qui pourront « choisir » d’être un peu mieux payés s’ils acceptent de repousser leur départ à la retraite à 60 ans au lieu de 55 ans. Comme dans le privé avec le temps de travail, le gouvernement utilise la signature des syndicats sur le texte de la représentativité dans la fonction publique pour faire passer ses mauvais coups.
Toute la politique du gouvernement pour imposer sa contre-réforme des retraites repose sur ce piège de la concertation et du dialogue social. Woerth sait évidemment qu’il n’arrivera à aucun « accord », ni même avec Chérèque qui l’avait payé cher en 2003. Cette politique, qu’il maintient en particulier vis-à-vis de la CGT en répétant qu’il « ne passera pas en force », est seulement destinée à éviter le conflit de front. Comme le dit les Échos cette semaine : « une vraie concertation, faute de déboucher sur un accord mineur, peut permettre d’éviter un désaccord majeur ».
Mais cette « concertation » sert aussi au gouvernement pour plier les syndicats ainsi que l’opinion à sa politique, en accréditant l’idée que la contre-réforme est incontournable. C’est l’objectif même de la mise en place du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui avait formulé le « diagnostic partagé » de 2003 pour justifier la contre-réforme Fillon.
Mais nouveauté par rapport à 2003, Woerth compte également élargir sa politique de concertation en appelant à « un consensus avec les partis politiques », en particulier avec le PS.
Le PS prêt à participer au consensus de la contre-réforme
Celui-ci vient d’ailleurs d’annoncer qu’il allait faire des propositions, après qu’Aubry, Hollande ou Valls aient déjà pris position sur l’allongement de la durée de travail. Moscovici annonce que le recul de l’âge légal à 60 ans est une « ligne rouge » tout en disant qu’il va falloir « mettre à plat le système ». Mais les 60 ans légaux avec l’allongement de la durée de cotisation comme le préconise Hollande, c’est la remise en cause même du droit à la retraite à 60 ans.
Dans un article fumeux sur « la révolution de l’âge », Aubry explique d’ailleurs que « le vieillissement n’est pas un fardeau [...] Les Français savent que l’accroissement de l’espérance de vie et une arrivée plus tardive sur le marché du travail nécessitent pour beaucoup un départ réel après 60 ans ».
Il est clair que dans sa marche vers le pouvoir, le PS compte jouer sa partition pour faire passer la contre-réforme, comme le font au pouvoir aujourd’hui d’autres gouvernements de gauche en Espagne ou en Grèce. Valls le résume cyniquement : « Mettons qu’une réforme passe à l’automne, qui allonge l’âge légal ou la durée des cotisations. Reviendrait-on sur cette réforme ? Non, on ne le fera pas ».
Mener la bataille politique contre le chantage
Sortant de la réunion du 12 avril, Chérèque s’est plaint que les délais étaient « trop courts pour aller au fond des sujets », et que les mesures envisagées risquaient « d’accentuer les inégalités » du système. Quant à Thibault, il déclarait avant la rencontre : « les gouvernements précédents qui ont procédé à des réformes ont tous dit la même chose. Ils n’ont pas mesuré que ces réformes ont eu pour conséquence de diminuer le niveau des pensions versées »... comme si ce n’était pas leur seul but ! Les contre-réformes de 1993 et de 2003 ont déjà conduit à une baisse des pensions de près de 20 % avec les décotes, la fin des 37,5 annuités, l’indexation des retraites sur les prix. Aujourd’hui, le gouvernement veut aller plus loin pour faire payer la crise et la dette de l’État qui enfle avec la spéculation financière.
Face à cela, il s’agit au contraire de mener une bataille offensive, politique, pour se dégager du piège du dialogue social et du chantage que le gouvernement exerce en brandissant la menace d’effondrement de tout le système des retraites.
La campagne de propagande se met en place autour du rapport du COR qui annonce un besoin de financement entre 72 et 115 milliards d’euros à l’horizon 2050. Il revoit même ses anciennes prévisions avec la crise, en annonçant des déficits pour 2020 entre 40 et 49 milliards, alors qu’ils étaient estimés jusque-là à 25 milliards d’euros. Mais toutes ces soi-disant « prévisions », qui intègrent l’augmentation de productivité, n’envisagent jamais que la répartition des richesses produites puisse changer. Pour eux, les actionnaires doivent continuer de détourner toujours plus de richesses, alors que la part des dividendes est passée de 3,2 à 8,5 % du PIB entre 1982 et 2007, pendant que celle des salaires passait de 70 % à 60 %. Si les salariés réclament leur dû, 300 € d’augmentation des salaires, les 1500 € net de revenu minimum, cela ne ruinera pas l’économie ou la productivité comme le répète Parisot, mais baissera le taux de profit que s’empochent patrons et financiers. Il y aura alors de quoi financer les caisses de retraites.
Les fausses évidences, les prévisions à 40 ans, la propagande sur la « catastrophe démographique », ne visent qu’à justifier le chantage de Woerth ou Fillon pour qui le rapport du COR est « non discutable ». Parisot fait même de la surenchère en déclarant qu’il est « dommage qu’il n’y ait pas de scénario plus réaliste et, éventuellement, un scénario catastrophe » ! Voilà en quoi le piège du dialogue social sert aux classes possédantes à faire de la politique, à tenter de soumettre l’opinion.
En sortant de la réunion du 12 avril, Thibault a appelé les salariés à se mobiliser, le 20 avril et pour un grand 1er mai. Mais pour construire cette mobilisation, il faut d’autres méthodes que ces journées sans perspective, que bien des équipes syndicales et des travailleurs contestent après l’expérience de l’année dernière.
Le 20 avril est l’occasion de mener le débat entre travailleurs sur quelles revendications face aux mauvais coups qui se préparent et des moyens pour les imposer. La question des retraites pose le problème du rapport de force et de l’affrontement avec le pouvoir. C’est pour cela que la légitimité des 37,5 annuités pour tous, privé-public, et de l’abrogation des contre-réformes depuis 93 est essentielle. D’autant que ces attaques se poursuivent encore avec le passage à 41 ans prévu pour 2012.
Il s’agit de préparer une lutte d’ensemble pour faire reculer le gouvernement en unifiant la classe ouvrière autour d’exigences communes. De même, la question des revendications de salaires chiffrées, l’interdiction des licenciements, l’embauche massive dans les services publics. Discutons aussi des mesures face à la finance qui s’approprie les richesses créées par le travail collectif par la spéculation sur la dette de l’État : en 2008, les intérêts de la dette représentaient à eux seuls 54,6 milliards d’euros ! De l’argent pour financer les retraites, il y en a.
Face à l’offensive du gouvernement, seule une mobilisation d’ensemble, politique, par la grève et les manifestations, pourra imposer une autre répartition des richesses, c’est-à-dire un autre rapport de force. Cette mobilisation, c’est à la base qu’il faut l’organiser, la préparer, comme les cheminots...