Après le 29, l’urgence d’un débouché politique

, par PICQUET Christian

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Il s’est passé quelque chose, dans les profondeurs du pays, ce 29 janvier. Pas de doute, à l’aune du nombre de grévistes et de manifestants, à la lumière aussi de la participation des salariés du privé et des travailleurs précaires à l’action, nous avons bel et bien assisté à un mouvement social d’ampleur équivalente à ceux de 1995, 2003 ou 2006.

Au moins, le petit monarque qui prétend plier l’Hexagone à son projet de révolution néoconservatrice ne pourra plus expliquer que, « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ».

Plus substantiellement, l’importance de cette mobilisation vient de l’aspiration qu’elle aura traduite et du contenu qu’elle portait en creux. Les thuriféraires du régime et les commentateurs d’opinion peuvent bien relativiser la portée du 29, parler surtout de l’expression d’un « désarroi  », faire ostensiblement preuve de compassion pour mieux nous expliquer qu’il n’est pas d’autre politique possible que celle des gouvernants, souligner que le pays n’a pas été bloqué par la grève, qu’il faut donc aussi écouter la « majorité silencieuse », et bien d’autres arguties encore. Ils ne sauraient longtemps occulter la nature très profondément politique, au sens large du terme (c’est-à-dire non simplement « partisan »), de la colère qui vient de déferler.

Il suffisait, jeudi dernier, d’observer les cortèges. Leur massivité, leur désordre joyeux (à Paris, l’ordonnancement traditionnel des manifestations, structuré autour de chacune des organisations appelantes, aura largement volé en éclats, donnant au défilé l’allure d’une coulée aussi syndicale que citoyenne), leur contenu revendicatif impossible à fixer sur quelques mots d’ordre, ce badge arboré sur des milliers de poitrines pour exprimer l’envie de « Rêve générale  » renvoyaient à un refus majoritaire d’un système permettant à une poignée de privilégiés de s’enrichir éhontément avant la crise... pour mieux profiter ensuite de cette dernière. Le titre de la déclaration des dix organisations et mouvements de la gauche de transformation, « Ce n’est pas à la population de payer leur crise », faisait très exactement écho au sentiment des millions d’hommes et de femmes en grève et dans la rue.

Évidemment, dans le succès de la journée du 29 janvier, beaucoup tient à l’unité réalisée, pour la première fois depuis si longtemps, entre les huit centrales syndicales. Beaucoup, également, doit à leur capacité d’avoir signé une déclaration commune ne se bornant pas, comme à l’accoutumée, à quelques slogans vagues, pour relayer — avec les limites et insuffisances que Dominique Mezzi a relevées ici — l’exigence d’un autre cap. Si, toutefois, l’anesthésie d’un corps social auparavant guetté par la résignation se dissipe, si les confrontations sectorielles sont déjà perceptibles (dans l’automobile, la santé, ou encore à l’université), les fragilités n’en sont pas moins à la mesure des attentes créées autant que des espoirs soulevés. Battre ce pouvoir et cette classe dirigeante suppose de relever le défi d’un choc frontal et politique avec eux. Et l’on doit redouter que, la barre étant placée à pareille hauteur, les états-majors syndicaux ne soient tentés de se dérober. C’est si vrai que l’on sent bien Nicolas Sarkozy enclin, à l’occasion de sa prochaine intervention télévisée ou des rencontres programmées avec les organisations syndicales, à conjuguer propos dilatoires et réitération de sa volonté d’infliger une purge libérale à la société française.

Une fois de plus, mais avec cette fois une ampleur inégalée depuis longtemps, la question du débouché politique se révèle cruciale. Soyons lucides : elle ne trouvera pas de réponse du côté du Parti socialiste. Certes, la nouvelle direction de celui-ci a retrouvé le chemin de la rue et repris quelque couleur au contact des manifestations de cette fin janvier 2009. Mais son contre-plan de relance n’abusera que ceux qui le voudront bien. L’insignifiance des augmentations de salaires revendiquées (un euro par jour, pour le Smic !), le refus de toute mesure empêchant dirigeants d’entreprises et actionnaires de licencier ou de délocaliser à leur guise pour maintenir leurs profits, le silence observé à propos de l’objectif indispensable (si l’on veut, du moins, réorienter les choix économiques) d’une réappropriation publique du système bancaire et du crédit démontrent que Martine Aubry et son équipe demeurent dans les clous de la vulgate sociale-libérale, donc qu’ils entendent toujours respecter scrupuleusement le traité européen de Lisbonne.

C’est donc à la gauche de gauche qu’il appartient de prendre la main. Dans le prolongement de la déclaration rendue publique quelques jours avant le 29 janvier, laquelle trace les contours d’une authentique plate-forme pour un front politique qui se pérennise. Oh, bien sûr, nous entendons déjà, du côté de ceux qui voient à regret cette convergence prometteuse naître et appeler des suites, que ce texte ne règlerait pas tout et qu’il ne constituerait nullement une stratégie pleinement cohérente. N’en déplaise cependant à ces oiseaux de mauvais augure, lorsqu’il reprend à son compte l’exigence de mesures formant un « bouclier social  » protecteur du monde du travail, lorsqu’il plaide pour une redistribution des richesses afin de financer les besoins sociaux les plus urgents, lorsqu’il remet en cause les dogmes du Pacte de stabilité comme les logiques financières de la Banque centrale européenne, ce document porte le fer au cœur des logiques prédatrices du capitalisme d’aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle les Dix, qui ont prévu de se revoir, ont l’obligation de décider ensemble d’un nouvel acte fort. Pourquoi ne pas tenir, à Paris puis en régions, de grands meetings réunissant notamment Olivier Besancenot, Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon, pour ne parler que des plus connus, dans le but de faire connaître à grande échelle leurs propositions communes ? Cela représenterait un point d’appui précieux pour la mobilisation sociale et cela créerait, sans le moindre doute, un puissant élan populaire en faveur d’une politique de rupture. Un test grandeur nature serait ainsi réalisé et vérifierait que le rassemblement, possible dans le soutien aux mouvements sociaux, l’est tout autant aux élections européennes à venir. Ces dernières seront, en effet, le rendez-vous incontournable à l’occasion duquel il conviendra de sanctionner la droite et de faire s’exprimer massivement l’aspiration à une autre politique sur l’ensemble du continent. Il n’y a vraiment pas un instant à perdre.

PS. Encore une bonne nouvelle, ce week-end. Je viens d’assister au congrès constituant du Parti de gauche, avec une délégation d’Unir (Michelle Ernis, Alain Faradji, Céline Malaisé, Francis Sitel et Lars Steinau). Le NPA y était également représenté, par Yvan Lemaître. Unanimement, les délégués ont adopté une adresse finale dont j’extraie le passage suivant :

« Ensemble, nous avons su nous rassembler dans une plateforme commune face à la crise, en soutien au 29 janvier et aux mobilisations sociales, et nous allons donner une suite à cette démarche. Ensemble, nous pouvons provoquer le bouleversement politique indispensable face à la crise. Nous ne sommes pas identiques, nous n’avons pas les mêmes histoires mais nous savons tous que la crise du système capitaliste est porteuse de tragédies si rien ne vient y opposer un autre avenir. Il y a urgence sociale, démocratique, écologique et pour la paix. Le Parti de gauche propose d’affronter cette urgence. D’abord, en renforçant le front social qui s’est levé face à la droite, en agissant côte à côte dans les manifestations, aux portes des entreprises, en soutenant les mobilisations syndicales et sociales. Ensuite, en constituant un front politique capable d’affronter victorieusement les échéances électorales. Nos organisations ont pour responsabilité particulière de proposer une issue politique à la crise sur le terrain du suffrage universel. Aucun changement profond n’est possible sans cela. Il faut battre la droite dans la rue et dans les urnes. La gauche d’accompagnement n’est capable ni de l’un ni de l’autre. Alors que la crise et les mobilisations qui montent devraient l’acculer à la défensive, la droite peut rêver de se succéder à elle-même dans les années à venir ! En Europe, les partisans du libre-échange absolu entendent poursuivre la construction d’un marché libre et sans entraves malgré le vote des peuples. Les élections européennes de juin prochain nous donnent l’occasion de changer la donne. Nous pouvons y battre la droite et arriver en tête de la gauche ; nous pouvons envoyer un grand nombre de députés au Parlement européen. À la condition impérative de nous unir. »

Franchement, voilà une tonalité des plus sympathiques, un signe que les choses bougent vite, à gauche, en ce moment. Impossible de concevoir que le congrès fondateur du NPA, cette semaine, suive les déclarations sectaires que l’on lit ici ou là (telle celle d’Alain Krivine, expliquant au Monde des 1er et 2 février qu’il « sera difficile de trouver un accord »), qu’il ne répondre pas positivement à l’offre qui lui est faite, et qu’il ne décide pas d’engager au plus vite le débat, avec les partenaires possibles sur les bases et les modalités de constitution d’un tel front... pour les luttes et les prochaines élections. Sauf à prendre le risque d’inaugurer l’existence du nouveau parti par... un authentique désastre...

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