Christian Picquet (LCR unitaire) répond au sécrétariat de la coordination

, par PICQUET Christian

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Au secrétariat de la coordination
Chers et chères camarades,

Avant votre réunion des 23 et 24 juin, je veux répondre à l’interpellation que plusieurs d’entre vous m’ont adressée, quant à mon absence prolongée du secrétariat désigné dans la foulée de la réunion nationale de Montreuil, en janvier dernier.

Autant vous le dire d’emblée, et quoi que cela relève à mes yeux de l’évidence, cette absence ne doit nullement à une impossibilité matérielle, mais au constat auquel mes camarades et moi-même avons bien dû nous résoudre : la trajectoire du secrétariat, autant que les décisions qui en auront émané ces derniers mois, ont rendu impossible la poursuite de notre engagement dans cette instance.

Je me suis donc tenu à l’écart de vos travaux, et mes camarades avec moi. Sans vouloir entrer dans des polémiques qui auraient encore alourdi le climat de division ayant suivi l’échec de notre démarche de rassemblement antilibéral en décembre dernier. Sans non plus rétorquer aux invectives ou aux injures dont certains, y compris parmi vous, ont cru bon de m’abreuver (je devrais d’ailleurs, ici aussi, utiliser le « nous », tant les attaques auront visé en tant que telle la sensibilité dont je suis l’un des animateurs).

Nous avons mené le débat sur les questions d’orientation, tranquillement, sereinement, lors de chaque réunion de la coordination, jusqu’à la rencontre nationale de Bobigny, au moyen de contributions écrites, déposées au nom de la « LCR Unitaire » ou cosignées avec des camarades partageant un point de vue similaire. Dès lors que, à chaque étape, les approches se révélaient profondément divergentes, que l’esprit de consensus cédait progressivement le pas à une ambiance d’intolérance inadmissible, il nous est apparu que nos échanges devenaient parfaitement vains, au moins à ce moment politique particulier.

Avec le recul, chacun devrait aujourd’hui convenir qu’un débat de fond nous a traversés dès le mois de janvier, et qu’il fut de très mauvaise politique de chercher à l’évacuer. Pour notre part, dès la rencontre de Montreuil, nous avions dit et écrit qu’une troisième candidature, issue l’espace antilibéral, ne serait pas de nature à renouer le fil brisé de la bataille pour l’unité. Cependant, prenant en compte la volonté de milliers de militants ou de citoyens de ne pas s’incliner devant les politiques de division qui avaient mené au fiasco de Saint-Ouen, nous avions volontiers souscris au « compromis » final de cette réunion. Les termes de ce compromis étaient clairs : vérifier la possibilité d’une relance du processus unitaire autour d’une candidature « trait d’union », que pouvait incarner José Bové, tout en préservant l’unité des collectifs en distinguant strictement la campagne Bové de la coordination des collectifs unitaires.

En pratique, il s’est rapidement avéré que la candidature de José Bové s’engageait dans une logique de concurrence avec les autres candidatures antilibérales, qu’elle ne se situait donc pas dans la continuité de la démarche initiale du rassemblement antilibéral et de ses objectifs stratégiques, qu’elle se délimitait de plus en plus sur l’espace de l’écologie radicale (ce qui l’amenait à relativiser la défense des urgences sociales et démocratiques, pourtant placées au cœur de nos 125 propositions), qu’elle tendait à ignorer la diversité des opinions présentes au sein des collectifs. Plutôt que d’en rester au cadre consensuel de Montreuil, la coordination et le secrétariat se seront de facto engagés dans la campagne autour de José Bové, perdant ainsi en autorité dans la mesure où cette évolution conduisait de très nombreux collectifs, ayant fait le choix de ne s’impliquer dans aucune campagne, à se mettre à l’écart.

La réunion de Bobigny, à la mi-mars, eût pu rétablir l’équilibre initialement souhaité et autoriser une ample bataille pour la reconstitution de l’unité dans un maximum de circonscriptions aux élections législatives. Mais la prétention simultanée d’un certain nombre de participants de cette rencontre d’imposer, à toutes les candidatures unitaires, une association de financement (Sega) liée à une sensibilité politique et un logo prédéterminé (« Gauche alternative 2007 ») aura finalement ruiné cette ultime possibilité. Résultat, si l’obstination d’un certain nombre de collectifs comme des secteurs unitaires du PCF et de la LCR aura permis de sauver quelques dizaines d’accords pluralistes, la plupart d’entre eux ne s’affilièrent pas à Sega et ne recoururent pas au logo « officiel ». A contrario, des campagnes se proclamant « unitaires » du fait de leur affiliation et de leur logo se seront délibérément placées en situation de concurrence avec celles de la LCR et du PCF.

Le bilan de cette séquence ne saurait aujourd’hui être escamoté. D’« insurrection électorale » à partir de la présentation de José Bové, il n’y eut point. Ce qu’il demeurait des collectifs unitaires à la fin du mois de décembre 2006 en sera sorti un peu plus affaibli et divisé. La posture consistant à s’affirmer « unitaire » tout en prenant sa part à l’éparpillement de la gauche antilibérale n’aura fait que générer du sectarisme et de la tension, là où il aurait fallu de la sérénité, du respect des opinions en présence, de la transparence et de la clarté dans les débats. L’incapacité de la coordination de fin avril à se démarquer publiquement de l’acceptation, par José Bové, d’une mission confiée par Ségolène Royal, aura encore accru la confusion, en tournant le dos à la visée énoncée dans notre texte « Ambition-Stratégie » : être indépendant du social-libéralisme pour pouvoir lui disputer l’hégémonie à gauche.

Dans la logique des choix effectués tout au long des six derniers mois, on devine à présent la tentation de structurer une nouvelle organisation politique, qui se situerait à côté de celles qui existent déjà, pour ne pas dire en opposition à elles. L’objectif ressort clairement du texte de Raoul Marc Jennar ou d’autres contributions dont nous avons pris connaissance. Mais il traverse également le document collectif « Pour une alternative (à propos des assises de l’automne) », lequel se prononce en faveur « d’une force de plus » conçue comme « garantie de rassemblement sans hégémonie aucune » et exclut d’emblée toute représentation des forces ou courants organisés en son sein. Autrement dit, sans le dire et tout en récusant pour la forme l’idée d’« une organisation qui soit sur le mode d’un parti ou d’un mouvement reposant sur une unicité d’organisation », c’est bien à cela que l’on tend malgré tout. Cette option peut avoir sa légitimité, et nous n’entendons pas la discuter. Dans la mesure où elle ne procède pas de ce qui nous a réuni depuis la campagne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen, elle ne saurait pourtant être la nôtre.

Nous demeurons convaincus qu’il ne naîtra pas d’alternative crédible au libéralisme et au social-libéralisme hors du rassemblement de toutes les énergies antilibérales au sein de la gauche. Il convient néanmoins de constater que l’issue de l’élection présidentielle modifie substantiellement les coordonnées de ce combat. Face à une droite qui porte désormais le projet global et cohérent d’une contre-révolution conservatrice à la française, face à un Parti socialiste dont la direction s’oriente vers la rupture avec sa propre histoire pour achever sa mue sociale-libérale et pouvoir contracter des alliances au centre, c’est la refondation d’une gauche à gauche qui s’avère indispensable.

Dans cette optique, poursuivre dans la voie des concurrences et de la division, amènerait à l’inexistence politique. Se contenter d’engager une reconstruction unitaire de l’ampleur de celle qui s’impose à partir seulement des cadres militants qui ont été marqués par l’échec de la tentative d’aboutir à des candidatures unitaires pour cette séquence électorale, ne serait guère à la hauteur de l’enjeu. Réduire ses ambition l’affirmation d’un pôle d’extrême gauche, ou d’un nouveau mouvement regroupant les forces ayant été engagées dans la campagne Bové, reviendrait à coup sûr à se résigner à l’impuissance et à la domination de la gauche par des sociaux- libéraux toujours plus libéraux et de moins en moins sociaux.

C’est à l’ouverture d’un vaste processus qu’il importe maintenant de travailler, en direction de tous les secteurs de la gauche qui ne se résignent pas à faire du libéral-capitalisme l’horizon indépassable de leur action, des acteurs du mouvement social qui ont acquis la conscience aiguë de la nécessité de réinvestir leur expérience de terrain dans le renouvellement de la politique, de cette jeunesse militante qui a fait ses premières armes avec la bataille contre le CPE l’an passé, de ces secteurs intellectuels dont la gauche a trop souvent négligé les apports... De nouveaux espaces pluralistes, de réflexion et de débat, d’initiatives et de propositions sont, à cette fin, indispensables, en vue d’un premier temps fort que pourraient représenter des états généraux pour une gauche à gauche.

C’est à cet objectif que nous entendons consacrer toute notre énergie. Pour aborder franchement les questions qui seront débattues par vous ce week-end, notamment celles du devenir de la coordination ou de la perspective d’assises à l’automne, nous ne saurions nous engager dans une démarche politique, ou dans des initiatives, qui ne constitueraient pas des avancées en direction de la convergence, sans exclusive, de toutes les composantes antilibérales à gauche.

C’est sur la base des urgences de la nouvelle période, que nous souhaitons reprendre, avec tous, le débat dans les meilleurs délais. Car, nous en restons convaincus, toutes celles et tous ceux qui ont toujours à cœur de faire émerger une réelle alternative unitaire à gauche ont encore un long chemin à explorer ensemble.

Bien fraternellement.
Christian Picquet.

P.-S.

Le titre de l’article est de la rédaction des Éditions La Brèche Numérique.

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