Un succès bien à la mesure de l’intérêt que suscite la proposition de « nouveau parti anticapitaliste », dont le congrès fondateur est en principe prévu pour la mi-janvier.
De fait, jamais la question d’un nouveau parti ne s’est posée avec une semblable acuité. Sans doute, le Parti socialiste demeure-t-il bien la composante dominante de la gauche, dans un jeu institutionnel qui n’aura jamais été à ce point bipolarisé. Mais il se trouve de moins en moins porteur d’une réponse globale et cohérente au sarkozysme. La chronique de l’été s’avère, de ce point de vue, singulièrement meurtrière...
Été meurtrier
Que le pouvoir s’enlise dans un conflit aussi sanglant que sans issue en Afghanistan, sous le drapeau de l’Otan et du commandement militaire américain, et il se trouve immédiatement un Pierre Moscovici, candidat au premier secrétariat du parti, pour récuser toute idée de retrait des troupes françaises de ce nouveau théâtre de la « guerre des civilisations ».
Que l’hôte de l’Élysée, soucieux de retrouver un peu de crédit dans l’opinion, évoque une mise à contribution limitée des revenus de patrimoine et de placement afin de financer le futur Revenu de solidarité active, et les hiérarques socialistes s’enthousiasment devant cette prétendue « mesure de gauche », laissant entendre qu’ils pourraient voter ce dispositif bien qu’il consacrât le développement de la précarité et qu’il encourageât à la baisse de l’ensemble des salaires [1].
Que la reprise du travail gouvernemental et parlementaire s’opère sous le signe de nouveaux plans de licenciements, d’une dégradation aggravée du pouvoir d’achat, de remises en cause en série des droits des travailleurs, de la casse accélérée du service public (avec, notamment, la privatisation de La Poste), de nouvelles mesures liberticides (telles que le fichier Edvige), et cela ne suscite, de la part de François Hollande, pas le moindre engagement en faveur de la mobilisation populaire : sa récente interview à Libération se contentait de disserter sur « le redressement de la performance de notre économie » [2] ; et, dans son discours de clôture de La Rochelle, il vient de proclamer que sa formation n’avait pas pour mission d’en appeler à la lutte, d’autant qu’elle ne saurait, a-t-il dit, répondre à toutes les attentes populaires [3]...
On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que les sondages donnent la gauche largement battue si des élections générales devaient se dérouler aujourd’hui (un sondage CSA ne lui accorde, toutes composantes confondues, que de 32 à 36% des suffrages à un premier tour de présidentielle, quel que soit le porte-drapeau du PS [4]). Ni que, au moment précis où les conditions de vie du plus grand nombre connaissent une détérioration dramatique, la popularité du chef de l’État amorce un redressement sensible chez les ouvriers (+ 12 points), auprès des foyers aux revenus modestes (+ 15 points) et parmi les personnes les moins diplômées (+ 10 points) [5].
En clair, la crise qui frappe l’ensemble des social-démocraties, sous l’effet de leur totale abdication face à la contre-révolution libérale en cours, mène la gauche hexagonale aux mêmes désastres électoraux et à la même désintégration idéologique que ses semblables en Europe. Dans une récente tribune, le fabiusien Henri Weber usait, à ce propos, de mots justes pour décrire la faillite du réformisme sans réforme dans lequel sa famille politique a perdu toute identité : « Le compromis social défensif [sic] n’a pu empêcher l’explosion des inégalités, l’essor du travail précaire, la réduction du niveau de la protection sociale, l’augmentation des “travailleurs pauvres”. » [6] Il eût pu ajouter que ce processus aura conduit les formations concernées à ne plus même savoir s’adresser aux classes populaires, selon une dynamique dont Serge Halimi montrait, voici quelques années, comment elle avait depuis longtemps permis aux néoconservateurs de conquérir durablement une ample fraction du salariat américain [7].
Un tournant majeur de situation
Montrons-nous parfaitement lucides... Ce mouvement n’a aucune chance de s’inverser dans la prochaine période, face à ce qu’il faut bien appeler un tournant de situation internationale. C’est bien à une crise globale, « profonde, systémique et durable », pour reprendre les propos de Dominique Plihon [8], d’Attac, que la mondialisation marchande et financière se trouve à présent confrontée. Avec la menace d’une récession qui plane sur divers pays... Suivant des mécanismes que Marx avait parfaitement anticipé en son temps, le capital cherchera à en sortir en faisant toujours davantage du coût du travail la variable clé de l’économie, en favorisant encore sa concentration et sa financiarisation, en généralisant la précarité au Nord et la paupérisation absolue d’une grande partie du Sud. Dans le même temps, le monde sort progressivement de la domination sans partage de l’hyperpuissance américaine, telle qu’elle s’était imposée depuis l’effondrement du bloc bureaucratique de l’Est européen. Une redistribution générale des cartes s’amorce, une redéfinition des rapports de force entre puissances est maintenant à l’ordre du jour, et le spectre de la guerre se réinvite par conséquent en diverses zones du globe.
Autant dire que la reconstruction d’une gauche porteuse d’alternative, à la politique néoconservatrice du pouvoir comme aux logiques d’accompagnement du libéralisme prévalant au PS, n’est pas seulement de l’ordre du souhaitable. Elle est l’urgence des urgences ! Sauf, naturellement, à se résigner à l’impuissance devant les catastrophes qui s’annoncent.
Parlons sans détours : la tendance à la résignation guette bien des composantes de la gauche qui, jusqu’alors, se refusaient à confondre modernité et essor d’un capitalisme imposant au monde, à la manière d’un rouleau compresseur, son idéologie, ses rapports sociaux, sa révolution technologique et informationnelle, les comportements qui lui sont adéquats. On la sent poindre dans les gauches du PS, qui ont irréversiblement échoué à empêcher le social-libéralisme d’imprimer sa marque à leur formation et qui, pour cette raison, pourraient demain se trouver ramenées au rôle peu reluisant d’appoint pour une majorité interne tournant le dos à la transformation sociale. Elle existe incontestablement au sein d’un Parti communiste qui, faute de poser audacieusement la question de son implication dans une construction plus vaste, et pour cela menacé dans sa survie même, voit sa direction attirée par la satellisation de la rue de Solferino, au prix du renoncement définitif — rapport des forces oblige — à tout changement de la donne à gauche et dans le mouvement social [9]. Elle gagne jusqu’à certains secteurs de la mouvance « alternative » qui, à l’instar de José Bové, tournent le dos à leurs engagements de la campagne référendaire de 2005 pour chercher, en vue des européennes de l’an prochain, un piteux salut dans une alliance avec l’écologie droitière de Nicolas Hulot sous la houlette du très libéral-européiste Cohn-Bendit.
Hisser l’ambition à la hauteur du défi
C’est bien au regard d’une pareille déréliction que le « nouveau parti anticapitaliste », fort de l’audience qui est la sienne, possède une responsabilité primordiale. Qu’il peut être une première étape dans l’affirmation d’une perspective porteuse d’espoir. À condition toutefois de hisser son ambition à la hauteur d’un enjeu à tout point de vue historique.
L’émergence de la « gauche digne de ce nom », dont parle à son tour — et fort à propos ! — Olivier Besancenot, ne saurait résulter ni d’appels incantatoires au nouveau parti, ni d’odes tout aussi formelles à la « bonne vieille révolution » qu’appelleraient légitimement les contradictions nodales du système. Elle ne peut d’aucune manière procéder de la funeste illusion selon laquelle une seule des composantes de la gauche radicale pourrait, à elle seule, occuper tout l’espace à gauche du PS pour devenir une alternative crédible. Elle ne doit donc pas se résumer, comme c’est encore le cas, à la multiplication par deux ou trois du nombre des adhérents de l’actuelle LCR. Elle ne saurait se satisfaire du morcellement mortifère des tenants d’une transformation radicale à gauche, au nom des expériences négatives passées ou des sectarismes persistants, ou en cherchant par avance une justification à un éventuel échec dans le fait que « si, au bout du compte, la tentative ne devait aboutir qu’à un élargissement de la Ligue, ceux qui se dérobent sous de faux prétextes en porteraient la responsabilité » [10]. Il lui faut, en d’autres termes, dépasser l’espace de l’extrême gauche auquel la ramènent inexorablement les définitions que divers dirigeants majoritaires de la Ligue donnent du « NPA » [11].
Une gauche d’opposition et d’alternative, une gauche de combat, une gauche de gauche, peu importent les termes, doit situer son entreprise non en extériorité mais au cœur de la gauche, condition sine qua non pour y bouleverser la configuration au détriment des sociaux-libéraux, pour y faire vivre une ligne d’indépendance impliquant le refus de toute compromission électorale ou gestionnaire avec ces derniers. Il lui faut, plus que jamais, rassembler toutes les forces qui entendent battre le sarkozysme, sans attendre 2012, dans les mobilisations autant qu’à l’occasion de tous les rendez-vous politiques qui se présenteront. Elle a, tout à la fois, la responsabilité d’œuvrer au développement de résistances unitaires à vocation majoritaire aux attaques du pouvoir et d’incarner un débouché politique crédible aux combats populaires. Il lui incombe, à cette fin, de défendre dans l’unité la plus large possible les mesures clés d’une politique de rupture sociale, démocratique, écologique, internationaliste et pacifiste avec un capitalisme libéral qui porte la misère et la guerre comme la nuée porte l’orage... Et puisque, sur notre continent, c’est sur la construction européenne que se focalise le choix entre des politiques opposées, avec un Nicolas Sarkozy en porte-flambeau des intérêts des firmes et de leurs actionnaires, il lui appartient de faire entendre, avec l’écho maximal, l’exigence d’une autre Europe, celle des travailleurs et des peuples. Ce qui, aux européennes de juin 2009, implique que voient le jour des listes uniques, regroupant l’ensemble des organisations, courants et militants ayant déjà testé, dans la campagne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen, leurs convergences en ce domaine.
Voilà, en cette rentrée, ce que pourrait être la feuille de route d’une gauche qui ne renonce pas. Le fait que, durant l’été, sans qu’aucun média n’y prenne seulement garde, l’appel de Politis ait franchi le cap des 10 000 signataires, est déjà l’indice que des forces existent pour transformer ce besoin en dynamique militante...