Chers camarades, normalement, la décision de fondre la LCR dans une nouvelle construction politique plus large aurait dû donner lieu à un congrès enthousiaste. Exactement le contraire de cette ambiance morose qui a présidé aux congrès locaux et à cette assemblée.
Cela me donne l’occasion de vous redire que l’enjeu de ce dernier congrès national de la LCR méritait mieux qu’un débat bâclé, expédié presque à la sauvette, en quelques heures. Sans que soit même soumis aux militantes et aux militants un bilan soigné de 40 ans d’existence — avec des acquis irremplaçables, qui ont marqué l’histoire de la gauche dans ce pays, comme avec les erreurs, parfois importantes, qui ont parfois jalonné notre long chemin...
Camarades de la majorité, nous n’avons pu vous convaincre que conduire jusqu’au bout et collectivement cette réflexion n’était pas une perte de temps, mais, au contraire que cela aurait pu être un apport primordial au processus de constitution du « nouveau parti anticapitaliste » lui-même. Que cela aurait pu contribuer à sa propre délibération et lui permettre d’approfondir l’élaboration de sa propre identité programmatique et de son propre projet stratégique.
Vous avez préféré réduire l’objet de ce congrès à un vote de quitus à la méthode suivie par la majorité de direction depuis ce qu’il est désormais convenu de désigner, jusque dans nos rangs, assez bizarrement, comme « l’appel d’Olivier Besancenot ». Quitte à entretenir une euphorie artificielle sur la réalité du NPA, et à oublier qu’il reste encore du chemin à parcourir avant de transformer 9000 adhérents titulaires d’une carte en constructeurs actifs d’un parti de militants. Quitte à fermer les yeux sur les importantes limites qui parsèment aujourd’hui les textes fondateurs du NPA, pour ne pas parler de régressions qui sautent aux yeux en regard de ce qu’était le meilleur des traditions de la LCR. Quitte à escamoter les divergences, qui se pérennisent entre les courants regroupés dans la majorité, sur ce que devrait être le NPA, par l’artifice de formules aussi confuses que celle qui le définit comme un parti voulant « révolutionner la société ». Quitte à bricoler des solutions organisationnelles brouillonnes à des problèmes complexes, tels la relation à la IVe Internationale, ou encore le système de presse. Quitte à camoufler derrière des propos triomphalistes ce singulier manque d’ambition qui voit la motion majoritaire réduire son objectif à la multiplication par deux ou par trois des effectifs de la LCR, voire au seul dépassement — je cite — des « histoires présentes au sein de la LCR ».
S’il est maintenant trop tard pour reprendre toutes ces questions, il est peut-être encore possible de préciser, de clarifier le message que nous allons porter, les uns et les autres, dès demain, auprès des militantes et des militants du NPA.
Mais il faut au préalable faire ce qui n’a pas été fait dans la discussion préparatoire à ce congrès : sortir de la répétition de formules magiques et partir des trois défis que nous pose une situation aux coordonnées entièrement bouleversées.
D’abord, le défi de la crise historique du capitalisme. Une crise qui emporte avec elle le projet néolibéral autour duquel toutes les classes dominantes s’étaient unifiées, qui ôte toute légitimité au discours idéologique qui l’accompagnait et vantait les mérites d’une « mondialisation heureuse » par l’autorégulation des marchés. Mais une crise qui menace aussi la planète de terribles régressions sociales autant que démocratiques, de ces catastrophes humaines ou écologiques que dessinent la crise alimentaire ou le changement climatique, du déchaînement des rivalités entre puissances pour un nouveau partage du monde, de barbaries guerrières, de possibles flambées de nationalisme et de xénophobie, du resurgissement même de tentations fascisantes.
Confronté à un pareil défi historique, l’anticapitalisme ne peut se contenter de conjuguer la dénonciation de l’absurdité du système, l’appel aux luttes et l’incantation à des lendemains socialistes qui chantent. Il doit prendre corps en un programme partant des exigences portées par les mobilisations populaires pour avancer des objectifs de rupture, sans escamoter la question nodale du pouvoir et, plus précisément de l’objectif d’un gouvernement s’appuyant sur une majorité de la population pour porter le fer au cœur des logiques destructrices et prédatrices du capitalisme d’aujourd’hui. C’est ce que, dans la tradition dont nous nous réclamons les uns et les autres, la tradition « trotskyste », nous appelons une démarche transitoire.
Le deuxième défi, en France comme d’ailleurs en de nombreux pays d’Europe et en de nombreuses régions de la planète, voit les classes populaires se trouver confrontées à une impitoyable offensive du capital pour sortir de sa crise sur leur dos. Sarkozy, ici, n’a nullement renoncé à plier la société française à son projet de révolution néoconservatrice qui exige que l’on brise tous les facteurs de résistance politiques, sociaux ou culturels hérités de l’histoire et des combats du mouvement ouvrier, que l’on détruise des conquêtes vieilles parfois d’un siècle ou plus, que l’on soumette les secteurs combatifs du mouvement social à un tour de vis répressif et même à un processus qui les place sous la pression d’une criminalisation rampante. La nouveauté vient cependant du fait que cette volonté des élites dirigeantes ne suscite pas seulement de la résistance. Elle crée les conditions d’affrontements majeurs, voire de cette explosion sociale que la droite avoue désormais redouter.
Ce qui se passe en Guadeloupe est, de ce point de vue, annonciateur des dures confrontations qui sont devant nous. Et la journée du 29 janvier, en dépit des incertitudes qui pèsent sur les décisions que sera amené à prendre le front syndical unitaire, a révélé la profondeur de l’aspiration à une politique foncièrement différente de celle menée par tous les gouvernements — de droite comme de gauche — sur les 25 ans écoulés.
La question posée, avec plus d’ampleur que jamais, est donc celle du débouché politique. Débouché politique dont l’inexistence a interdit aux grandes mobilisations de ces dernières années de trouver le chemin de leur convergence et de la contre-offensive nécessaire. Mais débouché politique dont tout le monde comprend qu’il ne peut ni émaner de la seule extrême gauche, ni provenir d’un seul courant politique. Car l’enjeu est d’installer, au cœur de la gauche, une gauche de combat, tout à la fois porteuse d’une opposition sans concession à la droite et au patronat, d’un refus de tous les accommodements avec la course au profit capitaliste, d’une perspective aussi crédible que radicale de transformation de la société.
Le troisième défi renvoie précisément à l’avenir à gauche. La Grande Dépression en cours et la faillite désormais patente du néolibéralisme entraînent avec elles la crise du projet social-libéral, par lequel la social-démocratie avait conclu à la victoire définitive du capitalisme et à l’inéluctabilité de son accompagnement. La mutation des partis concernés en forces libérales-démocrates les a conduits, un peu partout, non seulement à ne plus incarner la moindre alternative, mais également à perdre leur fonctionnalité de formations d’alternance dans le cadre des systèmes politiques établis. Ou bien ils gouvernent avec la droite (comme en Allemagne ou en Autriche), ou bien ils mènent la politique de la droite à la place de cette dernière (comme l’a fait le blairisme en Grande-Bretagne), ou bien ils entrent dans la spirale des échecs électoraux à répétition. Dans tous les cas, les contradictions s’approfondissent en leur sein. Le congrès de Reims vient d’en faire la spectaculaire démonstration, en débouchant sur une crise encore plus profonde et durable qu’auparavant du Parti socialiste, et en enregistrant une première rupture à sa gauche avec le départ des courants de Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez.
Comme à tous les grands moments de bifurcation historique, en même temps qu’il s’approfondit, le marasme de la gauche provoque les ondes de choc les plus diverses dans l’ensemble de ses composantes. Il ouvre des débats et libère des forces qui peuvent à terme favoriser une reconstruction à même de faire converger des secteurs militants porteurs du meilleur des traditions du mouvement ouvrier avec les nouvelles générations qui arrivent à la politique et à l’action collective.
C’est à l’aune de ces bouleversements qu’il convient de confronter la démarche de la majorité.
Pour récuser l’idée qu’il était nécessaire d’engager le dialogue et la confrontation avec les forces situées à gauche du Parti socialiste, on nous a dit que la LCR et son projet de NPA étaient la seule citadelle encore debout sur le champ de ruines de la gauche. Dit autrement, qu’entre le PS et nous, il n’y avait désormais plus rien... La déclaration signée par 10 organisations de la gauche de gauche, en soutien à la journée du 29 janvier, qui ne se contente pas de vagues intentions mais dessine un début de plate-forme politique en relation avec les mobilisations, vient très exactement de prouver le contraire. Et même, plus précisément, de démontrer qu’il existait bel et bien des partenaires possibles pour la défense d’une vraie gauche en réponse à l’attente sociale. Et la déclaration de notre camarade Besancenot, annonçant quelques jours auparavant à l’Express qu’il serait impossible de se mettre d’accord, était des plus mal venues.
De la même manière, pour légitimer que l’on ne s’adresse qu’aux anonymes et aux héros du quotidien, pour reprendre une terminologie consacrée, on nous a dit que le nouveau parti devait se doter d’un centre de gravité extérieur au mouvement ouvrier organisé. C’était à l’université d’été de 2007. La bêtise de cette posture saute aux yeux après le 29 janvier. Aucun projet crédible, aucune alternative soucieuse d’afficher une ambition majoritaire à gauche ne pourra émerger sans travailler la fracture qui traverse en profondeur la gauche et le mouvement ouvrier organisé, entre tenants de l’adaptation aux exigences du capital et partisans d’une rupture avec celles-ci.
Pour justifier que le futur NPA n’ait pour seule colonne vertébrale que la LCR, et qu’il se contente d’occuper un espace certes étoffé mais restant à l’extrême gauche, on nous a dit que tout le reste de la gauche de gauche était inexorablement vouée à la satellisation par le Parti socialiste. Sauf que, si cette tendance existe bel et bien -
qui le nierait ? -, elle se trouve contrebalancée par d’autres. Comme le prouve la proposition dont nous sommes saisis d’un front qui, aux élections européennes s’opposerait frontalement à une social-démocratie rassemblée, dans toute l’Europe, autour de la défense du traité de Lisbonne.
Dans ces conditions, quoi que les uns et les autres nous ayons pu défendre dans le passé, il serait encore possible de prendre en compte ces changements majeurs, d’infléchir le cours des choses, de réorienter la démarche pour tenir compte des opportunités qui se présentent.
C’est maintenant qu’il serait décisif de porter, dans le nouveau parti, le meilleur de ce qu’a incarné la LCR.
Ce « meilleur », on peut le résumer le résumer à grands traits. C’est d’abord le choix qui nous avait amené à ne plus nous poser comme le « noyau » du parti à construire et à définir l’objectif d’un parti large, démocratique, anticapitaliste, mais aussi largement... pluraliste, pour concourir à la reconstruction et à la recomposition politique du mouvement ouvrier. Ce « meilleur », pour construire une organisation résolument tournée vers l’extérieur, c’est une attention de tous les instants à ce qui se passe dans le reste de la gauche et dans le mouvement ouvrier. Ce « meilleur », pour échapper aux dangers de l’avant-gardisme et à la tentation de substituer l’action du parti à celle des organisations du mouvement social, c’est la nécessité de construire des organisations syndicales de masse, de défendre l’unité syndicale tout en appuyant le rassemblement des syndicalistes combatifs, de défendre avec intransigeance l’indépendance du mouvement social à l’égard des partis. Ce « meilleur », pour tirer le bilan des tragédies du siècle écoulé, et aussi pour répondre mieux que nous ne l’avons fait aux sollicitations qui peuvent nous venir de courants ayant été fascinés par une violence minoritaire et n’opérant aucune critique réelle de leurs dérives passées, c’est une conception du socialisme qui repose sur l’extension des droits démocratiques conquis en régime capitaliste, sans ignorer le caractère incontournable du suffrage universel. La « démocratie jusqu’au bout », avions-nous coutume de dire ensemble... Quel regret d’entendre à l’instant, à cette tribune avant moi, Alain Krivine développer un long discours contre les élections, en oubliant nos propres acquis en la matière...
C’est maintenant aussi qu’il importerait de porter une conception du nouveau parti comme un levier pour changer la donne au sein de la gauche. Un parti qui ne se conçoive pas comme une fin en soi mais, plus modestement, comme un premier pas accompli dans la direction de cette force large et pluraliste qui était notre patrimoine commun jusqu’à une date récente. Un parti défendant la perspective d’un socialisme démocratique et autogestionnaire.Un parti se donnant pour objectif stratégique de contester la domination du social-libéralisme sur la gauche. Un parti ayant vocation à rassembler l’ensemble des forces et sensibilités n’ayant pas renoncé à contester la domination du capital. Un parti cherchant à réorganiser la gauche à partir d’une ligne d’indépendance envers le social-libéralisme, donc refusant les impasses et les compromissions de coalitions gouvernementales ou parlementaires avec celui-ci. Un parti qui n’esquive pas la nécessité de porter dans le débat public l’objectif d’un gouvernement opérant une première rupture avec l’ordre capitaliste et s’appuyant à cette fin sur la mobilisation sociale. Un parti agissant, dans ce but, en faveur de la constitution de fronts, de coalitions, de rassemblements de tous les courants disponibles à la défense d’une politique de rupture sociale et démocratique...pour les luttes autant que pour les élections.
Chacune et chacun d’entre vous comprend bien, mes chers camarades, que la pierre de touche de ces choix fondamentaux de démarche et de stratégie va être le prochain scrutin des européennes et la réponse qui sera donnée, par le NPA, à la possibilité de faire naître un large front de gauche à cette occasion.
Évacuons tout de suite les faux-procès.
Nous ne sommes nullement des électoralistes qui négligerions les luttes, comme d’aucuns nous en accusent gracieusement. Mais nous savons inversement que ce rendez-vous politique, la dernière élection politique nationale avant 2012 - les régionales suivantes allant largement être également surdéterminées par des considérations locales et par la réforme sarkozyenne des collectivités territoriales - sera une occasion irremplaçable d’offrir une première traduction politique à la colère sociale.
Nous ne pensons pas davantage que le Parlement européen puisse être demain le cadre d’une réorientation de la construction européenne. Il n’empêche que le scrutin de ces européennes peut permettre de donner plus de puissance encore qu’en 2005 au refus de l’Europe des marchés et de la « concurrence non faussée », tout en sanctionnant Sarkozy par un vote clairement à gauche et en avançant les bases d’une autre Europe, sociale, démocratique, écologique et de paix.
Il ne nous a pas non plus échappé qu’un débat stratégique traversait la gauche de gauche sur le rapport au Parti socialiste et la conception des alliances à construire dans le futur. Mais nul ne peut ignorer qu’une dynamique unitaire puissante bouleverserait les termes de la confrontation sur ce point essentiel. L’expérience l’a déjà amplement prouvé : c’est la faiblesse de l’alternative, conséquence notamment de l’éparpillement de la gauche de transformation, qui pousse à la satellisation autour d’un Parti socialiste qui reste avant tout dominant par défaut...
Il n’est que trois critères, et trois critères seulement, pour décider de la possibilité ou non d’entrer dans un front aux élections européennes.
Le premier est le contenu. La plate-forme permettant un rassemblement doit s’ordonner autour des exigences :
- de sortie du traité de Lisbonne qui grave dans le marbre les politiques qui ont menée à la faillite que l’on sait ;
- d’un bouclier social européen pour protéger le monde du travail des politiques capitalistes de sortie de crise ;
- de la remise en cause de l’indépendance de la Banque centrale européenne dans la perspective de la réappropriation publique du système bancaire et de crédit ;
- d’une harmonisation sociale et fiscale orientée vers la redistribution radicale des richesses et le financement des besoins populaires les plus urgents ;
- d’une planification écologique à l’échelle du continent ;
- d’une égalité totale des droits pour tous les résidents européens ;
- d’un processus constituant restituant aux peuples européens leur souveraineté dans la définition de l’Europe qu’ils veulent ;
- d’une rupture avec toutes les politiques impérialistes, ce qui passe en premier lieu par la sortie de l’Otan.
Force est de constater que tous ces axes, depuis le référendum de 2005, nous les avons défendus à plusieurs reprises en compagnie des partenaires possibles d’un rassemblement pour ces européennes. Sans doute, des différences continuent-elles à nous opposer. Mais elles ne sauraient suffire à justifier, de notre part, une rupture.
Le deuxième critère est celui du pluralisme. Un accord pour les européennes ne saurait se concevoir que s’il reflète, à égalité, l’ensemble des composantes qui s’y retrouveraient... Et, bien sûr, s’il ne se réduit pas à une pure coalition de partis, mais englobe d’emblée des militants insérés dans le mouvement social ou représentatifs d’un engagement de terrain associatif ou culturel.
Et le troisième critère est celui de la dynamique militante et populaire qu’un accord national se devrait d’enclencher, au plan local et sur les lieux de travail, à travers une multiplication de collectifs, tels que ceux que la campagne du 29 Mai avait vu foisonner.
Pour nous parler franchement, hors de ces trois critères, tous les arguments que nous pouvons entendre pour motiver une logique de repli ne sont que faux prétextes. À l’échelle de millions d’hommes et de femmes de gauche, ils seront, à juste titre, interprétés comme la justification de calculs étroits, voire boutiquiers, qui n’osent pas s’avouer comme tels. À l’inverse, si la discussion sur les critères d’un rassemblement se dénouait positivement, et s’il était - comme la LCR le fut pour la campagne référendaire de 2005 - un protagoniste actif de la réalisation de l’unité, le NPA y gagnerait en audience, en crédit, en capacité d’attraction et en surface militante.
On me répondra sûrement que ce sera au NPA lui-même de trancher souverainement cette question. Certes. Mais c’est la majorité de direction de la LCR qui a poussé une majorité du comité d’animation national du nouveau parti à s’engager dans la voie d’un refus. Persister dans cette voie se paierait, à l’arrivée, d’un prix très élevé. Pour les camarades qui auraient pris la responsabilité de louper une occasion qui ne se représentera pas de sitôt. Mais surtout pour le NPA tout entier...
La réponse qu’il va donner à la proposition qui lui est faite d’un front sera, qu’on le veuille ou non, son acte fondateur. À travers lui, c’est son profil politique, son image, sa place dans le combat pour une alternative à gauche qui se joue sur les années qui viennent.
La LCR ne doit à aucun prix le pousser à ce dérapage désastreux.
Pour conclure d’un mot, si la LCR met aujourd’hui un terme à 40 ans d’existence, le meilleur de ses acquis doit continuer à vivre. Le combat qu’ont mené, dans notre organisation, la plate-forme B et le courant Unir est donc appelé à se poursuivre.