Die Linke : le vent d’Est

, par DORMOY Marc

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Évoluant dans un sens opposé à celui de la France, le paysage politique d’outre-Rhin se déplace considérablement vers la gauche. Selon un récent sondage publié par le grand hebdomadaire allemand Die Zeit, un énorme fossé se creuse entre l’establishment politique et les aspirations de l’électorat populaire. Seul le nouveau parti Die Linke se trouve en phase avec la majorité de la population et exprime le sentiment dominant des salariés.
La première question du sondage était formulée de la manière suivante : « Gauche et droite sont des termes très souvent utilisés pour qualifier des positions politiques. Où vous situez-vous par rapport à eux ? » Il y a 26 ans, en 1981, sur la base d’un même échantillon, 17 % de la population allemande se disaient de gauche et 38 % de droite. Or, en 2007 le rapport s’est inversé : 11 % se qualifient de droite et 34% se situent à gauche. Le « centre » n’a pratiquement pas bougé.
Cette évolution est particulièrement marquante lorsqu’il s’agit de questions sociales. En effet, 82% des sondés (90% en Allemagne de l’Est) rejettent la contre-réforme qui prévoit de repousser le départ à la retraite à 67 ans, défendue par le ministre du travail Franz Müntefering (SPD) de l’actuelle grande coalition CDU-SPD. Le seul parti qui défende un retour à l’âge de la retraite d’avant la contre-réforme est le nouveau-né Die Linke.

De même, sur la question des privatisations des services publics, deux tiers des Allemands estiment que « des sociétés telles que les chemins de fer, les télécommunications et l’approvisionnement de l’eau devraient rester entre les mains de l’Etat. » Mais là encore, l’ensemble des partis politiques, à l’exception de Die Linke, soutiennent une politique de bradage des services publiques au bénéfice des banques et des actionnaires.
À propos de la participation de l’armée allemande à l’occupation impérialiste de l’Afghanistan, question ultrasensible, les opinions se répartissent de la même façon : 62 % des Allemands pensent que la participation des troupes est une mauvaise chose contre 34% qui pensent que c’est plutôt une bonne chose. Die Linke, et Oskar Lafontaine en particulier, ont fait du retrait des troupes allemandes un de leurs principaux axes de combat et mobilisent massivement pour la grande manifestation nationale contre la guerre en Afghanistan, prévue le 15 septembre à Berlin.
Particulièrement étonné, notre cher journaliste Jörg Lau de Die Zeit s’interroge : « Serait-il possible que ce pays se déplace imperceptiblement vers la gauche et se trouve aujourd’hui déjà bien plus à gauche qu’il ne veut le reconnaître ? »

Les sceptiques et les grincheux

Lors de sa réunion du 25 août, la direction nationale de Die Linke a adopté un document d’orientation et de perspectives qui définit les tâches et les objectifs des prochains mois et années à venir. L’objectif est de devenir la 3ème force politique du pays, derrière les deux partis politiques qui ont dominés l’Allemagne depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, à savoir la démocratie-chretienne et la social-démocratie. Aux prochaines élections législatives en septembre 2009, un résultat dépassant les 10% est considéré comme réaliste (en 2005, la liste commune Wasg-PDS avait obtenu 8,7%) et lors des « élections de l’hiver 2008/2009 » (les élections régionales à Hessen, Hamburg et Niedersachsen) on prévoit de dépasser la barrière des 5%.
La base politique de l’action du parti est définie en particulier par « le combat contre la casse sociale et la pauvreté, contre l’aggravation des conditions de travail et le chômage de masse, contre la privatisation des services publics, les interventions militaires et pour la défense des droits démocratiques ». En effet, Die Linke se définit comme « un parti de la résistance, de l’opposition et avance une critique fondamentale du capitalisme. »
Concernant le lien du parti avec les mobilisations sociales, la direction estime qu’il « serait une grave erreur de ne raisonner qu’en termes d’élections et de campagnes électorales. L’activité des militants dans les syndicats, les associations et les mouvements sociaux constituent le deuxième pilier du parti avec l’implantation locale. » C’est l’une des raisons pour laquelles le parti se bat particulièrement pour conquérir le « droit de grève politique également en Allemagne », droit de grève lié à la perspective d’une « nationalisation et d’un contrôle démocratique des secteurs clef de l’industrie ».
Non déplaise à certains commentateurs français « bien intentionnés », le parti de la nouvelle gauche allemande n’est ni une réplique du SPD d’avant 1998 – l’année de constitution du gouvernement Schröder-Fischer – ni une tentative particulièrement perverse d’empêcher les courants « historiques » du mouvement ouvrier (communistes, trotskistes, sociaux-démocrates...) de démontrer leurs capacités de réponse face aux exigences du XXIème siècle.
Le succès de Die Linke, les adhésions massives depuis sa création, le soutien et la sympathie qu’elle reçoit de la part de ceux qui se battent au sein des entreprises et dans les quartiers, la haine qu’elle suscite dans les rangs des classes dominantes et des forces réactionnaires, l’écho qu’elle reçoit au–delà des frontières de l’Allemagne, tout cela prouve qu’il s’agit effectivement d’une force politique nouvelle, d’un nouveau courant et parti politique dont l’identité n’est pas déterminée par les expériences du siècle passé, mais qui se forgera et se construira à travers les batailles et les exigences de la nouvelle période.

Dialectique

Depuis 2003, on constate une augmentation constante du nombre des jours de grève enregistrés, aussi bien dans les grandes entreprises du privé que dans les services publics. Des manifestations locales ont lieu régulièrement dans les petites communes : manifestations contre la fermeture d’écoles, de bureaux de poste, d’hôpitaux... C’est un phénomène que l’Allemagne n’avait pas connu dans cette ampleur depuis longtemps. En juin cette année, plus de 60 000 personnes ont manifesté à Heiligendamm contre les puissants du G8 et leur politique de guerre et de destruction sociale.
À un autre niveau, la Rosa-Luxemburg Stiftung (fondation RLS ; association d’éducation et de débat marxiste lié à Die Linke) enregistre une croissance époustouflante avec plusieurs dizaines de milliers de participants depuis 2005. De même, la critique théorique du capitalisme sous ses différents aspects connaît une véritable renaissance dans les maisons d’édition.
Quand les mobilisations de masse, l’organisation politique et la critique radicale du capitalisme se développent, s’entremêlent et se renforcent mutuellement, réapparaît une question qui semblait presque enterrée : la perspective d’un autre système politique et économique, la perspective d’une société socialiste. Mais cette question ne reste pas alors réservée aux petits cercles d’intellectuels. Elle sert de point de repère et de point de cristallisation aux classes populaires dans leurs activités de tous les jours.
Et comme le dit justement Oskar Lafontaine, ce que nous voulons n’est pas « la liberté à la place du socialisme (mots d’ordre de la droite des années 1970), mais la liberté et le socialisme, ou mieux encore, la liberté par le socialisme ! »

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