L’intérêt des bilans étant d’éclairer les perspectives et les tâches, il faudrait revenir un peu en arrière du dernier congrès et des seuls débats électoraux qui ont polarisé l’organisation ces deux dernières années.
La nécessité d’un nouveau parti anticapitaliste est posée concrètement en France depuis le milieu des années 1990. Elle est posée depuis qu’à un premier facteur objectif, l’évolution accélérée vers la droite des vieilles directions du mouvement ouvrier, avec la social-libéralisation du PS et ses conséquences sur l’ensemble du champ politique de gauche, s’est ajouté le second facteur qu’a représenté la montée des résistances, de la contestation du néolibéralisme. De ce point de vue, l’année 1995 a évidemment constitué un point d’inflexion, avec la première percée électorale – donc aussi politique à une échelle de masse – de l’extrême gauche à travers Arlette Laguiller et Lutte Ouvrière, et le grand mouvement de grève des mois de novembre et décembre.
Du point de vue plus spécifique de la LCR, la nécessité d’œuvrer concrètement à la construction d’un tel parti est posée depuis le début des années 2000, après qu’elle ait commencé à se réorienter vers la gauche et ainsi à se reconstruire, et en particulier depuis le saut qualitatif que nous avons connu en termes de construction, d’intégration de nouvelles forces militantes, à la suite de la première campagne présidentielle de 2002.
Problèmes d’analyse et d’orientation
Il y avait cependant, parmi nous, des différences d’analyse et d’orientation, un certain nombre de définitions qui n’étaient pas résolues de façon satisfaisante – deux principalement.
Premièrement, il y avait un grand flou, et en fait des conceptions différentes voire opposées, quant aux contours programmatiques et politiques d’un tel projet. Cette question était liée à celle des fameux « partenaires » – avec qui voulons-nous construire ce nouveau parti et comment. Sous l’influence d’expériences telles que celles du Parti des Travailleurs brésilien ou de Refondation Communiste en Italie, ainsi que des analyses excessivement optimistes qui en étaient proposées, il y avait en effet la conception (maintenue aujourd’hui encore par la plateforme B) selon laquelle il s’agirait ou devrait s’agir d’une formation commune avec des appareils ou bouts d’appareils réformistes intégrés à l’Etat bourgeois, à ses institutions et à leur fonctionnement quotidien.
Or ces bouts d’appareil — tels que, aujourd’hui dans notre pays, le secteur Mélenchon et d’autres courants du PS, la dite gauche des Verts, la tendance Zarka-Martelli du PCF voire même le PCF dans son ensemble selon certains camarades – non seulement ne revendiquent l’anticapitalisme que très occasionnellement, même pas les jours de fête, mais prônent un antilibéralisme qui est totalement inconséquent puisqu’il refuse de s’en prendre au capital, à la propriété privée et au pouvoir patronal en s’appuyant sur la mobilisation des salariés et de la population.
Deuxièmement, la conception était alors majoritaire dans la LCR, et donc portée en particulier, jusque récemment, par la plateforme 1, selon laquelle le nouveau parti anticapitaliste était une « perspective », pour la « période », mais qu’hélas il n’y avait pas de « partenaires » (à quoi certains répondaient en désignant Lutte Ouvrière et d’autres – la plateforme 5 – les militants des luttes), et que plus généralement on ne pourrait pas commencer à faire des pas réels dans ce sens tant qu’il n’y aurait pas un « événement fondateur », compris comme quelque chose de l’ordre d’un nouveau Mai 68 entraînant une vague de radicalisation et un processus général de recomposition du mouvement ouvrier.
La plateforme 5 s’est constituée en 2003, dans le cours du débat préparatoire au 15e congrès de la LCR, sur la base de la nécessité qu’il y avait d’engager, immédiatement, par en bas, avec comme partenaires les militants des luttes, le processus de construction d’un nouveau parti anticapitaliste visant une influence de masse, un parti de lutte de lutte de classe pour le socialisme. Elle s’était dissoute trois semaines avant le congrès de novembre 2003 après voir réalisé un accord avec la plateforme 1, qui portait principalement sur l’adoption par le congrès d’une orientation — et d’un appel — « pour le rassemblement de la gauche anticapitaliste » dans une nouvelle force politique. Cet appel largement majoritaire au congrès n’a cependant pas été appliqué, à vrai dire il n’a pas même fait l’objet d’un début d’application par la direction élue, et c’est la raison pour laquelle la plateforme 5 s’était reconstituée en vue du 16e congrès de janvier 2006, avec pour axe toujours la même orientation : construire maintenant le nouveau parti anticapitaliste.
Les collectifs et le débat électoral
La question électorale était dans ce cadre une question tactique — très importante, mais tactique, subordonnée à celle des perspectives et du projet politique. En 2003, on venait de connaître le grand mouvement de grèves et de manifestations du printemps, qui avait vu le surgissement et des débuts d’auto-organisation d’une avant-garde de lutte, en particulier à travers les « intersyndicales » dans les villes et quartiers, et qui s’était prolongé durant plusieurs mois notamment avec le grand rassemblement de l’été au Larzac. Le processus de construction du nouveau parti anticapitaliste passait alors, selon nous, par la convergence par en bas avec ces couches militantes.
En 2006, la situation était différente, nous étions dans une conjoncture encore fortement marquée par la victoire du Non au référendum sur le traité constitutionnel européen, et la « gauche du Non », dont la LCR faisait partie, était regroupée dans un mouvement large antilibéral dont l’une des expressions était les collectifs, qui se posaient la question de leur transcroissance en outil politique et, dans ce cadre, celle de leur intervention dans le processus électoral de 2007 à travers les fameuses « candidatures unitaires antilibérales ».
On était alors en présence d’une contradiction évidente entre, d’une part, les aspirations fondamentalement justes et positives d’une couche très large de militants de ce mouvement, et, d’autre part, la présence et l’intervention en son sein d’une série d’appareils et courants organisés, en premier lieu le PCF, qui entendaient mettre à profit les inévitables confusions politiques afin de détourner ces aspirations sur le terrain de la collaboration avec la bourgeoisie et son Etat. Face à cette situation, il fallait selon nous une politique, une tactique, qui prenne appui sur les aspirations antilibérales pour les tourner contre ces directions inconséquentes.
Cela impliquait, tout en préparant la candidature d’Olivier Besancenot (la plateforme 5 proposait que la conférence nationale de juin 2006 lance sa « précandidature »), de mener le débat jusqu’au bout à l’intérieur du mouvement des collectifs, en organisant la bataille politique contre les orientations du PCF et de ses alliés — ceux qu’un camarade, Pierre Rousset, a ensuite désignés sous le nom « l’aréopage ». C’était, à notre avis, sur la base d’une telle bataille de délimitation que l’on pouvait le mieux, à ce moment, œuvrer à un regroupement politique vers le nouveau parti.
Nous étions donc en désaccord, aussi bien avec l’orientation majoritaire des plateformes 1 et 2, qui n’était pas de mener cette bataille à l’intérieur du mouvement à partir de ses préoccupations et de sa dynamique, qu’avec l’orientation minoritaire mise en pratique par les plateformes 3 et 4, qui s’adaptait aux directions réformistes, antilibérales inconséquentes.
Ce désaccord a été mis en évidence de la façon sans doute la plus claire lorsque, peu avant la réunion nationale des collectifs du 10 septembre 2006 à Saint-Denis, la plateforme 5 avait proposé que la LCR engage une bataille centrale sur les deux amendements d’Aubagne (qui disaient, en résumé, aucune alliance gouvernementale ou parlementaire avec le parti socialiste, et que le candidat commun ne pouvait pas être un dirigeant de parti, donc notamment pas Marie-George Buffet ou un autre dirigeant du PCF), en faisant de leur adoption la condition de la poursuite par la LCR de son engagement dans ce processus unitaire. Lors de la réunion du bureau politique ayant précédé l’échéance de Saint-Denis, cette proposition obtint une voix — la nôtre. Visiblement, des camarades s’y opposaient car ils redoutaient que la confrontation politique avec le PCF et ses alliés vienne « détruire l’unité », tandis que d’autres ne l’acceptaient pas non plus car ils craignaient tout ce qui aurait alors pu gêner ou compliquer un plan de campagne déjà programmé.
Nouvelle situation
Après l’effondrement prévisible des « candidatures unitaires », nous avons donc réussi à présenter Olivier Besancenot. Dans le marasme à gauche de la gauche, notre campagne a été la seule à émerger, et son succès a reposé à nouveau la nécessité de ne pas nous limiter à la seule construction de la LCR, mais d’initier le processus constituant d’un nouveau parti anticapitaliste. La question se trouvait toutefois reposée dans des conditions différentes de celles de 2006, puisque les conditions politiques sont aujourd’hui telles que la LCR a désormais la possibilité d’engager directement et immédiatement, avec toutes celles et tous ceux qui le souhaiteront, un tel processus de construction.
Et là, vers le mois de juin, heureuse surprise et excellente décision, il est apparu que la plateforme 1 faisait sienne cette nécessité et se disposait à aller dans cette direction. Dès lors, une large majorité de la direction sortante, puis de l’organisation ainsi que les congrès locaux l’ont exprimé, s’est rassemblée dans cette perspective. Et nous avons maintenant ce nouveau débat, avec énormément de choses passionnantes à discuter et, surtout, à faire. Au plan interne, évidemment, toutes les cartes sont rebattues.
Le projet de thèses de la plateforme A et le projet d’adresse présenté par la majorité du BP traduisent ce rassemblement sur le plan de l’orientation et offrent la base politique nécessaire — et à cette étape, suffisante — pour affronter les tâches des prochains mois. Ils ne répondent cependant pas à toutes les questions. Outre celle, très importante, de la « feuille de route », de la mise en application concrète de la ligne du processus constituant, qui devrait constituer une discussion essentielle de ce congrès, il faudra notamment avancer, ensuite, sur trois questions qui ne sont pas encore résolues.
La première est celle de l’Internationale, du rapport entre le nouveau parti et la IVe Internationale, du devenir de sa section française ainsi que de l’organisation d’une bataille politique internationale pour rassembler les anticapitalistes et les révolutionnaires dans une nouvelle Internationale. La deuxième est la question syndicale : comme une série d’événements récents et actuels en soulignent l’urgence, la reconstruction du mouvement ouvrier devra être à la fois politique et syndicale. Enfin, il faudra aussi parvenir à se défaire de certaines conceptions parfois proches de l’anarcho-syndicalisme ou du syndicalisme révolutionnaire — sans parler du « guévarisme » —, pour construire un parti politique qui, parce qu’il aura ou aspirera à une réalité et une influence de masse, devra s’habituer à répondre à la question du gouvernement, du pouvoir — celui des travailleurs.