lb : Qu’attendez-vous de l’interview de Nicolas Sarkozy ce soir ?
Alain Krivine : Moi, je n’attends rien de cet entretien. Sarkozy a joué la montre depuis son élection en laissant croire qu’il allait à chaque fois annoncer des bonnes nouvelles. Sa politique et ses méthodes sont connues. Il est directement le facteur du Medef, ce qui prouve qu’il n’y a pas que des bons facteurs. Et je crois qu’il ne faut plus attendre ses discours, mais agir comme on l’a fait le 29 janvier. On lui a imposé de stopper ses fameuses réformes. Et j’espère que c’est ce que vont faire les confédérations syndicales qui vont se réunir juste après son discours.
Jeancharl : Le NPA va-t-il abandonner toute référence au marxisme ?
Alain Krivine : Non, ça je ne crois pas. On n’abandonnera aucune référence qui semble utile au combat anti-capitaliste. Le marxisme en fait partie. On va garder tout ce qu’il y a de positif dans l’héritage trotskiste, libertaire ou communiste. Ce n’est pas un critère puisque même aujourd’hui des économistes ou des politiciens de droite se replongent dans le marxisme pour comprendre la crise.
Seb : Qu’est-ce qui vous distingue des autres partis d’extrême gauche comme le PCF, le PG ou encore Lutte ouvrière ?
Alain Krivine : Je crois que nous n’avons pas les mêmes divergences avec les uns ou les autres. Je crois que la frontière essentielle à gauche c’est entre ceux qui pensent qu’on peut réformer, humaniser le capitalisme, ou au besoin rompre avec lui par les élections seulement, et ceux qui pensent qu’il y a nécessité de renverser cette société essentiellement par les mobilisations. Pour les premiers, je fais allusion, avec des nuances, au PCF et à Mélenchon.
Et parmi les seconds, il y a nous et LO, on est dans le même camp. Ce qui nous sépare plus de LO, c’est leurs différentes tactiques : sectaire pour construire un nouveau parti et opportuniste dans les élections où ils se sont retrouvés avec la gauche aux municipales. Dans l’action, nous sommes pour rassembler toutes ces forces, et même le PS, face à Sarkozy et à sa politique. Ce qui est différent de construire un parti commun ou d’aller ensemble aux élections. C’est dans ce cadre que l’on vient de signer une deuxième déclaration commune de soutien aux grèves qui va de LO au PS en passant par les radicaux de gauche.
Maxmallium : A vouloir s’affranchir du passé trotskiste et réaliser une synthèse des courants anticapitalistes, le NPA ne risque-t-il pas de connaître les mêmes problèmes que le PS ?
Alain Krivine : D’abord il ne s’agit pas de s’affranchir du trotskisme, mais de garder ce qu’il y a de mieux dans son héritage. Par exemple l’idée de révolutionner la société, l’internationalisme. Par contre, la lutte antistalinienne n’est plus d’acualité. Il n’est pas question pour nous de faire un parti fourre-tout.
Stephanie : Pourquoi anti-capitaliste ? Etre contre le capitalisme est une chose mais que proposez-vous à la place ? Il me semble qu’il aurait fallu trouver un nom plus créatif. Pourquoi pas un nouveau nom pour un nouveau système politique ?
Alain Krivine : Le NPA n’aura pas à assumer l’héritage trotskiste qui n’est qu’un courant du mouvement révolutionnaire. Mais il se prononce nettement pour renverser la société capitaliste. C’est vrai qu’il ne faut pas être uniquement anti. Le NPA fait déjà une série de propositions positives. C’est notamment la force du discours de Besancenot, aussi bien en ce qui concerne les revendications immédiates, comme l’augmentation des salaires et des retraites de 300 euros et du smic de 400 euros net, ou de la création d’un pôle public des banques et du crédit sous contrôle des usagers...
Mais en même temps cela implique un changement de société où il faut s’attaquer à la propriété privée avec pour but, et ce sera une définition du socialisme, une autre répartition des richesses décidée et contrôlée par la population. Un exemple : on nous dit que les caisses sont vides, mais on trouve, on ne sait où, 300 milliards pour garantir les banques.
Quant au nom du parti, pour moi c’est de peu d’importance. LO est révolutionnaire et ce n’est pas dans son nom. Le Parti socialiste se dit socialiste et il ne l’est plus depuis longtemps. On choisira demain le nom qui fait le plus consensus.
Boris : Vous sentez-vous capables de gouverner la France en 2012 ? Comment concilier luttes et gouvernance ?
Alain Krivine : On n’est pas contre aller dans un gouvernement. Ce n’est pas un but en soi. Le but c’est de répondre aux exigences du monde du travail. Jusqu’à présent les principales réformes sociales en France, comme les congés payés, ont été obtenues par des grèves générales et pas par des élections. La garantie pour aller dans un gouvernement qui soit vraiment de gauche, c’est de s’appuyer sur une mobilisation générale de la population comme en 1968 et d’avoir des partenaires qui s’engagent sur un programme de rupture avec le capitalisme.
Sinon, à froid, comme l’ont fait le PCF et les Verts, c’est faire la politique de la droite et se discréditer. Et il n’est pas question qu’on le fasse.
Well : Ne serait-il pas mieux pour la France qui veut combattre la politique de M. Sarkozy que vous vous unissiez avec le Parti socialiste ?
Alain Krivine : La réponse c’est : dans l’action oui, je préfère voir le PS dans la rue que faire le guignol au Parlement en chantant La Marseillaise. Et je me félicite que le PS soit enfin venu à des réunions unitaires après les avoir boycottées. Mais cela ne signifie pas pour autant aller ensemble au gouvernement. Il a fallu la journée du 29 janvier pour les faire bouger un minimum.
Cerrumios : Quels sont les objectifs du NPA pour les élections européennes ?
Alain Krivine : D’abord définir un programme. Et ensuite le proposer à des alliés éventuels comme le PCF ou Mélenchon. Mais, pour nous, ce programme ne doit pas être spécifique aux européennes, mais être valable dans les luttes à toutes les élections et ne pas se cantonner à une simple tactique qui volerait en éclats après les européennes.
Et on connaît les points qui risquent d’achopper. Par exemple sur l’interdiction des licenciements, sur la remise en cause des privatisations, sur la création d’un service public européen pour tous les domaines essentiels de la vie (énergie, transport, eau, école...), sur l’écologie. Nous sommes pour l’interdiction des essais OGM en plein air. Pour la sortie du nucléaire, contre l’enfouissement des déchets, et pour les immigrés, le droit de vote, la régularisation et la libre-circulation en Europe que refusent les accords de Schengen.
Enfin, nous sommes pour une nette prise de position contre toute participation aux éxécutifs avec le PS. Or, le PCF et Mélenchon soutiennent à fond le parti allemand Die Linke qui dirige Berlin avec le SPD, avec des conséquences désatreuses.
Martin : Pourquoi désespérer les électeurs de la vraie gauche en n’offrant pas une réelle perspective gouvernementale ?
Alain Krivine : Je crois que ce qui a désespéré les électeurs de gauche en France c’est justement d’avoir participé à des gouvernements de gauche qui ont fait une politique de droite. Et c’est ça que nous voulons ne pas refaire. Et pour redonner confiance à la gauche, il faut justement créer une gauche de combat qui n’accepte pas toutes les compromissions que la gauche fait quand elle est au gouvernement.
92 : Le NPA est-il écologiste ? Si oui, comment fera-t-il cohabiter des écolos avec des productivistes ? Et pour quel projet ?
Alain Krivine : Pour nous l’écologie est une dimension essentielle. Nos militants sont très actifs dans la lutte sur les OGM ou contre le nucléaire et l’installation des EPR. Mais l’écologie n’a de sens que si elle remet en cause la logique du profit de la société capitaliste. Un écologiste qui n’est pas anticapitaliste devient un manchot.
Gringostnz : Croyez-vous en la croissance économique, ce concept fétiche de la société capitaliste ? Faut-il vraiment « relancer » le consumérisme ?
Alain Krivine : C’est le débat que l’on a avec les camarades décroissants qui sont entrés au NPA, légitimement. On ne peut pas aujourd’hui dire qu’on est contre la croissance et la consommation de façon abrupte quand des millions de gens n’arrivent plus à consommer un minimum pour se nourrir et quand les entreprises ferment les unes après les autres.
Par contre, je suis d’accord avec eux quand ils expliquent que notre consommation est guidée par les capitalistes qui nous forcent à consommer quand on peut, ce qui n’est pas forcément utile mais leur ramène du fric.
Je préfère la formule : dans une vraie démocratie on doit pouvoir décider ce qu’on produit, qui produit, pourquoi on produit et qu’est-ce qu’on produit. Ce qui signifie décroissance pour certains produits, croissance pour d’autres. Par exemple, je suis pour la croissance des maisons à isolation. Ça permet une décroissance de l’utilisation de l’énergie.
Nada : Vous dites « s’appuyer sur une mobilisation générale ». Mais qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Jusqu’à une situation révolutionnaire ?
Alain Krivine : Dans un premier temps c’est refaire ce que l’on a fait en 1995 contre la loi Juppé sur la « Sécu ». Le gouvernement ne recule pas devant une simple grève de 24 heures, aussi utile soit-elle. Et les salariés ne sont pas prêts à multiplier les 24 heures qui font perdre du salaire sans résultats.
D’où la nécessité d’une grève unitaire, générale, prolongée, rassemblant privé et public, Français et immigrés, sur quelques objectifs où on peut les forcer à reculer. C’est déjà le premier but : bloquer les réformes réactionnaires du gouvernement. Et après, si on a un mouvement d’ampleur, type 1968, on peut envisager bien sûr de poser le problème du pouvoir et de la société.
Julien : Pensez-vous que le concept de lutte armée est dépassé ?
Alain Krivine : Ça dépend où, ça dépend quand. En soi, personne ne peut être pour la violence armée. Nous sommes tous pour des mouvements pacifiques. Mais la violence vient toujours de la droite et des forces capitalistes. Les millions de gens qui meurent de faim, les millions de sidaïques qui meurent à cause des trusts pharmaceutiques qui refusent les génériques, les guerres actuelles pour le pétrole. Ce qui signifie que la violence armée ne peut être justifiée que comme une réaction défensive à ceux qui veulent remettre en cause les décisions et les volontés de la majorité. Elle peut se justifier aujourd’hui sous certaines dictatures, elle est justifiée pour les Palestiniens, elle l’a été parfaitement pour nos grands-parents résistants. Et là il n’y avait que les nazis pour les qualifier de terroristes.
Monsieur_raoul : Comment percevez vous les critiques qui ont été émises sur la participation de votre figure de proue, Olivier Besancenot, au média-circus, de Drucker, entre autres ?
Alain Krivine : Olivier Besancenot s’est plus fait connaître et apprécié par ses apparitions à la télévision que par la vente de notre hebdomadaire Rouge. Et malheureusement en France, si on veut s’adresser à des millions de gens, on est obligé de passer par ce genre d’émission, en y posant des conditions, ce que l’on a fait, c’est-à-dire la possibilité de faire passer un message en se faisant respecter, ou de faire parler, comme chez Drucker, des femmes salariées qui n’avaient jamais le droit à la parole. Notre unique souci c’est de faire entendre par la population nos propositions et notre message. Et le résultat est positif.
Steeve DREUX : On entend en permanence parler du « NPA d’Olivier Besancenot » ; pensez-vous qu’il s’agit d’un abus de langage, ou alors qu’Olivier Besancenot a réellement une emprise sur le NPA ?
Alain Krivine : C’est les deux. Il y a une personnalisation de la politique. Qui est malsaine parce qu’elle dépolitise les personnes. Mais, là encore, on en tient compte. Quand on fait une conférence de presse, quand Olivier est là, tous les médias sont là, quand il n’est pas là, il n’y a personne. Alors on en joue lucidement. En sachant que le NPA ce n’est pas uniquement Olivier, loin de là.
Il y a vingt ans, Olivier n’aurait pas connu cette percée, qui est donc liée à la nature du message qui aujourd’hui passe très bien, et bien sûr à la qualité du personnage que personne ne peut nier. On va s’efforcer au NPA de faire connaître d’autres porte-parole, mais malheureusement cela ne dépend pas que de nous.
Hnaillon : Pourquoi si peu de femmes dans votre équipe dirigeante ?
Alain Krivine : Mais parce que la presse n’a repéré que les hommes. Au bureau politique de la Ligue, moitié de femmes moitié d’hommes.
Et ça sera le cas pour les 150 dirigeants du comité politique du NPA. Même s’il y a encore une minorité de femmes au NPA. La parité sera et est respectée dans toutes les directions.