- LeCourant.info : Vous avez proposé dimanche la création d’un nouveau mouvement « Gauche Unitaire ». Olivier Besancenot vous reproche de vous être vous-même mis en dehors du NPA. Que lui répondez-vous ?
Christian Picquet : C’est une façon singulière de régler un différent politique, qui rappelle le temps du stalinisme, où l’on disait que les minoritaires et les opposants s’excluaient seuls du parti. J’ai annoncé la construction d’un mouvement politique de gauche unitaire, qui sera dans le Front de Gauche et qui mènera campagne. Mais je ne souhaite pas contribuer à l’éparpillement de la gauche radicale. Mon souci est davantage de perpétuer la tradition unitaire du NPA et de la LCR, y compris auprès de formations non trotskystes, de leur permettre d’accorder leur conviction et leur pratique en abordant les Européennes sous l’étiquette la plus unitaire possible, à gauche du PS.
- Quitter le NPA, ce n’est pas une option que vous envisagez ?
Mon problème n’est pas celui là, je ne vais pas pour le moment quitter le NPA. Mon parti a pris une lourde responsabilité en refusant la main tendue par le Front de Gauche. Cette décision politique va à rebours de toutes mes convictions. Elle s’oppose aux nécessités de l’heure actuelle, soulevées par la crise du capitalisme. On annonce chaque jour dans toute l’Europe, des milliers de suppressions de postes et de fermeture d’entreprises. Ces attaques soulèvent une colère qui va s’exprimer le 19 mars dans le cadre du mouvement syndical français. Dans un tel contexte, une offre à la hauteur est nécessaire, et aucune force politique actuelle ne peut l’apporter seule. La proposition du PCF et du PG était raisonnable. Il s’agissait de présenter une réponse politique que le PS ne peut pas apporter, vu son soutien à l’Europe libérale. Si on veut proposer une alternative crédible qui donne envie aux gens d’aller voter, il faut se rassembler. Le repli autarcique de mon parti sur des calculs boutiquiers m’est apparu désastreux. Nous avons donc choisit de nous présenter pour cette élection européenne sous la bannière qui nous paraissait la plus unitaire.
- « Repli autarcique », « calculs boutiquiers »... Un sondage paru dans le Monde crédite pourtant le NPA de 9 % des intentions de vote.
Besancenot est crédité de son parler franc face à la politique du gouvernement. Mais il sortira autre chose du verdict des urnes. Je crains que mes camarades ne se croient réellement seuls face à la dérive du parti socialiste, seuls face à l’UMP et à Nicolas Sarkozy. C’est une intoxication provoquée par l’enferment dans la bulle sondagière (sic) et médiatique.
- La stratégie d’Olivier Besancenot n’est donc pas la bonne selon vous ?
Olivier Besancenot, dont je ne conteste pas la légitimité, parle comme moi un langage de gauche. Il devrait donc faire primer les intérêts du peuple avant ce qu’il croit être les intérêts du NPA. En ne le faisant pas, il donne l’impression aux électeurs de se comporter comme les autres politiciens. Des millions de gens n’en peuvent plus de la politique menée par le pouvoir, et expriment par leur mobilisation une volonté d’unité dans le rapport de force, comme on vient de le voir aux Antilles. Mes camarades vont à l’encontre de cette attente d’une offre politique large et vraiment à gauche, qui propose des mesures de rupture avec le capitalisme libéral en faillite. Ceux qui auront fait le choix de l’unité auront une prime dans le vote des électeurs, j’en suis convaincu.
- Dans ce cas là, pourquoi ne pas avoir rejoint le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon ?
Sur le moyen terme, je suis pour la création d’un nouveau parti qui rassemble toutes les tendances de la gauche radicale, à la manière de Die Linke en Allemagne, qui a fédéré des cultures politiques très différentes. Notre objectif avec Jean-Luc Mélenchon, est de construire une dynamique. Il ne s’agit pas d’aller dans un autre parti, il faut redistribuer les cartes au sein de la gauche. Je crois que cette « gauche de gauche » est majoritaire parmi les électeurs, sur ses options de rupture avec le capitalisme. Elle peut devenir majoritaire dans les urnes. Je n’entend cependant pas renier ma tradition politique, mais mon ambition va au delà d’une alliance électorale. Pour la première fois deux partis le PCF et le PG tendent la main à la tradition de l’extrême gauche, il faut la saisir. Quelque chose à bougé, il faut ouvrir une dynamique plus large.
- Ce processus unitaire peut-il se faire sans le NPA ?
On va travailler à interpeller les militants du NPA par l’exigence d’unité. Le meeting du zénith est une démonstration de cette attente. Réunir à froid 6 000 personnes, alors que l’échéance est encore loin, peu de forces peuvent le faire. Je fais ce que le NPA entier aurait du faire. Je suis là pour sauver l’honneur d’une tradition politique, dont l’héritage historique aurait dû l’amener à rejoindre le Front de gauche. Si la campagne unitaire s’ancre sur le terrain, je ne doute pas que les militants du NPA se rendent compte de l’impasse dans laquelle ils s’engagent. L’isolement est mortifère et sans issue. Le NPA continue à regrouper en son sein une expérience militante et des milliers de militants d’une valeur inestimable. Loin de moi l’idée de mépriser ces personnes comme l’a fait Olivier Besancenot avec moi. Le NPA n’est pas mon adversaire puisque j’en ai toujours la carte. Je constate que pour lui faire retrouver le chemin de la raison il faut construire une dynamique hors du parti, à ses flancs, pour qu’ils retrouvent la voie de l’unité. Je m’y emploierai jusqu’au dernier instant, au dépôt des listes.
- Êtes-vous prêt à ouvrir votre démarche unitaire jusqu’au Parti Socialiste ?
J’ai aucun espoir de voir les Strauss-Kahn, Delanoë, Aubry ou Royal se repositionner. Ils n’ont rien compris à la faillite de l’accompagnement du capitalisme. Je différencie la direction du PS de ses militants et de ses électeurs. La base socialiste aspire massivement à la même politique de rupture que nous. La direction, elle, est dans une logique d’accompagnement du capitalisme, comme tous les partis socialistes européens qui ont choisi de signer il y a quelques semaines à Lisbonne, le « manifesto » (programme du parti socialiste européen, ndlr). Or ce traité grave dans le marbre toutes les politiques libérales et capitalistes qui ont conduit à la crise systémique et civilisationnelle que traverse actuellement la planète. La question n’est pas de faire revenir à gauche la direction du PS mais de changer le rapport de force. Il faut faire en sorte que la gauche radicale, c’est-à-dire fidèle à des valeurs de transformation sociétales, devienne majoritaire au sein de la gauche. Pour y arriver, il faut gagner de nouveaux secteurs de l’électorat et des militants socialistes.
- Besancenot ne sera pas tête de liste aux européennes, comment interprétez-vous de ce choix ?
Je crains que Besancenot ne rêve de refaire un mai 68 sans en avoir tiré les leçons. Cela fait partie des choses qui me laissent pantois. En tant que parti on ne peut pas renoncer à exister sur le champ électoral. Sauf à penser que les luttes vont produire par elles-mêmes leur propre débouché politique, ce qui ne s’est encore jamais vu. Il est nécessaire d’investir tous les terrains. Les européennes sont une échéance politique de première importance : c’est le première scrutin national depuis 2007 et le dernier avant 2012. Donner l’illusion de le mépriser, se targuer de ne pas vouloir occuper le champs des institutions, c’est de l’infantilisme pur. Besancenot aurait dût être candidat pour prolonger sa présence dans les luttes sur la scène électorale, plutôt que de donner le sentiment qu’il méprise ceux qui se rendent aux urnes. On ne fait pas l’économie de ce genre de rendez-vous.