L’annonce de votre participation à Vivement Dimanche avait déclenché une polémique au sein de votre organisation. Après la diffusion de l’émission, quelles ont été les réactions ?
Olivier Besancenot : On a eu beaucoup de retours, et des retours extrêmement positifs. Des salariés d’entreprise, notamment, qui ont entendu à la télé des gens qu’on n’entend pas d’habitude, des gens qui viennent des luttes ouvrières. On avait demandé à faire venir deux femmes salariées pour qu’elles puissent raconter leurs luttes et leurs conditions de travail. Ça a permis à plein de gens de s’identifier et de se reconnaître dans les expériences qu’elles ont racontées. On a reçu beaucoup de témoignages de sympathie.
MB : Justement, au cours de l’émission, vous avez beaucoup parlé des luttes sociales de ces dernières années. Est-ce qu’il vous semble que nous vivons une période de renouveau des luttes ?
OB : Oui. Ça fait plusieurs années que nous vivons un certain renouveau. On ne peut pas le dater avec précision car il s’agit d’un processus. Mais l’hiver 1995 apparaît quand même comme un point de basculement et d’inauguration d’une situation nouvelle, avec de nouvelles mobilisations menées par des salariés très touchés par la précarité. Dans la foulée, il y a eu les mouvements altermondialistes qui ne se réduisent pas aux forums altermondialistes. C’est un mouvement en profondeur de gens qui mènent des campagnes concrètes sur l’eau comme patrimoine commun de l’humanité ou l’annulation de la dette.
Et puis, depuis une dizaine d’années, on a aussi le plaisir de voir que des contacts internationaux se reconstituent un petit peu. Tout ça se traduit par des mobilisations de plus en plus en plus denses ces dernières années. Il y a eu la grève des retraites de 2003 et le CPE qui a réhabilité l’idée que la lutte pouvait être victorieuse.
Donc oui, il y a une résistance qui est là et qui s’exprime même dans les moments difficiles. Beaucoup de gens pensaient que l’élection de Sarkozy allait porter un coup d’arrêt aux mobilisations, mais ça n’a pas été le cas, les résistances continuent. Je ne veux pas non plus dresser un tableau trop optimiste de la situation mais il faut bien constater que ces résistances-là existent, et qu’au travers d’elles, il y a un nouveau salariat qui s’exprime et s’organise.
Il y a une nouvelle génération qui milite, qui prend part aux mouvements, qui entre dans la lutte pour la première fois.
MB : Dans les mobilisations récentes, il y a effectivement une nouvelle génération qui s’exprime, mais aussi de nouveaux secteurs du salariat, des femmes, des précaires qui se mettent en mouvement. Je pense par exemple aux grèves récentes chez Carrefour, à La Fnac, chez Monoprix. Est-ce que la LCR parvient à toucher ces nouveaux militants qui sont traditionnellement relativement étrangers aux organisations syndicales et politiques ?
OB : L’enjeu est double. Il y a des conflits en cascade dans des secteurs où on n’était pas habitué à voir les gens entrer dans la lutte. Dans le commerce, Pizza Hut, Mac Do, la FNAC. Donc la première chose pour nous, c’est de donner un répondant politique à ces gens qui ont découvert l’engagement dans ces nouvelles luttes. Pour nous il s’agit d’être en phase avec leurs aspirations, de répondre à leur envie d’aller plus loin.
Le deuxième enjeu, c’est de recréer un sentiment de classe majoritaire qui soit à l’image du prolétariat tel qu’il existe aujourd’hui. D’un point de vue marxiste, il n’y a jamais eu autant d’exploités, de gens qui vendent leur force de travail intellectuelle ou manuelle. D’un côté, on n’a jamais été aussi nombreux que dans cette phase-là de l’histoire du capitalisme à devoir vendre notre force de travail pour vivre mais, d’un autre côté, il n’y a jamais eu un sentiment de classe si faible.
Il y a une espèce de paradoxe. Quantitativement, il y a de plus en plus d’exploités et, qualitativement, on est de moins en moins nombreux à avoir conscience de l’exploitation. Donc le problème concret, c’est de partir des luttes pour reconstruire un sentiment de classe pour ce nouveau prolétariat. Mais sur ce point, le venin capitaliste est encore très efficace. Il suffit de voir les divisions qui existent entre le public et le privé, les secteurs les plus précaires et les secteurs plus stables.
MB : La LCR vous semble aujourd’hui capable d’organiser des mères de familles, des précaires, des nouvelles générations qui n’ont pas le profil habituel du militant trotskyste ?
OB : Oui. Et on l’a déjà fait en partie. La Ligue a beaucoup changé socialement. Depuis 2002, on a appris à intégrer des tas de secteurs qu’on n’avait pas réussi à intégrer jusqu’ici. Mais ce n’est pas vraiment la question. Le problème, pour nous, ce n’est pas seulement d’intégrer des nouveaux secteurs. C’est de réussir à reconstruire une force politique nouvelle pour tous ces gens là.
Il faut avoir une vision d’ensemble des luttes et comprendre que cette multitude de nouveaux exploités n’a pas pour l’instant de représentant. Pendant très longtemps, les organisations d’extrême gauche ont cru que pour s’adresser aux salariés, il fallait passer par la médiation des partis ouvriers traditionnels, notamment le Parti Communiste. Il y avait l’idée que c’était le PC qui tenait les organisations syndicales, qui formait les cadres ouvriers, qui organisait la classe ouvrière et que, sans passer par le PC, on ne pouvait pas toucher les salariés.
Or il se trouve que ce n’est plus vrai. Aujourd’hui, il y a des tas de personnes qui entrent dans la bagarre par le syndicalisme, sans pour autant passer par la CGT et le PC dont les liens se sont de toutes façons distendus. Ça ne veut pas dire que le PC a disparu. Il y encore des tas de militants ouvriers au PC, mais on n’est plus dans cette phase où l’on ne pouvait pas exister seuls.
Aujourd’hui, l’enjeu est de réussir à agir nous-même, et d’arrêter de se contenter de dire aux autres de faire ci ou de faire ça. Il faut vraiment construire une nouvelle représentation politique à l’image de ce nouveau salariat issu des luttes.
MB : C’est votre analyse du renouveau des luttes sociales qui vous a conduit à décider la création d’un nouveau parti, le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) ?
OB : Tout à fait. A la Ligue, c’était un vieux projet. Depuis la chute du mur de Berlin, on dit qu’il faut un nouveau parti et un nouveau programme. Car on pense qu’il y a un cycle historique, qui avait commencé en 1917 avec la révolution russe, qui s’est terminé en 1989.
Dire que ce cycle historique est clos, cela ne veut pas dire qu’il faut rejeter en bloc cette période, mais qu’il faut regarder ce siècle-là pour en tirer les enseignements sur ce qu’il faut faire et ne pas faire, et comprendre en même temps qu’on est dans une nouvelle période. La révolution russe ne peut pas rester le point de référence qu’elle a été pour toutes les organisations révolutionnaires pendant un siècle.
Donc c’est un projet qui ne date pas d’hier. Mais la question était, comment réussir à le mettre en œuvre ? Pendant longtemps, la Ligue a pensé qu’on y arriverait en fédérant tous les groupes à la gauche de la gauche, c’est-à-dire en fédérant tout ce qui existait déjà. Moi, je ne partageais pas cette orientation et je ne la partage toujours pas. C’est une incompréhension du mouvement profond qui anime la société d’aujourd’hui.
Je pense au contraire qu’il faut s’appuyer sur les luttes elle-même. Je crois que les luttes sociales ont en elles-mêmes une vertu émancipatrice. Quand il y a des vagues successives de secteurs du salariat et de la jeunesse qui vont au carton, qui vont à la bagarre, qui font leurs armes dans les luttes, qui se politisent, qui se conscientisent, il faut comprendre que l’enjeu c’est la recherche d’une nouvelle représentation politique.
Or tous ces gens qui luttent depuis une dizaine d’année ne se reconnaissent pas dans la gauche institutionnelle. Ils peuvent voter pour elle pour faire barrage à la droite, mais ils ne se reconnaissent pas dedans. Donc l’espace, on sentait qu’il existait, mais on se trompait sur la façon de l’occuper. Il faut sortir du discours où on dit « venez, venez, c’est nous qui avons raison », pour dire au contraire, « venez agir par vous-même ». Je crois qu’il faut faire passer l’idée que les gens doivent être acteurs de leur lutte.
MB : Donc il y a des luttes sociales d’ampleur et la LCR occupe une place médiatique de plus en plus importante. Est-ce que la rencontre entre ces luttes et votre organisation se produit ? Tout simplement, est-ce que, au-delà du succès médiatique, la Ligue connaît un grossissement organisationnel ?
OB : Oui, il y a un grossissement. Avant, la LCR ne s’adressait qu’à des militants très au courant, très politiques, et elle ne pensait pas qu’elle pouvait tout simplement s’adresser aux gens directement. On a appris à le faire, dans les échéances sociales, dans les échéances politiques, dans les échéances électorales. On assume d’avoir une politique.
MB : Mais est-ce que très concrètement vous parvenez à attirer de nouveaux militants ?
OB : Oui. Depuis 2002, on a doublé nos effectifs. On est quatre ou cinq mille avec l’organisation de jeunesse. Et surtout, on a réussi à stabiliser nos effectifs. Il y a pourtant eu un mouvement de départ assez étrange de la part de gens qui ont fait vivre la Ligue pendant longtemps et qui ont décidé de partir quand une nouvelle génération est arrivée. Une manière de se dire : « on a fait notre boulot, on peut se reposer maintenant ».
Ils ne sont pas partis sur la base de désaccords politiques, mais ils ont préféré redevenir des sympathisants plus lointains. En même temps, il y a eu de nouvelles arrivées qui nous ont permis de redémarrer des activités qu’on ne faisait plus depuis des années, que moi-même je n’avais pas connues à la Ligue, comme des activités régulières en direction des entreprises et des quartiers populaires.
MB : Ces nouvelles arrivées et ces nouvelles activités donnent l’impression qu’il y a un changement de profil des militants de la LCR...
OB : Socialement, oui. La ligue ressemble beaucoup plus qu’avant à la société. Il y a des salariés, des femmes, on s’est ouvert et notre organisation est plus à l’image des classes populaires. Dans nos meetings, on a commencé à voir arriver des salariés, des prolos, des jeunes des quartiers, donc il a fallu qu’on trouve des moyens d’intégrer tous ces gens là.
Ce n’est pas toujours facile. Il y a quand même une crise de l’engagement. Dans notre société, les gens ont tendance à se dire : on va déléguer notre représentation à quelqu’un pour qu’il fasse le boulot à notre place. C’est un sentiment qui est cultivé par ceux qui dominent et qui nous exploitent. Donc trouver du temps pour s’engager soi-même, pour militer soi-même, ce n’est pas évident. Et nous, sur ce point, on a fait des gros progrès.
L’idée du NPA, ce n’est surtout pas de faire un parti d’adhérents passifs. Je n’arrête pas de le répéter. Ce qu’on ne veut surtout pas faire, c’est un site où les gens cliquent avec une souris pour donner de l’argent et devenir adhérents sans s’investir. C’est une solution de facilité dangereuse. Cela revient à déléguer sa représentation politique à des spécialistes qui ont le temps et qui, eux, vont faire de la politique. Cela engendre des partis où la direction n’a plus de rapports avec sa base. Des partis bureaucratiques.
On a connu une extrême-gauche qui n’arrêtait pas de dire qu’elle voulait représenter les exploités et quand on regardait qui était dedans, on ne trouvait que des profs, hommes et blancs. Je suis un peu caricatural, mais la tendance, c’était ça. De la même manière, on ne peut pas dire « on veut être une organisation qui défend les salariés », et faire des réunions toutes les semaines qui se terminent à trois heures du matin. Parce que, quand on est étudiant, c’est sympa, mais quand on embauche à cinq heures, ce n’est pas possible.
Un autre exemple, faire des réunions à trente, c’est très bien pour ceux qui on l’habitude de parler en public, mais quand on démarre en politique, ce n’est pas forcément une bonne idée. C’est à nous d’inventer des moyens pour que chacun puisse être vraiment acteur dans l’organisation, prendre la parole, s’exprimer, militer. Il faut trouver un fonctionnement qui permette aux gens d’avoir confiance en eux. On n’a pas de solution parfaite, mais ça fait partie des discussions qu’on doit avoir.
MB : Donc la ligue s’ouvre, grossit et modifie son fonctionnement. Est-ce que ces changements ne s’accompagnent pas d’un certain glissement ? Vous dites vous-même que tout l’échiquier politique se déplace vers la droite, que Nicolas Sarkozy copie l’extrême-droite, pendant qu’une partie des socialistes cherche à s’allier avec le Modem. Est-ce que vous-même ne cherchez pas à prendre la place du parti socialiste ? Au cours de l’émission Vivement Dimanche, Christiane Taubira notait par exemple que vous ne « jetiez plus le parlementarisme par la fenêtre ».
OB : Ça, c’est elle qui le dit. On a toujours eu un regard de défiance et de méfiance sur les institutions. J’ai dit à plusieurs reprises ce que nous pensions d’un système sans proportionnelle et d’une Ve République qui n’est absolument pas sociale.
Par contre, nous assumons la représentation parlementaire si c’est sur la base de notre indépendance. Une des marques de fabrique de la LCR ces deux dernières années, c’est de résister à la pression qui entraîne tout le monde de plus en plus à droite. Parce que, non seulement la droite court après l’extrême droite et la gauche après le Modem, mais une grande partie de la gauche radicale n’assume pas son indépendance et court elle aussi après le PS.
Pendant les municipales, par exemple, notre critère essentiel pour constituer des listes avec d’autres, c’était l’indépendance vis-à-vis de la direction du PS. Il est impensable par exemple de se présenter avec le PS au premier tour. Il faut résister à cette pression. Et c’est difficile. Parce que les gens ont des illusions. Ils se disent, « Besancenot, il va se faire élire et avec sa grande gueule, il va changer les choses pour nous ».
Il faut écouter ces gens et essayer de montrer que ce n’est pas la solution, que personne ne pourra faire à leur place. Nous devons tous réfléchir à un autre fonctionnement démocratique qui aille du bas vers le haut et non du haut vers le bas, qui soit au plus près de la réalité des quartiers et des entreprises, qui soit autogestionnaire, qui soit une combinaison du suffrage universel et de la démocratie directe. Donc non, on ne dérive pas vers la droite.
Après, dans l’extrême gauche, certains nous disent « vous trahissez, vous ne voulez pas faire un parti marxiste-léniniste trotskyste ». Oui, c’est vrai, mais ça n’a rien à voir avec une dérive à droite. Il faut comprendre la période dans laquelle on vit, assumer le passé, prendre ce qu’il y a de meilleur dans chaque tradition et ne pas avoir un rapport fétichiste aux étiquettes.
MB : Mais quelle différence y’a t-il entre le parti que vous voulez construire et un parti marxiste-léniniste trotskyste ?
OB : Cette formule n’a pas de sens. Quand on dit marxiste-léniniste trotskyste, on dit que le trotskisme est la synthèse de tout le marxisme et de tout le léninisme. Et moi, je ne crois pas. Il ne faut pas raisonner par étiquette, mais réfléchir à ce qui nous tient à cœur dans chaque tradition comme l’internationalisme et l’idée de la révolution permanente.
Je suis porte-parole d’une organisation trotskyste, j’assume cet héritage. Mais il y en a d’autres et, surtout, cela ne doit pas être prétexte à des querelles de chapelles. Nous ne sommes pas des professeurs rouges. Il y en a trop à l’extrême gauche. On ne peut pas se contenter de résister au temps. Ce n’est pas un programme de tenir le drapeau en étant minoritaire. La révolution, on veut la faire avec la majorité de la population. Il ne faut pas avoir peur du nombre.
MB : On oppose souvent l’extrême gauche révolutionnaire et la gauche institutionnelle, la gauche de gouvernement. Vous vous sentez de gauche ou d’extrême-gauche ?
OB : On ne peut pas poser la question comme ça. Tout le monde revendique d’être la véritable gauche. C’est fatigant. Moi, je me sens révolutionnaire, c’est ça mon identité. Je parle à titre personnel. Quand on me demande qui je suis, je dis que je pense qu’il faut renverser ce système et en mettre un autre à sa place. C’est la nature de mon engagement.
Après, chacun a sa méthode pour le faire, mais c’est secondaire. On ne va pas passer notre temps à discuter de notre rapport à Trotsky et à la révolution russe. Il faut avant tout agir pour la révolution. Le clivage réforme-révolution a évolué. Aujourd’hui, il n’y a plus des révolutionnaires face à des réformistes, mais des révolutionnaires face à des gestionnaires du système. Plus personne ne propose même de réformer l’économie de marché. Il n’y a plus de place pour le réformisme. La mondialisation, les crises du système économique ne permettent plus aux dirigeants de lâcher des miettes comme ils ont pu le faire pendant les trente glorieuses par exemple.
MB : Vous dites que le NPA sera un parti révolutionnaire et vous avez aussi beaucoup dit que vous ne vouliez surtout pas construire une LCR bis. Pourquoi ne pas avoir cherché de partenaires, notamment du côté de Lutte ouvrière ?
OB : On a rencontré la direction de LO dès le début. On leur a proposé d’appartenir à ce nouveau parti et ils ont refusé parce que ce n’était pas un parti marxiste-léniniste trotskyste. Le lendemain, on a appris qu’ils se présentaient avec le PS au premier tour des municipales. Cherchez la cohérence. Mais ça ne me fait pas rire. L’extrême-gauche ne devrait pas être une réserve d’indiens où on se tire dans les pattes à tout bout de champ.
MB : Dans le passé, la LCR et LO se sont présentés en commun aux élections, et pendant un moment, les médiats vous appelaient « la relève d’Arlette ». Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’évolution de Lutte ouvrière ?
OB : Ce que je veux leur dire, c’est qu’ils n’ont rien à perdre à essayer de faire ce parti avec nous. Il ne s’agit pas de faire un tête-à-tête LO-LCR, mais de participer à créer un grand rassemblement de gens qui ont envie de lutter. On l’a dit depuis le début, on ne cherche pas à rassembler par en haut, en passant des accords avec les autres organisations, ça n’a jamais marché.
On veut rassembler par en bas, en regroupant des gens, des militants d’ailleurs, des groupes. Ça pourrait être une opportunité pour Lutte ouvrière de participer à ce mouvement. Ils sont convaincus que nous sommes des réformistes depuis toujours et qu’ils sont les seuls à rester purs, je les invite à venir voir par eux-mêmes. Cela dit, quoi qu’il se passe, ça n’enlèvera rien au respect que j’ai pour Arlette et pour tous les combats qu’elle a menés et qu’elle mène encore.
MB : Vous dites vouloir rassembler, mais beaucoup vous accusent d’être responsable de l’échec des collectifs antilibéraux qui avaient vocation à faire fusionner tout la gauche antilibérale en regroupant le PC, une partie des Verts, la LCR et un certain nombre de personnalités isolées ?
OB : Nous nous sommes investis dans les collectifs, nous discutons encore avec ce qu’il en reste, mais on ne veut pas attendre que toutes les organisations soient d’accord entre elles pour commencer à agir. On veut créer un nouvel outil pour les luttes. Et comme on n’a pas de rapport fétichiste à l’outil politique, on continuera de discuter avec tous ceux qui en ont envie. Le but du jeu, c’est de fédérer les forces anticapitalistes.
MB : Mais n’est-ce pas contradictoire de vouloir fédérer et de se couper des autres courants de la gauche de la gauche ?
OB : Ça fait partie des contradictions qu’on assume. Pendant trente ans, on a essayé de fédérer par le haut en s’asseyant autour d’une table avec des responsables de tel ou tel groupe pour élaborer un programme commun. Ça n’a jamais marché. On discutait entre nous en oubliant de s’adresser aux gens.
Moi, j’ai passé toutes mes premières années à la Ligue à coller des affiches pour d’autres organisations. On ne peut pas nous reprocher de ne pas avoir essayé, on l’a fait mille fois. A un moment, il faut savoir se dire que ça ne marche pas et tenter autre chose. C’est ce qu’on fait en essayant de fédérer par le bas.
MB : Votre éloignement de la gauche de la gauche ne s’expliquerait que par une difficulté historique à se mettre d’accord. Il n’y a pas de divergences politiques entre votre projet et le leur ?
OB : Si. Le rapport au parti socialiste. Nous voulons la garantie de notre indépendance vis-à-vis de la gauche gouvernementale et eux, ce n’est pas clair. La question est quel est l’objectif de cette gauche radicale ? Est-ce qu’il s’agit d’essayer, de l’intérieur, d’arracher tout ce qu’on pourra arracher à la sociale-démocratie ou, au contraire, d’assumer son indépendance pour contester l’hégémonie politique à gauche du social-libéralisme ?
Il y a un choix à faire, et nous, on a tranché. Si on veut créer une majorité d’idée, il faut accepter de contester l’hégémonie du parti socialiste, et pour ça, il faut commencer par être indépendant de sa direction.
MB : Quel regard portez-vous sur l’état actuel de cette gauche gouvernementale ?
OB : Ce n’est pas mon problème. Je ne m’occupe pas de leur problème de leadership, je n’ai pas de bons et de mauvais points à distribuer sur la direction du PS puisqu’elle défendra de toutes façons un programme que je ne partage pas. Ce qu’on veut faire, c’est justement regrouper tout ceux qui pensent qu’autre chose que l’économie de marché est possible.
MB : Pour vous, le PS n’est pas aujourd’hui une alternative au sarkosysme ?
OB : Ah non. Ça se saurait. Si je le pensais, je serais au parti socialiste. Par contre, on peut se retrouver avec eux dans les luttes. S’ils ne sont pas d’accord avec la réforme des retraites, qu’ils le disent et on luttera ensemble. Plus on est nombreux, plus la gauche s’unit largement dans les mobilisations, plus on a de chances de gagner. Lors de la lutte contre le CPE, l’engagement du PS dans la mobilisation a été un appui important.
MB : Votre projet de nouveau parti n’a pas fédéré tous vos militants. Il y a une minorité dans votre organisation dont l’animateur principal - Christian Picquet - vient d’être, à peu de choses près, exclu.
OB : On a eu un congrès, 83% des militants ont approuvé le projet. Il y a une minorité qui n’est pas d’accord, je ne veux pas m’exprimer à leur place, ils le font très bien eux-mêmes dans les médias et dans notre presse à nous, puisqu’on est pour la liberté d’expression.
Mais il faut comprendre que la Ligue est dans un processus irréversible. On a lancé un appel, on sent que ça mord, on ira au bout. On laissera la place aux nouveaux qui arrivent et qui ne sont pas de vieux briscards de la politique. Et on renforcera les liens avec les autres forces européennes pour construire à terme une force anticapitaliste européenne.
MB : Pour finir et prendre de vos nouvelles à vous, où en est votre plainte pour avoir été espionné ?
OB : Rien de neuf. On a porté plainte et on attend.
MB : Ça vous a ébranlé ?
OB : Un peu, mais je ne veux devenir ni parano ni pleurnichard. La tentative de déstabilisation des militants anticapitalistes et révolutionnaires, ça ne date pas d’hier. Ce que je ne digère pas, c’est la vie privée. Suivre mon gamin jusqu’à l’école pour repérer, je cite, ses « habitudes », ça, ça ne passe pas.
MB : Vous dites que vous n’avez pas pris goût à l’agitation médiatique que vous suscitez. Je veux bien le croire. Mais malgré tout, après avoir milité des années dans une organisation très minoritaire, avec peu d’audience et quasi aucun relais médiatique, cela doit quand même être assez enthousiasmant de susciter un si grand intérêt ?
OB : Bien sûr, on s’éclate. C’est exaltant, c’est même grisant de voir que notre discours passe dans plein de secteurs du salariat et de la jeunesse. On voit les gens arriver en manifestation, dans les meetings, dans les entreprises où on m’appelle pour que je vienne. C’est très gratifiant, c’est formidable. Mais surtout parce que c’est militant, et parce qu’on sait qu’on a un groupe derrière.
MB : Mais vous, vous ne ressentez pas vous-même une certaine exaltation ?
OB : Mais si, bien sûr. Je ne suis pas un batracien. Par contre, répondre aux médias, c’est vrai que je n’y prends pas goût. Et je ne pense pas que ça va changer. Mais quand il y a des gars qui appellent parce qu’ils nous ont entendu parler dans les médias pour dire : « On occupe notre boîte depuis trois jours, on aimerait qu’Olivier vienne nous voir », ça, c’est bien.