- Après la défaite des socialistes européens aux élections européennes du 7 juin dernier, des voix se sont élevées pour dire, « la social-démocratie est morte ». Que vous inspirent ces commentaires ?
À chaque fois que la social-démocratie perd des élections ou est dans une phase de recul électoral on dit la même chose. Il me semble plus pertinent de signaler que la défaite importante de la social-démocratie lors de ces élections est intervenue dans un contexte international ou européen qui s’annonçait pourtant plutôt favorable pour elle. La plupart de ces partis sont dans l’opposition, or les élections européennes favorisent les partis d’opposition. D’autre part, le contexte de la crise économique et financière aurait pu créer un terrain propice pour ces formations. Mais il n’en a rien été.
À l’exception d’un ou deux partis, l’ensemble de la social-démocratie a été affecté. Il y a un décrochage de l’électorat populaire vis-à-vis de ces formations, et je dirai d’une certaine conception de l’intégration européenne.
- Dans une tribune récente, l’eurodéputé PS Henri Weber estime que les partis socialistes doivent agir comme « une force européenne capable d’élaborer et de conduire une stratégie politique transnationale ». Partagez-vous ce point de vue ?
Cette revendication n’est pas nouvelle. Henri Weber est un fin connaisseur de la question mais sa prise de position renvoie davantage à ce que l’on peut appeler « la prophétie auto-réalisatrice ». Le Parti socialiste européen (PSE) a été mis sur pied il y a plus de vingt ans. Depuis lors, cette possibilité d’agir de manière transnationale en intégrant le niveau européen et les problématiques nationales est sur la table.
Certains diront que lors des dernières élections, les socialistes européens se sont organisés autour du « manifesto ». Mais il n’a joué aucun poids dans ces élections.
La vraie question est de savoir si cette intégration peut se faire. Dans l’idéal, on peut rêver d’une européanisation des questions nationales à travers des partis comme le PSE. En pratique, les débats politiques, y compris lors des élections européennes, continuent de tourner autour de questions nationales.
Les élus où les militants politiques peuvent essayer de se battre dans ce sens, mais je ne crois pas que ce soit une priorité ou en tout cas un remède pour permettre à ces formations d’aller de l’avant.
- Dans cette même tribune, l’eurodéputé avance la nécessité pour les sociaux-démocrates de réussir la synthèse entre la doctrine social-démocrate et l’apport de l’écologie politique...
Il y a dix ans, à peu près au moment où la fameuse troisième voie blairiste avait percé, on parlait de la réconciliation entre le libéralisme et le socialisme. Tout d’un coup, à cause de la percée des partis écologistes en France, ce n’est plus le libéralisme mais l’écologie. Encore une fois, dans l’idéal, les questions écologiques devraient faire partie d’un agenda social-démocrate, cela ne fait aucun doute. Mais ce n’est pas la panacée pour relancer le PS, et en particulier pour remobiliser un électorat populaire qui se réfugie dans l’abstention, vote pour la gauche radicale, ou les partis de droite.
En France, certains membres du parti socialiste ne juraient que par une alliance avec le Modem avant l’élection européenne. Depuis le scrutin, l’intérêt s’est déplacé vers Cohn-Bendit.
Le problème est que l’identité de la social-démocratie est brouillée. Le positionnement à gauche des partis sociaux-démocrates ne va plus de soi. Depuis 20 ou 25 ans, ces formations se sont adaptées à des valeurs politiques qui n’étaient pas à l’origine celles de la social-démocratie et qui semblent surtout aller à l’encontre des objectifs de justice et de redistribution. Ceci explique en partie le décrochage d’une grande frange de l’électorat. Comment parler d’Europe sociale, qui était l’une des revendications majeures des sociaux démocrates, si les peuples européens ne sont plus convaincus que l’Europe peut faire une différence en termes de justice sociale ou de redistribution.
- Quelles sont les solutions pour faire en sorte que ces partis retrouvent un électorat substantiel et redeviennent des partis de gouvernement ?
La social-démocratie repose aujourd’hui sur trois piliers.
Le premier est ce que l’on appelle la nouvelle social-démocratie. Depuis les années 80, les sociaux démocrates ont accepté le marché. Je ne comprends pas ce débat, avant tout politicien selon lequel les socialistes doivent en finir avec leur surmoi marxiste... Connaissez-vous encore beaucoup de marxistes aux commandes du Parti socialiste ? M. Mélenchon vient de partir et il était peut-être l’un des derniers. Il y a même eu dans les années 90, à l’époque de Tony Blair, une promotion de l’entreprise. C’est peut-être d’ailleurs allé trop loin pour les personnes qui veulent se positionner à gauche.
Le deuxième pilier, que Martine Aubry semblait quasiment présenter comme la nouvelle recette pour sortir de la crise, est de faire du post matérialisme. C’est-à-dire de moins penser au bien avoir et d’avantage au bien-être. Mais les débats sur le post-matérialisme, qui tournent autour de l’environnement, de la sécurité alimentaire, de l’égalité homme-femme, animent la social-démocratie... depuis les années 80 !
Le troisième pilier est le fond de commerce historique de la social-démocratie, c’est-à-dire la redistribution, les questions sociales et qui soucient les salariés.
Ces trois piliers sont là et vont rester. Mais il y à mon avis pour l’instant un problème de mauvais dosage entre ces trois éléments. Trop d’importance a été accordée au premier pilier. Le deuxième est assez visible et le troisième a été oublié. Certains disent qu’il n’est pas possible de faire autrement puisque nous sommes dans une phrase offensive du capitalisme financier. Mais il y a eu la crise financière et économique de 2008 et l’effondrement de toute une série de mythes.
- En France, beaucoup de personnalités au PS plaident pour l’organisation de primaires. La question du leadership est-elle à ce point centrale pour faire évoluer le parti ?
Faut-il un bon leader pour gagner une élection ? La réponse est évidemment oui. Mais je crois que de ce point de vue-là le PS a quelques atouts dans son jeu.
François Mitterrand était médiatique, charismatique, mais aurait-il pu gagner seul, sans dynamique d’union de la gauche, sans volonté du peuple français de changements ? La réponse est non.
L’image n’est pas tout. Il y a la politique aussi. Ce qui veut dire se doter d’un programme de mesures facilement compréhensibles du public et que celui-ci puisse recevoir comme des propositions faisant la différence et susceptibles d’améliorer son quotidien.
La question des primaires est à mon avis intéressante mais tout à fait secondaire et accessoire par rapport à la crise de fond, de positionnement, d’identité et de manque de visibilité que connaissent le PS et la social-démocratie.