L’Union Européenne contre le Sud

, par Inprecor

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Le Traité de Maastricht proclame solennellement qu’il poursuit à l’égard des pays du Sud les objectifs suivants : « le développement économique et social durable des pays en développement », « l’insertion harmonieuse et progressive des pays en développement (PED) dans l’économie mondiale », « la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement », de même que « l’objectif général de développement et de consolidation de la démocratie et de l’État de droit [...] dans le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». La distance entre le discours et les actes est incommensurable.

L’UE : un long passé colonial et impérialiste

L’Europe, berceau du capitalisme, est aussi à la base de la formation de ce qu’on appelle le « Tiers monde »... A partir de la fin du XVe siècle, plusieurs puissances européennes sont parties à la conquête de la planète. La conquête et le pillage de ce que les Européens ont appelé l’Amérique, a impliqué la mort de près de 70 % de la population indigène. En Afrique, la traite des esclaves a vidé le continent de ses forces vives et déraciné ses sociétés : 40 millions d’homme, de femmes et d’enfants (dont 13 vers les Amériques) enlevés, et plusieurs autres millions de tués. Cette extermination s’est accompagnées d’une tentative d’étouffer l’histoire et l’identité de ces peuples.

En 1800, l’Europe occidentale et ses prolongements outre-mer contrôlaient un tiers de la planète. La seconde vague de colonisation, qui démarre dans les années 1870, porte cette proportion aux quatre cinquièmes à la veille de la première guerre mondiale. Cette exploitation féroce a concentré d’énormes richesses dans le Nord. Elles ont permis le décollage du système capitaliste industriel. Désormais il y avait un centre et une périphérie, des États dominants et des États dominés. Le Tiers monde était né.

Réservoir de matières premières, de main d’oeuvre bon marché et de débouchés pour les marchandises, le « Tiers monde » a été envahi, au dernier quart du 19e siècle, par les surplus de capitaux en provenance du Nord. Ces investissements directs dans les pays du Sud exigeaient impérativement une protection militaire. Une nouvelle et terrible colonisation s’abattait. Elle allait conduire à partir des années 30 à une véritable résurrection des peuples sur les trois continents (Amérique latine, Asie et Afrique), engageant la longue marche vers l’indépendance et la libération nationales des années 60 et 70. Avec comme pointes avancées, le mouvement des non-alignés qui essayent de se soustraire à la domination directe de l’impérialisme. D’autres pays comme la Chine, le Vietnam, Cuba rompent les amarres avec le capitalisme international. Une régression sociale généralisée

Aujourd’hui, la nouvelle étape de l’internationalisation de l’économie mondiale provoque une régression sociale généralisée, et le désastre au Sud. Car, cette globalisation est caractérisée par :

  • la domination renforcée des multinationales, elles emploient 73 millions de travailleurs. Les 100 plus importantes parmi elles (hors secteur bancaire) détiennent 3 400 milliards de dollars d’actifs, soit près d’un sixième de la valeur estimée de l’ensemble des actifs existant dans le monde. Les deux cents plus grandes multinationales (dont quatre seulement sont établies dans le Tiers-Monde) totalisent un chiffre d’affaire équivalent à plus d’un quart du Produit Mondial Brut.
  • Dans cet ensemble, le capital financier, dont la logique de profit à court terme s’impose de plus en plus, a acquis une position dominante. Les gouvernements de la Triade ont sciemment favorisé ce développement en imposant à la planète la libre circulation totale des capitaux.
  • La mise en place d’institutions étatiques internationales par l’élargissement des prérogatives du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale, de l’Organisation Mondiale du Commerce (succédant au GATT) et de la BRI (Banque des Règlements Internationaux). Le tout supervisé et guidé par les réunions périodiques du G-7, les superpuissances de la planète.
  • Ce capitalisme mondialisé se développe désormais sans expansion économique car il est basé sur la généralisation de l’austérité salariale (dans le Nord comme au Sud et à l’Est). La relance cyclique ne devient pas cumulative, car il n’y a pas intéressant d’investir massivement dans le secteur productif. Les énormes profits (capital-argent) servent à spéculer sur le marché des changes, des matières premières... Dans la féroce compétition au sein de la Triade, les USA ont consolidé une position dominante sur le plan militaire, financier-économique, monétaire et politique. Les multinationales européennes subissent un double handicap : un appui étatique nettement moins efficace, parce que l’UE n’est pas l’équivalent des gouvernements japonais et américain ; un mouvement ouvrier nettement plus fort qui résiste à l’offensive capitaliste et réussit à freiner l’ajustement néolibéral. Cette situation détermine une partie importante de la politique extérieure et de sécurité de l’UE. L’UE et ses pays-membres entretiennent des relations privilégiées avec les régimes autoritaires de leur périphérie immédiate du Sud à commencer par les dictatures marocaine, algérienne et tunisienne. Il faut y ajouter les autorités turques qui oppriment la minorité kurde. Les frontières européennes se ferment aux ressortissants maghrébins et turcs. Les régimes en place garantissent depuis des années la fin des flux migratoires de leurs pays vers l’Europe.

L’UE vient d’octroyer en mars 1997 à la dictature marocaine une aide financière non remboursable de 120 millions d’écus pour l’amener à appliquer le programme d’ajustement structurel dicté par le FMI et la BM. Il s’agit d’amener le Maroc à abaisser ses protections douanières ce qui entraînera des fermetures d’entreprises marocaines et un accroissement du chômage.

Le Sud sous le talon de fer du trio FMI-BM-OMC

Ce capitalisme mondialisé enlève au Tiers Monde « les deux avantages comparatifs » dont celui-ci est paré dans les discours : les bas salaires et ses secteurs privilégiés (agriculture et matières premières).

D’abord, les bas salaires n’ont pas conduit à une réorientation des investissements (dont des délocalisations) massives vers le Sud. L’essentiel des investissements ont toujours lieu au sein et entre pays de la Triade. Les débouchés (marchés) y sont plus grands, plus intéressants, plus proches, plus stables et mieux protégés. Et la main d’oeuvre y est plus qualifiée, sa formation plus élevée et, partant, sa capacité d’adaptation aux technologies modernes plus rapide. Combinés avec un haut niveau de productivité, ces atouts annulent largement l’attrait des bas salaires en vigueur dans les pays du Tiers Monde. Celui attire des « délocalisations » dans quelques branches du secteurs textile à très bas salaires.

Deuxièmement, les grands groupes multinationaux attaquent le Tiers monde sur son propre terrain. Ils ont réussi à faire baisser les prix des matières premières par la production de marchandises de substitution synthétiques. Et par des progrès spectaculaires de la productivité dans le secteur agro-alimentaire du Nord. Dans ce secteur, le Tiers-Monde importe au lieu d’exporter ! La lutte contre le protectionnisme est tournée contre le Tiers-Monde. Les barrières qu’impose le Nord aux produits venant du Sud, restent proportionnellement plus élevées. Cela coûte au total aux économies du Sud environ 500 milliards de dollar par an (Rapport annuel sur le développement humain, PNUD). Les taxes appliquées sur les produits manufacturés en provenance du Sud sont ainsi cinq fois plus élevées que celles appliquées à leurs matières premières.

La politique exportatrice du Sud, imposée par le FMI et l’OMC ne crée pas d’emploi au Sud, au contraire elle en détruit. La concurrence exige une baisse des salaires déjà très bas dans les pays du Sud. Le marché intérieur ne peut se développer. Par contre, les importations croissent. En effet, les ’élites’ préfèrent les produits ’plus élaborés’ du Nord. L’extension de l’économie de marché (abandon des subsides aux biens de première nécessité, privatisations...) et l’abandon du protectionnisme au Sud écrasent les producteurs locaux. Une terrible spirale vers le bas est enclenchée. Un exemple. L’UE veut autoriser le remplacement dans le chocolat, fabriqué en Europe, du beurre de cacao (produit dans le Sud) par des matières grasses à concurrence de 5% du poids total. D’où : baisse des exportations de cacao vers l’Europe, baisse des prix du cacao sur le marché mondial, baisse cumulée des rentrées pour le Sud.

La mise en concurrence généralisée entre zones à niveau de productivité très inégal pousse partout à la stagnation économique, au nivellement par le bas, aux inégalités sociales croissantes et criantes. Au Nord, la hausse de la productivité engendre la baisse des effectifs (technologie moderne), et partant de la masse salariale et de la demande sociale globale. Au Sud, la destruction d’une partie de l’économie aggrave le chômage, l’exode des campagnes vers les villes... bref mine les bases mêmes de ces sociétés.

Ceci n’est pas le résultat de libre jeu du marché, mais du chantage et de la contrainte des institutions internationales, agissant au service des gouvernements du Nord. Nous combattons cette politique du FMI-BM-OMC. Ces institutions sont taillées sur mesure pour défendre les intérêts des multinationales. Il est impossible de les réformer ou démocratiser. Il faut les démanteler. Annuler la dette des pays du Tiers-Monde. Les plans d’ajustement structurel donnent une cohérence de fer à cet assujettissement du Tiers Monde.

L’énorme endettement des pays du Tiers Monde avait ouvert la voie. De 77 milliards de dollars en 1970, la dette a explosé à 567 milliards en 1980, pour atteindre aujourd’hui (1995) 1921 milliards. La dégradation de la situation économique et l’envol des taux d’intérêts empêchent son remboursement effectif : entre 1980 et 1992, 1672 milliards de dollars ont été versés aux pays riches pour une dette qui s’élevait en 1980 à 567 milliards (elle est déjà trois remboursée !). Elle est renforcée par le déficit de la balance commerciale et des paiements courants.

En bonne logique néolibérale, les gouvernements impérialistes et les institutions appropriées (FMI, BM, OMC) ont imposé comme priorité absolue : le remboursement de la dette et la lutte contre les déficits du budget de l’État. Trois recettes passe-partout : la fin de la subsidiation gouvernementale (notamment des produits de première nécessité), la réorganisation de l’économie tournée vers les exportations, et les privatisations. Les multinationales s’emparent, à vil prix, des meilleures morceaux.

Un véritable processus de recolonisation a lieu, qui rappelle celle des siècles passés : exploitation aggravée, domination renforcée, dégradation des conditions d’existence, recul sur le plan de la santé, de l’éducation, fardeau supplémentaire pour les femmes dans l’économie de survie, (re)mise en esclavage y compris des enfants. Nous luttons pour obtenir de nos gouvernements l’annulation inconditionnelle de la dette des pays du Tiers monde. Nous sommes solidaires des organisations au Sud qui agissent dans le même sens, dans ce combat anti-impérialiste. Mais nous respectons le choix tactique que les organisations progressistes et révolutionnaires au Sud font, en la plaçant dans leur stratégie d’ensemble de la lutte de libération nationale et sociale.

Contre les clauses sociales imposées par l’OMC et l’UE, pour les droits sociaux internationaux grâce au combat international des travailleurs/euses !

Les clauses sociales, telles qu’elles sont proposées ou appliquées aujourd’hui, sont liées au commerce international. Les institutions du Nord (OMC, FMI, OCDE, UE, gouvernement américain) veulent s’arroger le pouvoir d’imposer des droits sociaux minima par des sanctions (pénalités, suppression d’aide, barrières tarifaires, sanctions, exclusions...) ou des avantages supplémentaires (accès au marché, primes...).

L’U.E. accorde depuis 1971 des préférences tarifaires (sur la base d’un schéma renouvelé tous les cinq ans). Le dernier SPG (Système des Préférences Généralisées) adopté en 1994 par le Conseil des Ministres de l’UE, porte sur la période 1995-1998. Il garantit la possibilité d’importer, à taux zéro et à des tarifs préférentiels, aussi bien des produits manufacturiers ou semi-finis du secteur industriel que des produits agricoles bruts. Il prévoit (art.7) un régime spécial de subvention en matière sociale et de sauvegarde écologique qui entrera en vigueur en 1998. Le gouvernement concerné bénéficierait de droits d’octroi préférentiel s’il fournit la preuve qu’il applique effectivement les normes des Conventions 87 (droits syndicaux), 98 (droit à la négociation collective) et 138 (âge minimum d’admission au travail), adoptées par l’OIT (Organisation Internationale du travail — où siègent gouvernements, patrons et syndicats —). Le SPG ne s’applique pas seulement aux 70 pays de la 4e Convention de Lomé (les pays ACP-Afrique, Caraïbes, Pacifique), mais à d’autres.

Dans l’ensemble, cette politique des « clauses sociales » sert directement les multinationales : il s’agit d’un protectionnisme déguisé contre les pays et les travailleurs du Tiers Monde ; il permet de dresser les travailleurs du Nord contre ceux du Sud, et, de sceller, au Nord, une alliance entre patrons et travailleurs de toute façon défavorable aux travailleurs. Qu’une telle politique serait imposée sous la tutelle de l’OMC — opaque, secrète, antidémocratique et incontrôlable — n’est pas la moindre des objections.

S’opposer à ce type de « clauses sociales » n’implique pas un rejet principiel de toute mesure légale. Ainsi, on pourrait imposer aux multinationales, dans le pays où se trouve la maison-mère, un code de conduite (comprenant les conventions de l’OIT) obligatoirement applicable dans toutes les filiales du groupe. L’UE malgré l’invocation du “modèle social”, n’est nullement encline d’aller dans ce sens.

La véritable réponse aux conditions sociales inégales entre classes ouvrières réside dans la solidarité entre les classes ouvrières du Nord et du Sud, en particulier le renforcement du mouvement et syndical dans les pays dépendants. Celui ne devrait pas se limiter à une aide matérielle et organisationnelle, si importante qu’elle soit. Il s’agit de soutenir la lutte pour réaliser les droits sociaux et syndicaux élémentaires. Elles amélioreraient rapidement les conditions de travail au Sud et réduiraient d’autant les facteurs de concurrence « déloyale » au sein du Monde du travail. (Cf les 160 conventions et 170 recommandations, adoptées par l’OIT) : défense de la liberté syndicale et protection du droit syndical ; droit d’organisation et de négociation collective ; âge minimum d’accès au travail ; discrimination, emploi et profession, égalité de rémunération, abolition du travail forcé.

Unité et solidarité des prolétariats du Nord et du Sud

En tant que mouvement de travailleurs/euses, nous n’évacuons pas les contradictions sociales à l’oeuvre au sein des pays du Sud. D’où un devoir particulier de solidarité avec les luttes sociales très difficiles des travailleurs/euses et les pauvres pour leurs revendications sociales immédiates (salaires, emploi, protection sociale, santé et environnement...). Malgré toutes les difficultés, notre perspective reste celle de l’unité nécessaire et possible entre les prolétaires du Nord et du Sud. Certes, il y a entre eux d’importantes différences de niveau de vie et de conditions de travail. Cela ne facilite certainement pas la formation d’une conscience de classe « sans frontières ». Mais ils n’ont pas d’intérêts différents à défendre.

Leurs luttes sont parallèles contre le même ennemi. Le Tiers Monde n’est pas la cause du chômage dans le Nord ; et la richesse du Nord (notamment le niveau de vie des travailleurs) n’est pas la cause de la pauvreté du Tiers Monde. Les travailleurs à bas salaires au Sud ne sont pas responsables du dumping exercé sur les salaires au Nord. Les « hauts » salaires au Nord ne sont pas la cause du non-développemnent au Sud. On peut constater que l’extension du chômage massif au Nord se fait parallèlement à la montée de la misère du Sud. La baisse des niveaux de vie aussi.

La gigantesque redistribution des richesses en cours rend les riches (au Nord et au Sud) plus riches et les « pauvres » (au Nord et au Sud) plus pauvres. Ce n’est pas la réduction des salaires des travailleurs/euses du Nord qui réduirait la misère au Sud. À la globalisation du capitalisme mondialisé, il faut opposer la globalisation de la solidarité. À la stratégie antisociale des multinationales et leurs États, il faut opposer la stratégie anticapitaliste du mouvement ouvrier et social.

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