Inutile de noircir le bilan du capitalisme, la réalité parle pour elle-même. La capacité de nuire de ce système est à la mesure de sa puissance économique, politique et militaire. L’économie de marché règne désormais seule. Univers impitoyable, elle menace la planète, engendre la misère et mine la démocratie. Liberté d’entreprendre pour quelques-uns, camisole de force pour tous les autres. Le désastre n’est pas anonyme. Il a un visage, la liste des multinationales est publiée, les gros actionnaires et les PDG se trouvent dans l’annuaire. Leur responsabilité est engagée. Comme celle des politiques qui, démocratiquement, veillent à leurs intérêts.
L’UE en fait partie. Sa modeste ambition consiste à se draper de quelques oripeaux « humanistes ». « Le nouvel ordre mondial », — né de la chute du « communisme » et de la Guerre du Golfe — qui promettait la paix, la démocratie et la prospérité universelles, n’a pu faire illusion que pendant quelques années.
Mais quelles années !
La séquence qui s’est déroulée entre 1990 et 1995, fut brève, mais incisive. Ce ne fut pas « minuit » mais plutôt le silence dans le siècle. Le rouleau compresseur du Grand Capital visait très sérieusement à mettre « fin à l’histoire », effacer la mémoire du mouvement ouvrier et ses repères, extirper l’idée même d’une société alternative. Les zélés idéologues de service y croyaient vraiment. Admettons que le désarroi fut énorme. Ce n’est que lentement que le brouillard commence à se dissiper. Beaucoup doutent désormais, après la débâcle à l’Est, de la « faisabilité » du socialisme. Il y a ceux qui ont toujours identifié stalinisme et socialisme. Mais la démoralisation affecte aussi ceux qui n’ont jamais été victimes de cette mystification. L’idéal socialiste a massivement reculé, alors que depuis 150 ans il offrait espoir et perspective aux luttes de tous les jours. Cela n’est plus le cas aujourd’hui. Encore moins au sein des jeunes générations, pour lesquelles l’écologie, la paix, l’aide au Tiers monde et aux exclus de nos sociétés riches, dessinent les contours d’une société meilleure ; et la lutte antiraciste et antifasciste la principale source d’un militantisme radical.
Le discrédit profond qui frappe le mouvement ouvrier, a agi dans le même sens. L’expérience mitterandiste en France est le symbole de l’incapacité social-démocrate à répondre aux aspirations des travailleurs et de la jeunesse. « L’argent facile » a fait le reste. Les directions traditionnelles sont perçues comme appartenant à ce monde qu’il faut précisément combattre. Elles font partie du problème, pas de la solution. La classe ouvrière, — bouleversée par les mutations, sur la défensive, luttant vaille que vaille pour ses intérêts immédiats et sans projet alternatif — n’apparaît pas, pour le moment, comme la force généreuse qui monte et qui délivrera la société de toute exploitation et oppression.
Les peuples, le monde du travail et les opprimé-e-s résistent et se révoltent par nécessité vitale, pas par motivation idéologique. Cette lutte de classes — dans le sens le plus large du terme — n’a jamais cessé. Aujourd’hui il n’y pas moins, mais plus de raisons de se battre qu’hier. Ce sera à travers de nouvelles mobilisations d’envergure, de nouvelles expériences fondatrices, de nouvelles pratiques, de nouvelles formes d’organisation que la classe des salarié-e-s, la jeunesse et les femmes se réapproprieront le projet socialiste. Le contenu de ce socialisme sera un mélange entre les aspirations fondamentales, portées par le monde du travail et celles qui percent déjà à travers une palette de radicalisations caractéristiques de notre époque : un travail valorisant et utile, la maîtrise du temps libre, l’écologie, la formation permanente, une citoyenneté responsable dans une société multi-ethnique et multiculturelle, une réorganisation des rapports hommes-femmes, égalité et justice, une démocratie radicale, active et proche... C’est avant tout une nouvelle génération qui portera ce combat avec toute l’énergie et l’audace propres à la jeunesse. Elle le fera, comme toutes les générations qui l’ont précédée, avec ses symboles, ses paroles, ses chants, ses méthodes, ses organisations.
Il faudra du temps pour reconstituer les liens de solidarité, les organisations, imaginer collectivement le monde futur, et repartir à l’offensive révolutionnaire.
L’avenir a déjà commencé par la lutte actuelle pour imposer d’autres priorités sociales. Cela n’ira pas sans la maîtrise, par la société même, des principaux instruments économiques. Il faut donc les arracher des mains d’un secteur privé qui a totalement failli à la tâche. Ces puissants intérêts économiques résisteront. Qu’on l’appelle « nationalisation », « socialisation » ou « mise en service public », peu importe, mais cette expropriation du Grand Capital reste une condition d’efficacité indispensable. Elle n’est pas un but en soi. C’est un moyen d’abord pour procéder à la refonte totale de l’État vers une démocratie active quotidienne sur les lieux de travail comme sur les lieux de résidence : pour la première fois, élections et votes de la population auraient des effets pratiques immédiats. Ensuite, pour permettre à tous les rapports sociaux d’évoluer vers plus d’égalité, plus de convivialité, plus d’humanité, plus de bonheur pour tout le monde.