À l’approche de l’élection présidentielle française, Goal.com a tenté de connaître le rapport de chaque candidat au football. Rapport affectif, mais surtout rapport pratique. Qu’est-ce qui pourrait changer si tel candidat est élu ? A quoi s’attendre si tel autre accède à la présidence ? Quid de la taxe à 75 % proposée par le candidat Hollande ? Le football français va-t-il bien ? Des changements sont-ils à prévoir dans le contexte actuel de crise ? Philippe Poutou a bien voulu répondre à toutes ces questions. S’il est le premier candidat à se livrer à l’exercice dans nos colonnes, il n’est certainement pas le dernier. D’autres suivront dans les prochains jours, chacun avec son approche, ses impressions et ses solutions.
- Goal.com : Que pensez-vous de la taxe Hollande à 75% pour les revenus dépassant le million d’euros par an ?
Philippe Poutou : Il faut taxer les plus hauts revenus bien plus qu’il ne le sont actuellement, mais ici il s’agit de démagogie électoraliste. De plus, il n’a évoqué que les revenus, et pas le patrimoine. C’est une ISF qui ne rapporte rien à la majorité de la population. Par ailleurs, pourquoi n’y a-t-il eu que les footballeurs à être ciblés par les médias ? Tous les footballeurs seraient-ils riches et serait-ce eux les responsables des inégalités sociales ? Mr Hollande devrait vérifier les salaires de la majorité des footballeurs professionnels qui sont bien loin de ceux des stars et chercher une solution pour la reconversion de ces joueurs anonymes. Ceux qui vivent grassement se sont reconvertis, comme certains chez Danone, avec des salaires indécents l’ont fait de plus dans des domaines où ils excellent moins qu’au temps où ils jouaient au ballon.
- Êtes-vous favorable à cette démarche ? Est-elle dangereuse pour la Ligue 1 ?
Prendre aux riches, c’est très bien mais encore faudrait-il que la taxe revienne à qui de droit, aux travailleurs, aux services publics (hôpitaux, éducation) pas à des sous-traitants du genre des grands groupes qui investissent dans les clubs et les sponsorisent... Il y a d’autres moyens de prendre sur les grosses fortunes, en prenant aux grandes entreprises, aux consortiums, aux transnationales…
- Mais sinon combien y a-t-il de footballeurs qui ont un revenu de plus d’un million d’euros par an ? Et dans quels clubs jouent-ils ?
Ce n’est pas dangereux pour la Ligue 1 vu que le football français craint de se faire piller des joueurs de haut niveau qu’ils forment, alors qu’il pille lui-même nombre de joueurs venant d’autres pays avec son recrutement à la limite de l’esclavagisme. Il y a des vases communicants entre clubs qui leur permet d’avoir un certain niveau et un budget important, bien que moindre de clubs de pays frontaliers. Ce qui est dangereux pour la Ligue 1, c’est la répression qui s’exerce actuellement contre les groupes de supporters ainsi que la hausse continuelle des prix des places dans les tribunes et les virages.
- Peut-elle déboucher sur une fuite des talents à l’étranger et jouer sur l’attractivité de notre championnat ?
Les talents continueront de partir de nombre de pays vers la France et de la France vers l’étranger. Le sport professionnel est basé sur la compétition, c’est-à-dire la concurrence qui se joue non seulement dans les stades mais aussi à d’autres niveaux : politique, économique. Ce sera dur d’être attractif si les clubs français virent certaines organisations de supporters : quel joueur aime jouer dans des stades vides ? Et puis les carrières sont courtes et avec la période économique actuelle, certains joueurs préfèreront regarder leur compte en banque plutôt que l’amour du maillot ou un éventuel palmarès.
- Que vous évoque l’arrivée d’investisseurs étrangers au sein des clubs français (les Qataris au PSG, Rybolovlev à Monaco…) ?
Ce n’est que la conséquence de la période de concentration des moyens de production de plus en plus acharnée qui se répercute dans le sport et notamment dans le sport n°1 de la planète. Certains s’achètent des clubs comme tout bon capitaliste le fait avec des entreprises...Et les clubs professionnels sont des entreprises.
Ce dont il faudrait parler concernant les investisseurs étrangers, c’est le deal qu’il y a eu entre Sarkozy et le prince héritier du Qatar pour que son pays, partenaire privilégié de l’économie française, ait un statut fiscal privilégié. Sinon, quelle différence y a-t-il entre des investisseurs autochtones ou étrangers qu’ils soient cheiks qataris, milliardaire russes ou chefs d’entreprises comme messieurs Aulas, Pinault, Seydoux ou Nicollin ou encore les groupes Danone ou Peugeot par exemple ?
- Pensez-vous que cette évolution est une bonne chose pour la compétitivité des clubs français ?
Le capitalisme subit de plus en plus de crises et nombre d’investissements se font à court terme. Il faut gagner de plus en plus vite et avoir des succès rapides. Le sport, et notamment le football, en est la parfaite illustration. Le PSG aura-t-il les reins assez solides en cas d’échecs ? Et sera-t-il voué, dans ce cas, au même sort que nombre d’entreprises qui ferment et licencient à tour de bras ? Une chose est sûre : il fera moins de victimes économiques et les soutiens financiers arriveront très vite du privé et du public…
- Craignez-vous plutôt une perte d’identité progressive ou un éventuel estompement des valeurs de nos championnats ?
S’il y a une perte d’identité à craindre, c’est celle qui s’accentue dans les tribunes du fait de l’augmentation continue du prix des places et de la répression qui sévit contre les supporters organisés même si nous condamnons la violence exercée par certains d’entre eux et qu’il faille éradiquer le racisme dans les tribunes et sur les terrains. Il est quand même étonnant qu’un club comme Lyon ne soit pas inquiété ou ne le soit pas plus que d’autres clubs à ce sujet vu la catégorie de supporters qui gangrènent certains virages de Gerland. Il y a un choix politique de toute évidence.
- Avez-vous des appréhensions sur le dopage financier et la concurrence déloyale qui pourrait en découler ?
La concurrence est toujours déloyale du simple fait des différences de fortune entre les clubs. Quand au dopage financier, il a toujours existé mais a évolué et augmenté de manières légales ou illégales. Le football français a subi quelques histoires financières depuis les années 80 qui le positionnent mal pour faire la morale dans un monde qui n’en a pas et où le capital est roi. Il est certain que ça va être de plus en plus dur pour certains clubs comme Sochaux. Mais, dans ce cas parmi d’autres, notre crainte va plus aux salariés du groupe automobile Peugeot qui tient les rênes du club et licencie et précarise.
- Que pensez-vous de l’Euro 2016 qui aura lieu en France ? L’investissement qu’il représente, les retombées… Son obtention par la France est une bonne ou une mauvaise nouvelle dans le contexte économique actuel selon vous ?
L’Euro en France va être un gouffre à fric comme un grand nombre de grandes compétitions continentales ou mondiales. Ce sont les mêmes qui vont en faire les frais au niveau financier. Il va falloir encore mettre la main à la poche pour des projets éphémères au niveau de l’emploi et qu’il faudra rentabiliser n’importe comment par la suite. Donc, dans le contexte de crise que nous subissons, cet Euro est plutôt mal venu comme il l’aurait été ailleurs vu la situation dans nombre de pays européens. Et si c’est pour faire des stades comme celui de Saint-Denis, déjà obsolète après à peine plus d’une décennie, ça va être un gaspillage énorme.
- Pensez-vous que la France va remporter l’Euro 2012 cet été, en Pologne et en Ukraine ? Si non, pourquoi pas ?
Ca sera très dur vu la situation confuse qui règne à la FFF depuis des mois. Il y a une véritable bataille politique et de stratégie économique de grande ampleur qui se joue dans la fédération depuis une période antérieure à Krysna en Afrique du Sud.
- Que pensez-vous de l’essor du foot féminin en France aujourd’hui ?
C’est une très bonne chose en espérant qu’il ne prendra pas les dérives qui existe dans celui des hommes (maquignonnage, violence, dopage, magouilles, racisme, etc.).