Le PSU et l’action révolutionnaire

, par VINCENT Jean-Marie

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Le PSU est souvent l’objet de jugements péremptoires que l’événement dément très vite. Il a maintenant seize ans d’existence, bien qu’on ait prédit à plusieurs reprises sa disparition, et il ne semble pas se porter plus mal aujourd’hui qu’il y a dix ans, malgré les nombreuses crises qu’il a connues dans son existence. Il a fourni des militants à presque tous les groupes de l’extrême gauche révolutionnaire, mais celle-ci n’a jamais pu l’ébranler sérieusement. Les dénonciations les plus virulentes, les appels les plus pressants à l’unité ne paraissent pas avoir d’effets notables sur lui, alors qu’au contraire, il reflète directement ou indirectement à peu près toutes les modes idéologiques qui traversent la gauche du mouvement ouvrier.

Faut-il considérer, comme le font beaucoup de ses militants, que le PSU est une organisation d’exception, destinée à transcender les vieilles divisions et à donner naissance dans un avenir plus ou moins lointain à une organisation de type vraiment nouveau ? Il y a là un pas que les ballotements du PSU dans les différents épisodes de la lutte des classes, ses hésitations devant les choix politiques les plus importants ne permettent pas de franchir. À ce compte, il suffirait d’avoir adopté successivement les positions les plus contradictoires du « contre-plan », cher à Michel Rocard, à l’autogestion, pour apporter une contribution positive au renouvellement de la pensée et de l’action révolutionnaires. Il reste pourtant qu’il est difficile de juger ou d’analyser le PSU en fonction d’une norme révolutionnaire préétablie, détachée de tout contexte historique. On peut à juste titre le caractériser comme une organisation centriste, oscillant entre la réforme et la révolution, mais cette caractérisation générale peut être trompeuse si on ne cherche pas à la concrétiser. Au cours des années trente, le centrisme dénoncé par les marxistes-révolutionnaires traduisait très largement la démoralisation progressive des secteurs révolutionnaires du mouvement ouvrier devant les coups portés par le fascisme et le stalinisme à la perspective socialiste [1]. Le centrisme aiguillait très souvent les ouvriers avancés qu’il pouvait influencer vers des impasses, et à plus ou moins long terme, les poussait à réintégrer les organisations traditionnelles. Il constituait en ce sens un obstacle considérable à l’affirmation d une politique révolutionnaire.

Les choses se présentent de façon sensiblement différente aujourd’hui. Les crises parallèles de l’impérialisme et du stalinisme renforcent sans cesse les courants en rupture avec les différentes variétés du réformisme, même si les organisations traditionnelles restent prédominantes. Dans ce contexte, le centrisme n’est plus pour l’essentiel une voie de passage vers la résignation ou le ralliement à l’opportunisme le plus plat. Il exprime au contraire une aspiration encore confuse à un renouvellement global des méthodes et des pratiques du mouvement ouvrier. Le centrisme ou plus exactement les centrismes se montrent sensibles à toutes les manifestations de la crise de la société capitaliste (crise des rapports de travail, révolte des femmes et des jeunes) et s’efforcent de leur donner une expression, et s’ils tombent souvent dans l’ultra-gauchisme ou le populisme apolitique, c’est parce qu’il leur difficile de renouer avec les traditions positives de la politique révolutionnaire (en particulier de la IIIe Internationale). Pendant des décennies, le stalinisme a empêché tout retour en arrière tant soit peu critique, tout bilan sérieux des actions et des formes d’organisation. Il a comme oblitéré la mémoire collective des travailleurs en rendant plus difficile l’élaboration de l’expérience acquise dans les grandes batailles de classe (gagnées ou perdues). Sa présence massive, sa cristallisation en une bureaucratie ouvrière contrôlant des secteurs décisifs du prolétariat ont largement rendu le communisme, en tant qu’expression du mouvement ouvrier, problématique. En conséquence, la rupture avec l’opportunisme s’affirme souvent comme une répudiation du passé, de la continuité tournentée du combat prolétarien ou comme une fuite vers la recherche d’une histoire mythique transfigurant les réalités gênantes du passé et du présent (du stalinisme idéal de certaines sectes maoïstes au communisme des conseils sous sa forme la plus éthérée). Si l’on ajoute à cela que le marxisme révolutionnaire a connu des difficultés considérables, que la IVe Internationale, toujours dans sa phase de construction, a dû surmonter des crises très graves avant de reprendre son élaboration stratégique, on comprendra que les soubresauts politiques et idéologiques accompagneront encore pour toute une période la construction du parti révolutionnaire. Les marxistes-révolutionnaires devront assumer la double tâche de la reconstruction de la politique révolutionnaire et de la confrontation avec les errements centristes contre lesquels ils ne sont pas eux-mêmes immunisés.

C’est sur cette toile de fond qu’il faut saisir le PSU. Sa fondation est, certes, antérieure à la radicalisation de la deuxième moitié des années soixante, mais elle est marquée par la guerre d’Algérie et par la révolte de nombreux jeunes contre le chauvinisme de la social-démocratie molletiste et du PCF. Au départ, le PSU dans son programme, dans son expression politique, ne va pas au-delà d’un réformisme de gauche d’une assez grande modération. Les partisans d’une social-démocratie « honnête » y occupent le devant de la scène, conjointement avec Pierre Mendès-France, dont la conversion au « socialisme » est célébrée par la presse. Mais cette prédominance des éléments classiquement social-démocrates n’est qu’apparente. Face à la guerre coloniale, la majorité de l’organisation refuse les positions les plus droitières (Savary, Verdier) pour affirmer le droit à l’indépendance du peuple algérien, une forte minorité se prononçant d’ailleurs pour le soutien à l’insoumission. Le phénomène est important, parce qu’à la faveur de cette bataille, les vieux cadres formés par la SFIO vont peu à peu être éliminés par les militants venant de l’Union de la gauche socialiste (UGS). Au congrès de Clichy (1961), ce sont les anciens de l’UGS qui donnent le ton aux débats et imposent des thèses politiques un peu plus radicales que celles du congrès d’unification. Le parti se prononce pour un « nouveau type d’Etat assurant l’hégénomie du prolétariat », dit sa volonté d’élaborer un programme de transition au socialisme et préconise un front socialiste, front uni des partis ouvriers dont il serait lui-même l’aiguillon. Tout cela place le PSU nettement à gauche du PCF et lui permettra de bénéficier d’un courant continu d’adhésions au cours des années soixante, mais les bases de cette orientation à gauche sont très instables et équivoques. Les cadres issus de l’UGS reflètent à leur façon les longues années de recul et de défaites que vient de connaître le mouvement ouvrier. Chez beaucoup d’entre eux venus du mouvement ouvrier catholique, le refus du réformisme de la SFIO et du stalinisme du PCF est très peu élaboré. Ce qui les caractérise essentiellement, c’est un activisme populiste, très peu soucieux des problèmes de stratégie et de tactique. Il y a bien sûr un certain nombre de militants qui ont eu une éducation marxiste et une expérience politique acquise dans la gauche de la SFIO de l’immédiat après-guerre (1946-47) ou dans le PCF, mais ils conservent presque tous la hantise du long isolement qu’ils ont dû subir au plus fort de la guerre froide et sont à l’affût des mouvements « larges ». Les militants trotskystes ou d’origine trotskyste, peu nombreux, se heurtent dans ce cadre à de très grandes difficultés. On les soupçonne facilement de vouloir transformer l’organisation en une secte marginale, à l’image des organisations troskystes qui végètent à la même époque en se dénonçant férocement. Ils tenteront évidemment de surmonter ce handicap en montrant leur capacité à répondre aux questions que se posent les militants les plus actifs et les plus décidés, mais eux aussi ont du mal à résoudre le problèmes d’orientation. Ils peuvent déceler les concessions opportunistes, les glissements idéologiques par rapport à l’acquis révolutionnaire, ils sont beaucoup plus désarmés quand il s’agit d’analyser concrètement l’évolution de la formation sociale française et les modifications qui interviennènt dans les rapports de force entre les classes. En bref, ils ont à opérer un dur travail sur eux-mêmes pour surmonter la crise que traverse le marxisme révolutionnaire.

Après la fin de la guerre d’Algérie, le PSU est confronté à une situation déroutante pour ses militants. La ligne de partage très claire que constituait la solidarité avec la lutte du peuple algérien disparue, il lui faut s’insérer dans des combats de classes aux contours bien plus flous, dans des débats idéologiques confus et marqués par les succès économiques du capitalisme. Au printemps 1962, un conseil national consacré au programme fait apparaître des divisions très profondes qui témoignent moins de divergences politiques et idéologiques explicites que d’un très grand embarras devant la pratique politique à mettre en oeuvre. Les regroupements se font largement en fonction des affiliations passées, des préoccupations locales et des expériences les plus immédiates. La direction de l’organisation donne elle-même l’exemple de la désorientation et de l’opportunisme en montrant de l’indulgence pour des propositions de gouvernement intérimaire avancées par Mendès-France.

Le congrès d’Alfortville à l’automne confirme et amplifie ce désarroi ; sept textes d’orientation [2], où les divergences ne sont pas toujours apparentes, s’affrontent dans une mêlée particulièrement Obscure pour la majorité des militants. Même si un examen un peu plus approfondi permet de distinguer des lignes de force relativement nettes, le phénomène est important parce qu’il est à l’origine d’une tradition particulièrement négative dans le PSU : un certain scepticisme devant les débats d’orientation généraux, une tendance à ne prendre au sérieux que leurs incidences les plus immédiates, c’est-à-dire influant directement la vie de l’organisation et son insertion tactique. Toutes les luttes de tendances se trouveront ainsi hypothéquées par des réactions localistes et praticistes, complétées le plus souvent par des appels démagogiques au bon sens de la base contre les querelles des intellectuels parisiens. La simplification des affrontements quelque temps après ne traduit aucune clarification idéologique véritable. Les socialistes révolutionnaires et l’ancien courant C du congrès d’Alfortville se sont entendus avec quelques débris du courant social-démocrate (dit A) pour former le courant unitaire sous la houlette de Jean Poperen. Ensemble, ils dénoncent vigoureusement le révisionnisme de l’ancien courant B qui théorise, bien avant Garaudy, le rôle des « couches nouvelles » et préconise l’occupation progressive des centres de décision extra-parlementaires (des entreprises aux organismes de planification). Leur lutte à ce niveau n’est pas sans importance, car elle s’attaque à un modernisme qui tend à nier le rôle révolutionnaire du prolétariat et à réduire l’action pour le socialisme à une action pour la démocratie économique. On ne peut toutefois ignorer les équivoques de leur politique antirévisionniste. Placée sous le signe du « contrat d’unité », elle est grosse de deux orientations opposées : l’une qui préfigure l’actuelle unité de la gauche et sera défendue par J. Poperen, l’autre qui reprend les thèmes classiques du front unique de la classe ouvrière. Il est donc inévitable que nombre de militants sincèrement de gauche ne se retrouvent pas dans ce combat douteux qui occulte à peu près complètement les problèmes de la recomposition révolutionnaire du mouvement ouvrier. La victoire du courant B au congrès de la Grange-aux-Belles, à la fin de 1963, ne résout d’ailleurs rien, car elle exprime surtout la lassitude du parti devant les batailles de fractions. En aucun cas, elle ne donne de blanc-seing à la direction réunie autour de Gilles Martinet.

C’est dire que le PSU va être atteint par la nouvelle vague de radicalisation dans des conditions tout à fait particulières. Sa pratique comme sa théorie ne lui permettent pas de comprendre les changements souterrains qui affectent les relations entre les classes. En même temps, les implications réformistes de la ligne majoritaire ne sont pas véritablement assumées par les militants qui l’interprètent à leur façon, la plupart du temps avec la volonté de maintenir l’autonomie du parti. Le PSU pourra ainsi être un des canaux par lesquels s’exprimera confusément le changement de l’atmosphère politique dans le mouvement ouvrier et dans les milieux étudiants, mais sans lui donner de caractère offensif. A la fin de 1965, une forte minorité, 25 % environ, se prononce pour une candidature PSU aux élections présidentielles et combat vigoureusement celle de François Mitterrand. Le reste du parti se divise entre une majorité qui accepte une consigne de vote en faveur de Mitterrand tout en refusant la campagne commune, et une minorité qui veut s’insérer dans la « dynamique unitaire ». Les anciens clivages sur les « couches nouvelles » et le « contrat d’unité » se trouvent par-là même dépassés, car, en réalité, il s’agit de savoir comment se situer dans les nouveaux processus de recomposition du mouvement ouvrier. La plupart des dirigeants des anciennes tendances B et C, de J. Poperen à G. Martinet, se tournent de concert vers la social-démocratie, parce qu’ils escomptent à juste titre son renouvellement sur la base des faits nouveaux introduits par l’élection présidentielle et l’enterrement des politiques dites de troisième force (refus de l’alliance avec les communistes). La majorité du parti, au contraire, perçoit que le climat politique est dorénavant plus favorable à une action de classe indépendante et se prononce catégoriquement contre toute association avec la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) au printemps de 1967. Mais la clarification obtenue par le départ d’une grande partie des anciennes équipes dirigeantes n’est que très partielle. Le nouveau secrétaire national du parti, Michel Rocard, ne défend l’indépendance du PSU que très conditionnellement et se déclare très ouvertement partisan d’un grand parti socialiste (incluant la social-démocratie). La condamnation qu’il porte contre la FGDS est en réalité tout à fait tactique ; il pense l’opération peu sérieuse et mal engagée. La plupart des militants du parti n’ont pas les mêmes arrière-pensées dans leur volonté d’autonomie, mais ils n ont pas d’orientation positive à proposer et ils acceptent de ce fait que subsistent beaucoup de zones d’ombre. La gauche, en particulier, n’a aucune perspective concrète de construction du parti révolutionnaire, elle essaie simplement d’attendre des circonstances plus favorables pour faire avancer ses idées. Le déplacement des rapports de forces dans le parti se manifeste, par conséquent, plus par de fortes tendances à l’activisme que par une transformation radicale de l’intervention politique. Au cours de cette période, le travail dans les entreprises reprend sur des bases beaucoup plus systématiques et la direction pousse à des investissements beaucoup plus significatifs dans les comités Vietnam (rattachés au comité Vietnam national) et dans le mouvement étudiant (en particulier l’UNEF). En mars 1968, un conseil national sur les luttes sociales montre un parti mieux armé, plus décidé aussi à intervenir dans les combats de classe, prêt en somme à accueillir la secousse de mai 1968 sans lui résister.

Seul, parmi les organisations à peu près « respectables », le PSU apporte effectivement un soutien sans réticence au mouvement étudiant. Il participe aux premières manifestations du mois de mai et appelle à la fameuse nuit des barricades, deux jours avant que les syndicats et le mouvement ouvrier officiel se décident eux-mêmes à manifester massivement (le 13 mai). Le PSU est en quelque sorte une organisation du « mouvement » grâce à ses antennes chez les étudiants, en même temps qu’il reflète des transformations profondes dans certains secteurs de la classe ouvrière, tant chez ceux qu’on appelle les techniciens de production que chez les OS d’extraction paysanne récente. Le slogan « Pouvoir ouvrier, pouvoir paysan, pouvoir étudiant », lancé par le bureau national du PSU le 16 mai, résume bien dans son radicalisme et dans ses équivoques les tendances profondes de l’organisation au cours des mois de mai et juin 1968. Elle veut dépasser le conservatisme des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier et faire la preuve de son intérêt pour les processus qui trouvent leur origine à la base simultanément, elle minimise les obstacles à lever pour poser sans faux-fuyants les problèmes du pouvoir. Dans les dernières semaines de mai, la direction du parti essaye de résoudre la quadrature du cercle en cherchant à mettre sur pied un gouvernement de transition vers le socialisme, basé sur la démocratie en action du mouvement (comités d’action, comités de grève, etc.), mais dont la cheville ouvrière serait Pierre Mendès-France, connu pour son attachement à la légalité. Elle joue ainsi sur deux illusions parfaitement complémentaires, celle du débordement du PCF et de la CGT par les éléments actifs du mouvement ouvrier et celle de l’effondrement du pouvoir d’Etat. Il s’agit bien sûr d’une politique-fiction, ayant surtout une portée symbolique et incantatoire de simulation révolutionnaire, mais ses effets ne sont pas négligeable sur les militants et les sympathisants de l’organisation. Pendant de longs mois, le PSU vit à l’heure de mai-juin 1968, il répudie une grande partie de son passé et, pour racheter ses propres erreurs opportunistes, sacrifie à un populisme sans mesure. Il se veut l’organisation de mai-juin 1968, au delà de tous les débats groupusculaires, et conçoit sa présentation massive aux élections de juin 1968 plus de trois cents candidats sur un peu plus de quatre cents circonscriptions) comme une bataille pour faire connaître le mouvement de mai auprès des plus larges masses. Il n’est plus question des marchés assez sordides passés avec le Parti socialiste en 1967, mais de candidatures de principe opposées à tous les autres partis. Le PSU ne veut plus être le courtier de l’unité, il se veut le principal instrument du renouvellement révolutionnaire du mouvement ouvrier.

Comme on peut s’en douter, ce « gauchisme » n’est évidemment pas exempt d’équivoques. Pour une partie de la direction — Rocard en particulier— la radicalisation du vocabulaire n’est pas exclusive d’une grande volonté de « réalisme », même si les thèses sur le « grand parti socialiste » n’apparaissent plus actuelles. Il s’agit surtout de faire valoir la marque du PSU contre les autres marques de fabrication et de poser avec plus ou moins de force sa candidature au pouvoir (dans le cadre d’une coalition qui reste à déterminer). De ce point de vue la campagne de Michel Rocard pour les élections présidentielles de 1969 est tout à fait caractéristique. Elle ne pose aucun des problèmes fondamentaux de la reconstruction du mouvement ouvrier, mais dose de façon très habile les thèmes autogestionnaires et les thèmes de technocratisme sur la bonne façon d’aborder les problèmes économiques. Elle joue ainsi sur les appels à la base et sur les croyances très répandues dans les nouvelles couches salariées en la neutralité du progrès technique et de la compétence des experts. Les militants de l’organisation ne sont évidemment pas sur cette longueur d’onde, mais ils laissent faire les choses, parce qu’il leur semble que le discours rocardien est une simple traduction, en langue accessible, des mois d’ordre révolutionnaires. Ils n’ignorent pas, sans doute, que le traducteur est infidèle et infléchit considérablement le sens de ce qu’il doit exprimer, mais ils veulent croire que derrière ces « petites » trahisons, il n’y a pas le développement systématique d’une ligne réformiste. Malgré des protestations occasionnelles, la gauche du parti adopte une attitude comparable. Elle se rend, bien sûr, compte que par l’intermédiaire de Rocard, la droite du parti essaye d’imposer une politique de renouvellement du réformisme, mais elle pense que la radicalisation progressive du parti balaiera toutes les tentatives de retour en arrière. Pour elle, faire avancer les choses, c’est moins produire une nouvelle réflexion stratégique ou établir de nouveaux rapports avec la classe ouvrière que faire adopter progressivement un langage plus révolutionnaire, proclamant l’actualité du socialisme. Quoiqu’elle ait acquis un poids non négligeable au niveau de la direction, elle introduit, en fait, peu de changements dans les pratiques de l’organisation : un peu plus d’audace et de fermeté dans les rapports avec les organisations traditionnelles de la classe ouvrière, une certaine ouverture vers les groupes d’extrême gauche révolutionnaire (en particulier dans la lutte contre la répression de Marcellin). Dans les entreprises et dans le mouvement syndical, rien de fondamental n’est changé, car il y a peu ou pas de coordination entre les militants. A ce niveau, le seul travail véritablement positif est un travail de remise au point des mots d’ordre de l’action revendicative : augmentations unitaires pour tous, assemblées générales du personnel pour discuter et diriger les luttes, batailles contre la hiérarchie des grades et des qualifications. Le PSU, dans ce domaine, ne fait souvent qu’anticiper sur l’évolution d’un secteur non négligeable de la classe ouvrière, organisé pour l’essentiel dans la CFDT, sans pour autant lui frayer véritablement la voie vers une politique révolutionnaire.

Toutes ces équivoques de la radicalisation de l’après-Mai se manifeste avec une force particulière lorsque, sous la pression d’une partie impatiente de la base, la majorité de bureau national se décida à entamer la lutte contre Michel Rocard et ce qu’il représente. La gauche de la direction, elle-même composite sur le plan idéologique, préconise une alliance oecuménique (maoisants, trotskysants et autres courants de gauche) en gommant les divergences au détriment de la clarté politique. En même temps, elle limite le plus souvent les débats a des affrontements d’appareil feutrés, à des escarmouches qui ne sont pas toujours perceptibles et comprises. Bien évidemment une telle politique mécontente à peu près tout le monde. Elle ne satisfait pas les maoistes en train de s’organiser en tendance, la « Gauche révolutionnaire », sur la base d’un populisme effréné ; elle indispose beaucoup d’éléments de la base qui recherchent, eux, un peu plus de clarté dans la définition des objectifs et des pratiques, en particulier en matière syndicale. Elle n’empêche pas enfin la droite de se préparer à la bataille et d’utiliser toutes les erreurs « ultra gauchistes » commises par la gauche maoïste et maoisante. Aussi, après des succès initiaux, le conseil national de Rouen, en 1970, l’adoption d’un programme d’action de contenu révolutionnaire en janvier 1971, la gauche subit-elle une défaite au congrès de Lille au printemps de la même année, perdant ains la direction de l’organisation. Mais contrairement à ce que pense la majorité du courant « marxiste révolutionnaire » qui se forme à ce moment, cet épisode n’amorce pas une évolution irrésistible vers la social-démocratie rénovée (celle de Mitterrand et du congrès d’Epinay). La position de Michel Rocard devient sans doute de plus en plus claire, mais sa victoire dans le parti ne s’est pas faite sur la base d’une politique de fusion (pour lui, de réconciliation) avec le PS. Le glissement vers la droite ne peut donc être que très graduel, malgré le départ d’une partie importante des militants de la gauche (surtout après le conseil national de Juvisy, en juin 1972). Au congrès de Toulouse, en décembre 1972, rien ne vient modifier les assises fondamentales du parti. Il devient sans doute de plus en plus évident que le PSU prend ses distances avec l’extrême gauche, mais il ne se rapproche pas véritablement des partis traditionnels et cherche à élaborer une ligne « autogestionnaire » qui le lie encore un peu plus aux secteurs en mouvement dans la CFDT.

Dans l’esprit de la direction rocardienne, cette ligne, réaffirmant l’originalité du parti, a surtout pour but de surmonter la crise grave suscitée par sa propre prise du pouvoir. Mais pour la grande majorité de l’organisation, il ne s’agit pas d’une manœuvre à court terme. Comme l’affaire Lip le montre quelque temps après, une partie importante du PSU croit, sans arrière-pensée, à l’auto-organisation de la classe ouvrière et dans la foulée veut se faire le porte-voix des aspirations à l’autogestion sur le plan politique en dénonçant simultanément le double jeu du PS dans ce domaine. L’élection présidentielle de 1974 semble de nouveau bouleverser les cartes : la majorité rocardienne impose très facilement une consigne de vote en faveur de Mitterrand, malgré la campagne menée en faveur du principal dirigeant de la section PSU de Lip, Piaget. A cette occasion, on observe de nouveau la répugnance de très nombreux cadres du parti à soutenir des options politiques immédiates des secteurs combatifs de la classe ouvrière. Pourtant, en interprétant trop vite ce vote comme l’indice d’un rapprochement avec la social-démocratie, Rocard et ses amis dévoilent imprudemment leurs batteries — la participation à la troisième composante du PS aux côtés d une partie de la direction de la CFDT— et au cours du reste de l’année 1974 se voient infliger une série de défaites cuisantes rappelant celles subies par Martinet et Poperen, en 1967. Le PSU est ainsi débarrassé de sa composante rocardienne, mais doté d’une nouvelle direction qui ne sait pas très bien comment se situer sur l’échiquier politique [3]. Rien ne la prépare à mener une politique hardie d’unité des forces essentielles de l’extrême gauche, rien ne la prépare non plus à favoriser la formation d’un véritable courant de gauche dans la CFDT et dans le mouvement syndical en général. Le départ de Michel Rocard et de ses partisans ne marque donc pas la fin des hésitations du PSU. Dans la mesure, au contraire, où la nouvelle direction n’a pas comme Michel Rocard, de stratégie à mettre en œuvre, elles s’accentuent, et malgré l’élaboration progressive du discours sur l’autogestion, donnent à l’orientation du PSU un caractère très oscillant. Le PSU accepte d’abord l’unité d’action avec la LCR, il la pratique assez systématiquement lors de l’affaire des comités de soldats, pour la refuser quand elle tend à devenir plus étroite et concerne des objectifs à plus long terme (l’attitude à adopter face à la crise rampante du régime Giscard et face aux élections). Il se dit prêt au dialogue avec les organisations révolutionnaires, en particulier sur sa conception de l’autogestion, mais il ne veut plus rien en savoir lorsqu’il s’agit de passer aux actes. A l’égard du PCF, l’attitude est aussi peu conséquente. D’un côté, le PSU critique (de moins en moins, il est vrai) le Programme commun de la gauche unie et son légalisme dans la lutte contre le pouvoir actuel, d’un autre côté, il recherche avec les partenaires de la coalition de gauche, particulièrement avec le PCF, des accommodements qui gomment les divergences politiques et laissent la porte ouverte à des accords tout à fait électoralistes. Sans doute, ne s’agit-il pas d’un ralliement inconditionnel. La direction du PSU souligne pour qui veut l’entendre le caractère tactique des démarches qu’elle entreprend dans ce sens. Son objectif avoué est d’éviter une trop grande minorisation lors des prochaines consultations électorales.

Certes, il serait erroné de considérer simplement le secteur réformiste du mouvement ouvrier comme un poids mort et de renoncer à l’avance à toute intervention sur son évolution. Une politique révolutionnaire authentique suppose au contraire qu’on pèse sur ses contradictions et qu’on fasse tout pour arracher à son influence des secteurs significatifs de la classe ouvrière. C’est pourquoi on ne peut écarter a priori des accords d’unité d’action et des ententes moins circonstancielles portant sur des objectifs bien définis, mais cela ne doit pas se faire bien sûr, aux dépens de la clarté et de l’explication des divergences les plus fondamentales. Autrement dit, le rapport qu’il faut entretenir avec les courants réformistes est à la fois un rapport d’unité et de contestation, qui exige parallèlement des efforts constants pour renforcer et clarifier la « gauche révolutionnaire » pour donner le maximum de crédibilité à son action autonome. Or, il apparaît que la direction du PSU veut se persuader qu’il est possible de faire l’économie du renforcement progressif et de la clarification politique de l’extrême gauche et qu’il est possible en même temps de traiter sur des bases ambiguës avec le PCF, sans mettre en danger la progression dans les masses du « courant autogestionnaire ». Quoiqu’elle en dise, elle fait par conséquent confiance au mouvement spontané des masses pour balayer les résistances qu’elle n’entend pas affronter directement elle-même. Ce comportement typiquement opportuniste n’annonce pas, il faut le redire, un complet retournement du PSU et une victoire à retardement de la politique rocardienne — l’organisation est trop hostile à la social-démocratie—, mais il montre que le parti est plus sensible qu’il ne veut bien le dire à la montée présente du réformisme et au recul concomitant de l’extrême gauche (voir les dernières élections partielles). Comme souvent dans son histoire, le PSU essaye dans le contexte actuel de biaiser et d’échapper à certains choix douloureux —par exemple affronter la politique de la direction de la CFDT ou tenter, à propos des municipales, une bataille pour imposer un front des révolutionnaires— en attendant que la conjoncture devienne plus favorable à la propagation des idées révolutionnaires et autogestionnaires.

Ce dernier épisode qui suscite des remous et des polémiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du PSU, confirme s’il en était besoin les tendances de celui-ci à s’adapter passivement aux changements d’humeur qui se manifestent dans les milieux radicalisés qu’il représente et influence : ouvriers d’avant-garde de la CFDT, jeunes catholiques en rupture de ban avec leurs familles traditionnalistes, etc. Jusqu’à présent, cela signifie qu’il ne s’est jamais donné les tâches d’une organisation d’avant-garde, c’est-à-dire anticiper sur l’évolution et la radicalisation des secteurs du mouvement ouvrier qu’il organise, combattre les influences bourgeoises et petites-bourgeoises dans les rangs de la classe ouvrière. Bien entendu, cela ne veut pas dire que le PSU véhicule inconsciemment les influences négatives des différentes variantes du réformisme. A sa façon, il peut même les combattre en refusant, comme il l’a fait a plusieurs reprises, de s’associer aux opérations de rénovation politique et organisationnelle de la social-démocratie. Mais force est de constater qu’au-delà de ces actes de refus, en eux mêmes positifs, du réformisme, et malgré un lent déplacement vers la gauche de sa doctrine et de ses affirmations idéologiques, le parti ne présente en matière stratégique et tactique que des élaborations particulièrement pauvres. La plupart du temps, les références à la stratégie autogestionnaire, au programme de transition qui serait nécessaire, ne sont que des substituts verbaux aux thèmes programmatiques, à la ligne d’action qui font défaut. Comment affronter l’Etat contemporain, à partir de quelles analyses et de quelles interventions ? Quelles sont les racines idéologiques et pratiques du réformisme ? quels sont les moyens effectifs de le combattre, au-delà des dénonciations et des incantations rituelles ? Quelles rapports, la classe ouvrière française entretient-elle avec ses organisations actuelles ? Dans quel sens peut et doit se développer la crise présente des formes d’organisation du mouvement ouvrier sur le plan politique ou syndical ? Comment construire l’organisation révolutionnaire qui permettra aux secteurs les plus avancés du prolétariat de s’orienter dans les batailles politiques a venir ? Autant de questions qui ne trouvent pas de réponses du côté du PSU ou des réponses ambiguës : dans les affrontements les plus immédiats, ses militants en sont réduits à des comportements empiriques et instinctifs, c’est-à-dire sont réduits en définitive, à adopter des comportements largement inspirés par le désir de préserver ou de renforcer leur organisation en évitant de heurter les sentiments apparents des travailleurs les moins liés au réformisme organisé. Le PSU n’a pas de ligne cohérente à moyen et à long terme, et en suivant cette ligne de moindre résistance, il est tantôt l’expression des aspirations d’une avant-garde ouvrière à une authentique pratique révolutionnaire, tantôt la manifestation de toutes les résistances accumulées par de longues années de défaites contre un renouvellement de l’orientation révolutionnaire. On peut même aller plus loin et dire que tous les glissements successifs du parti vers la droite ou vers l’ultragauche sont comme le témoignage de l’absence d’une orientation révolutionnaire ou plus exactement de l’absence d’un travail systématique — pratique et théorique — pour mettre au point une orientation révolutionnaire. Depuis quelque temps, il est vrai, le PSU se propose de devenir un intellectuel collectif au service de la classe ouvrière, mais pour lui cela signifie moins rechercher une ligne politique (révolutionnaire et globale) que rassembler les idées qui sont dans l’air et en donner une expression compréhensible. C’est sans doute ce qui explique la sensibilité particulière du parti à des mouvements qui ébranlent en profondeur notre société : crise de la sexualité et des rôles féminins, crise de l’éthique productiviste et des rapports de travail, crise des idéologies de la croissance et montée des mouvements écologiques, crise de l’individualité bourgeoise et mise en question du mode de vie capitaliste, etc. Faut-il le rappeler, le PSU. dans les années soixante, a été la première organisation à poser les problème dits du « cadre de vie », et ses sections ont souvent accumulé une très riche expérience dans ce domaine, à travers leurs activités locales. Le revers de la médaille c’est évidemment que la mise en forme de toutes ces poussées contre l’ordre capitaliste est défectueuse très souvent superficielle, c’est-à-dire reste souvent a un stade infrapolitique sans atteindre toute la charge offensive qui serait possible, permettant par-là même une facile récupération par la social-démocratie rénovée.

Le PSU est ainsi profondément caractérisé par l’amorphisme de son radicalisme, mais c’est précisément ce qui fait sa force relative dans le contexte politique et social français. En tant qu’organisation il reflète assez fidèlement la nature sinueuse, contrastée, souvent peu politique du processus de radicalisation qui se fait jour depuis une dizaine d’années. Ses formes d’organisation relativement lâches, son idéologie souple, ses tactiques changeantes, correspondent dans une large mesure à ce qu’attendent beaucoup de jeunes militants qui, dans le stalinisme rejettent surtout le dogmatisme, le bureaucratisme sans comprendre ses racines politiques et sociales. Avec son démocratisme affiche le manque de révérence dont il fait preuve à l’égard de ses directions successives il attire aussi beaucoup de ceux qui refusent le paternalisme et le double langage du réformisme français classique. On peut certes noter que le PSU a beaucoup de mal à garder les militants qu’il gagne. Nombreux sont ceux qui rompent avec lui, sur la droite ou sur la gauche, parce qu’ils ne trouvent pas dans sa pratique (interne et externe) un minimum de clarification politique. Mais cette faiblesse ne tarit pas pour autant un courant étonnamment régulier de recrutement. Le PSU, en ce sens est un lieu géométrique où convergent de façon massive beaucoup de révoltes et de mises en question des relations sociales bourgeoises. On vient au PSU moins parce qu’on partage sa « ligne » — elle change tellement — et ses options tactiques — elles sont suffisamment floues et indéterminées pour satisfaire des nostalgies très diverses — que pour son indétermination (à propos de toute une série de problèmes). On lui est reconnaissant de ne point imposer de théories et d’idéologies rigides et de laisser coexister dans son sein des attitudes et des orientations contradictoires à bien des égards. De ce point de vue, son indétermination est l’un de ses principaux atouts.

On voit par là que la lutte contre le « centrisme » de ce parti multiforme ne peut se résumer dans un rappel aux principes et dans des condamnations globales de l’opportunisme. Sur ces seules bases, on a peu de chances de convaincre beaucoup de militants, la majorité d’entre eux étant persuadée que les erreurs de leur organisation sur le plan tactique peuvent toujours être redressées. En réalité, la confrontation doit être beaucoup plus dynamique et beaucoup plus profonde, elle doit en particulier porter sur la façon d’exprimer et de prolonger la radicalisation des travailleurs et des jeunes dans la période présente. Il s’agit, entre autres, de montrer aux militants et aux sympathisants du PSU qu’il ne suffit pas de donner la parole à ceux qui contestent et de se faire l’écho de leurs aspirations à un monde différent, mais qu’il est absolument nécessaire de récupérer une dimension politique refoulée depuis des décennies sous l’impact du stalinisme et de la « prospérité » capitaliste des années cinquante et soixante. Il s’agit, en quelque sorte, de redécouvrir que l’auto-organisation des travailleurs c’est-à-dire la reconstruction consciente du rapport social de production, ne peut s’opérer sans un travail systématique de désagrégation-destruction de la politique bourgeoise, sans la mise au point d’une pratique révolutionnaire qui transcende les manifestations les plus immédiates de malaise et de révolte. C’est dire qu’il faut dépasser l’indifférence aux problèmes de stratégie et la tendance fâcheuse à postuler la révolution socialiste sans chercher à déterminer les cheminements qui sont nécessaires aujourd’hui ou les formes d’organisation indispensables pour concentrer et féconder les énergies. Il y a maintenant une couche relativement nombreuse de militants d’avant-garde (organisés ou non sur le plan politique), mais il faut bien constater que, faute d’un parti révolutionnaire implanté, ils oscillent entre la condamnation sectaire et le suivisme politique, à quoi s’ajoutent les démoralisations temporaires qui peuvent se produire dans leurs rangs, lorsque l’indifférence politique semble l’emporter dans les couches particulièrement combatives de la classe ouvrière. Dans la conjoncture actuelle, caractérisée à la fois par une usure rapide du régime Giscard et par une atonie apparente de la contestation politique, ces dangers sont particulièrement pressants. On peut donc s’attendre à une pression considérable de cette démoralisation relative sur le PSU. Mais la plus insuffisante réponse à donner à ces hésitations et interrogations du PSU et de sa sphère d’influence serait de se contenter de rappels constants aux principes.
Lorsqu’on veut lutter contre les tentations opportunistes, il faut effectivement affronter des problèmes dont les données ne se laissent pas ramener purement et simplement aux données connues et analysées, il y a trente ou quarante ans. C’est ainsi que l’hégémonie du réformisme sur le mouvement ouvrier ne peut plus être saisie comme une déviation temporaire par rapport à un cours rectiligne du processus révolutionnaire. Elle est trop liée à des formes d’organisation et à des idéologies qui ont encore aujourd’hui des racines profondes dans la classe ouvrière, pour avoir imprégné sa vie pendant des décennies. Elle ne peut donc être ébranlée seulement par des regroupements et des réalignements politiques dans les sommets ou les superstructures du mouvement ouvrier, mais bien par des processus de réorganisation en profondeur de la classe ouvrière. De ce point de vue, il est par conséquent capital de bien comprendre la nature de la crise sociale présente et surtout de bien mesurer quelles sont ses modalités d’expression au niveau de l’Etat (par exemple, difficultés de l’Etat-providence dans ses fonctions de gestion et de prévoyance sociales). Toute la perspective du double pouvoir dépend en effet des processus qui se passent plus ou moins souterrainement à ce niveau, et les rythmes de développement de la crise révolutionnaire à venir sont également liés à ces modes de décomposition des rapports bourgeois. Les désordres, les dysfonctionnements s’accumulent, mais la marche vers la crise révolutionnaire reste lente et sinueuse comme on le voit en Italie, le pays où les luttes sont les plus avancées en Europe. Il est bien sûr fort probable qu’on assistera au bout d’un certain temps à une accélération des affrontements de classe, mais ce qu’il faut maîtriser pour le moment, c’est une conjoncture où les instruments de la classe dominante s’émoussent de plus en plus, mais où les affirmations des travailleurs sont encore très largement inarticulées. La recomposition du mouvement ouvrier, par suite, ne peut être que lente et difficile. Dans l’immédiat, elle ne peut passer par des ruptures éclatantes dans les organisations réformistes ou dans leurs zones d’influence, elle passe au contraire par le dur apprentissage de la politique pour l’extrême gauche révolutionnaire. Il s’agit de susciter peu à peu des différenciations dans les organisations réformistes et de faire apparaître toute la distance qui sépare leurs pratiques réelles des exigences de la situation. C’est cette bataille pour desserrer l’étreinte du conservatisme réformiste qu’il faut proposer au PSU, elle est plus exaltante qu’une activité parasitaire de flanc-gauche de l’Union de la gauche.

P.-S.

Jean-Marie Vincent Online, [sans date]. URL : http://jeanmarievincent.free.fr/spip.php?article38

Notes

[1On peut rappeler qu’avant de dénoncer l’évolution rétrograde des organisations centristes européennes, particuliérement à partir de 1935-36, Trotsky s’est efforcé de les gagner à la construction d’une nouvelle internationale. Il serait donc faux d’affirmer qu’il les a toujours considérées comme des obstacles majeurs à la construction du parti révolutionnaire. Bien au contraire, il discernait dans leurs orientations vers 1933 comme un écho de la radicalisation d’une partie de la classe ouvrière sous l’impact de la crise économique mondiale et de la victoire menaçante du nazisme. Voir à ce sujet Writings of Leon Trotsky (1933-34), Pathfinder Press, New York, 1972.

[2Nommées d’après les lettres de l’alphabet. Les plus importantes sont :
— La tendance A, qui regroupe les anciens sociaux-démocrates venus de la SFIO. dont Michel Rocard.
— La tendance B, qui rassemble l’essentiel de l’ancien appareil de l’UGS et les sociaux-démocrates les plus ouverts comme E. Depreux.
— La tendance C qui se veut le défenseur de l’orthodoxie marxiste et de l’unité d’action du mouvement ouvrier.
— La tendance E. ou « socialiste-révolutionnaire », qui reprend une grande partie de l’héritage trotskiste

[3La direction actuelle du PSU est composite. Elle regroupe des militants chevronnés venant du catholicisme de gauche comme M. Mousel, voire comme P. Régnier et les recrues de plus fraîche date comme V. Leduc et tout un groupe de militants issus du PCF. Sa caractéristique principale semble être un esprit de gestionnaire prudent et la crainte des orientations « aventurées » ou des dispositions programmatiques trop poussées.

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