Ouvrant la discussion du 30e Congrès, la direction du Parti communiste a appelé à un échange dépassant ses seuls rangs. Les problèmes abordés intéressant toute la gauche, à commencer par celles et ceux qui refusent de suivre la social-démocratie dans l’acceptation du capitalisme comme un « horizon indépassable », nous nous saisissons de cette invitation au débat fraternel.
Reconnaissons-le d’emblée, le PCF a évolué. Les documents soumis aux militantes et militants traduisent des changements par rapport aux précédents congrès, donnant un nouveau cadre à la discussion. Le stalinisme est critiqué comme système oppressif ayant offert du communisme la vision la plus caricaturale et criminelle qui se puisse imaginer. Le refus de la mondialisation des marchés et de la finance récuse le repli sur les nations. Le choix du congrès de Tours se voit de nouveau validé, au moins dans le constat qu’il faut abolir le capitalisme, même si la notion de dépassement mérite débat. La nécessité est notée de refonder un projet qui s’enracine dans les aspirations exprimées par des mobilisations dont la richesse et l’expérience accumulée imposent de repenser la question du rapport des partis avec le mouvement social.
L’idée de la « mutation » domine l’ensemble des documents. Mais le problème essentiel est de savoir de quelle « mutation » il s’agit, dans quelle direction elle va, et pour faire quelle politique ? C’est le débat fondamental auquel nous voudrions ici contribuer.
Il ne suffit pas de reconnaître ses erreurs, d’adresser ses regrets à celles et ceux qui furent victimes d’un fonctionnement bureaucratique et antidémocratique, d’afficher sa volonté de « bouger ». Encore faut-il en tirer les implications pratiques dans la définition d’une orientation anticapitaliste apte à refonder un projet de société crédible, qui tire lucidement les leçons des fautes et tragédies du passé et puisse, ce faisant, viser à éliminer toute forme d’exploitation et d’oppression.
Il en va ainsi du travail de mémoire initié pour ce congrès. Si le rejet du stalinisme est un élément positif, cela ne peut conduire à rejeter la révolution de 1917 et les potentialités émancipatrices dont elle était porteuse, quelles que soient les limites et les erreurs du parti bolchevique. Cela est d’autant plus vrai quand on omet de souligner que le stalinisme fut une contre-révolution, qui eut des conséquences à l’échelle du monde entier avec la soumission des partis communistes aux intérêts de l’URSS. Ce retour critique est la condition pour aborder sans faux-fuyants les responsabilités qui incombent au PCF et à ses dirigeants, alors subordonnés aux décisions de Moscou, dans l’échec des poussées révolutionnaires de 1936 ou en 1945. De la même manière, il serait temps de faire un bilan sans complaisance des raisons pour lesquelles le Parti communiste loupa le coche de 1968, effrayé qu’il était par la dynamique d’un mouvement qu’il ne contrôlait pas. Il y a également urgence à revenir sur l’histoire de rapports avec la social-démocratie marqués par l’alternance de phases d’union sans combat et de combat sans union, sur la période du Programme commun et de l’expérience gouvernementale de 1981-1984, sur leurs suites et sur les raisons pour lesquelles ces zig-zag permanents, combinés à la crise du stalinisme, coûtèrent au PCF la perte d’une position longtemps dominante à gauche. Faute d’un retour sur le passé qui ne s’en tienne pas à la surface des choses, les débats désormais ouverts ne déboucheront ni sur la solution des problèmes d’existence du Parti communiste, ni sur la définition d’un projet politique et organisationnel novateur.
Les « propositions de choix d’orientation » pour le 30e Congrès préconisent de concilier le travail « dans tous les lieux de pouvoir » et l’activité « dans le mouvement populaire, en contribuant à des rassemblements créant une dynamique nouvelle ». Dans la pratique, il ne reste cependant que l’inconfortable exercice de digestion des couleuvres sans cesse avalées. Car on ne peut être au gouvernement, solidaire de sa politique, et en même temps dans les luttes, souvent menées contre les conséquences de cette même politique. Cela peut conduire le PCF à se cantonner à l’occupation du faible espace que lui laisse la participation à un gouvernement placé sous l’hégémonie du Parti socialiste. Avec au bout du chemin, la certitude d’une satellisation sans retour possible. Il n’y a pas de place, en France, pour deux partis solidaires de la même politique. C’est le plus gros électoralement et le plus cohérent qui l’emportera.
Ainsi quand le groupe communiste de l’Assemblée nationale dépose des propositions de lois importantes, par exemple sur les licenciements, il se voit rabroué par son partenaire. Quand il propose des amendements progressistes à tel ou tel texte législatif, le gouvernement n’en retient que les moins importants. Quand il menace de voter contre la loi de financement de la protection sociale, le Premier ministre en personne lui rappelle sans ménagement que sa docilité est le prix à payer pour la conservation des trois maroquins ministériels. Dans cette logique infernale, il y a plus : comment expliquer que les députés PCF ne s’opposent pas au vote de la directive européenne sur EDF ? Comment expliquer le comportement de Jean-Claude Gayssot, qui, lors du conflit sur les 35h chez les routiers, soutient les patrons des transports contre les syndicats ? Comment expliquer le vote sur la deuxième loi Aubry qui, en généralisant la flexibilité, aggrave les conditions de travail de millions de salariés sans pour autant créer d’emplois ?
Le 16 octobre aurait pu ouvrir un chemin possible pour avancer vers le « tous ensemble » si nécessaire afin de forcer le grand patronat à moins d’arrogance, pour modifier le rapport des forces à gauche et pour imposer au gouvernement qu’il change de politique. La manifestation, pourtant prometteuse par son ampleur, n’aura pas eu de lendemain. A peine le cri de la rue s’était-il tu, que les députés communistes entérinaient le projet Aubry. Dans la foulée, la direction du Parti communiste ne voulut manifestement pas poursuivre cette action unitaire rassemblant des secteurs de la gauche, du mouvement social et l’extrême gauche, prisonnière qu’elle est du carcan gouvernemental.
Alors que l’inégalité croît comme jamais depuis cinquante ans, que les services publics sont bradés, que les concentrations capitalistes se multiplient au prix de milliers d’emplois sacrifiés, que la déréglementation devient le credo des élites et que le déficit démocratique bat son plein et se traduit dans un abstentionnisme électoral record, il faut bien constater que la gauche gouvernante n’offre au peuple de gauche que le choix entre une politique libérale, en cas de retour de la droite, et un social-libéralisme qui privatise à tout va, flexibilise et annualise le temps de travail, refuse une augmentation substantielle des minima sociaux. Voilà le genre d’alternative piégée qui fait en général la fortune des pêcheurs en eaux troubles de l’extrême droite ou du populisme.
Esquivant ce constat et cherchant manifestement à justifier l’orientation suivie depuis 1997, les documents du 30e Congrès ne parviennent, par conséquent, pas à relever le défi qu’ils affirment se fixer : offrir un réel correspondant politique aux attentes du plus grand nombre. Aux luttes des salariés pour l’emploi et le revenu, comme à celles des chômeurs ou des sans-droits exigeant que l’on satisfasse leurs revendications de justice et de dignité sans plus s’embarrasser des contraintes budgétaires du Pacte de stabilité européen. À la réflexion de forces syndicales ou associatives dont le renouveau s’avère impressionnant depuis le grand mouvement de l’hiver 1995. Au combat de structures comme ATTAC dont le développement rapide témoigne d’une réponse politique qui se cherche à la mondialisation dévastatrice du capital.
Eu égard à la grande diversité des aspirations montant aujourd’hui de la société, ce correspondant politique ne pourra se résumer au seul Parti communiste, fût-il rénové, ni même aux seuls courants héritiers de la tradition communiste du siècle écoulé. La liaison nécessaire avec le mouvement social ne s’opérera pas au moyen d’opérations destinées à obtenir la caution de quelques personnalités à l’orientation du PCF, comme ce fut le cas avec la liste « Bouge l’Europe ». A terme, un projet crédible de transformation radicale de la société devra être porté par une nouvelle force politique. Une force à qui il reviendra de tirer tous les enseignements des impasses social-démocrates autant que des désastres engendrés par le stalinisme, de se libérer du corset asphyxiant de la solidarité de gestion gouvernementale à tout prix, de réaliser sur cette base une nouvelle synthèse programmatique prenant en compte des apports aussi essentiels que ceux de l’écologie ou du féminisme, de rassembler des cultures et des traditions différentes autour d’une conception rénovée, démocratique et autogestionnaire du socialisme.
Cela nous conduit d’ailleurs à un autre débat. Les révolutions de demain emprunteront sans doute de nouveaux chemins. L’objectif est bien de créer les conditions pour que les salariés, les exclus, bref l’immense majorité populaire, exerce le pouvoir politique, social, économique. Ce qui suppose forte mobilisation sociale, accumulation d’expériences, niveau de conscience élevé et nouvelles formes de démocratie qui élargiront les droits et libertés des citoyens. On ne peut cependant, comme s’y emploient les textes du 30e Congrès, faire l’impasse sur l’inévitabilité d’affrontements et de ruptures, de changements institutionnels radicaux, d’une remise en cause du droit de propriété capitaliste et de la nécessité de l’appropriation sociale des leviers de commande de l’économie, faute de voir le marché continuer à imposer sa loi à la société. De ce point de vue, une stratégie de transformation sociale radicale, où le pouvoir soit effectivement exercé par les salariés et par le plus grand nombre, ne peut se réduire à une addition de pouvoirs partiels combinée à une participation gouvernementale dans le cadre des actuelles institutions.
Le PCF affirme aujourd’hui vouloir contribuer à l’émergence d’une alternative au social-libéralisme. Force est néanmoins de constater que les documents préparatoires au congrès de Martigues n’offrent pas de réponse à la hauteur de cette question vitale. Ce débat, nous sommes prêts à le poursuivre, au-delà du 30e Congrès, tout comme nous sommes disponibles à agir ensemble, chaque fois que possible.
Léonce Aguirre, Alain Krivine, François Ollivier, Christian Picquet