Les services publics, élément essentiel d’une alternative démocratique au capitalisme

, par DEFAIX Bernard

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Bernard Defaix est président de La Convergence (le point de vue ici défendu n’engage pas l’association).

La reconquête et le développement des services publics sont un enjeu primordial dans la construction de l’alternative démocratique au capitalisme.

La Convergence Nationale des Collectifs de Défense et de Développement des Services Publics est un réseau né des suites du mouvement de colère de 263 élus creusois présentant leur démission au Préfet en Octobre 2004. Cet évènement avait débouché sur l’énorme manifestation, fortement médiatisée, organisée par le Collectif creusois à Guéret, le 5 mars 2005. À l’initiative de celui-ci, a eu lieu à Guéret, les 25 et 26 juin 2005, une rencontre de Collectifs qui a décidé la création d’un réseau sous l’appellation provisoire de Fédération
Nationale des Collectifs... Celle-ci, par décision de son Assemblée Générale
à Lorient, fin janvier 2006, s’est constituée en Association Loi 1901
tout en s’intitulant La Convergence...

Résister, c’est aussi rassembler et donner du sens...

Durant les dix mois qui ont suivi la manifestation de Guéret se sont produits un certain nombre d’événements qui ont renforcé la conviction de tou-te-s les militant-e-s des composantes syndicales, associatives et politiques impliquées dans le succès du 5 mars qu’il était nécessaire de créer des outils pluralistes de liaison et de rassemblement entre les multiples luttes de résistance à la casse
des services publics. Ce de manière à donner davantage de densité, de cohérence à leur diversité tant géographique que sectorielle. Il fallait aussi faire voir dans les particularités de chacune, le sens global du choix du service public comme choix d’un type de société fondé sur les valeurs d’égalité, de justice sociale et de solidarité, de démocratie et de laïcité, toutes inséparables de la liberté, quand on ne la confond pas avec celle du renard dans un poulailler !

Ce thème a occupé une place importante dans la campagne du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen, en liaison avec la lutte contre la directive Bolkestein. Celle-ci a été révélatrice de la conscience du lien antagonique entre : d’une part, l’exigence de services publics de qualité permettant à chaque citoyenne et citoyen, en tout lieu du territoire où elle/il habite, d’exercer librement et pleinement ses droits fondamentaux d’être humain, d’autre part, les objectifs de la mondialisation libérale conduite par le capitalisme qui vise, dans sa recherche de profit maximum, à établir partout la commercialisation
totale et sans entrave du vivant et de l’ensemble des activités humaines.
La relative dimension populaire qu’a pris en France le combat pour les services publics à partir des années 2000 (davantage dans le milieu rural qu’urbain, même si tous deux dans leurs spécificités sont tout autant concernés) résulte à la fois :

  • de l’ampleur de la casse du secteur public pratiquée pendant plus d’un quart de siècle par les gouvernements successifs, avec la réduction de son rôle et de ses missions, les abandons et désengagements de l’État, les privatisations ;
  • des mobilisations revendicatives syndicales qui s’y sont opposé (quelles qu’aient pu être leurs insuffisances) ;
  • et aussi de la meilleure prise en compte par le mouvement social en général (et l’influence positive dans ce domaine des analyses de la mouvance altermondialiste ayant été indiscutable) des stratégies capitalistes mises en œuvre au travers d’outils tels que le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC ou l’AGCS.
    La victoire, le 29 mai 2005, de la dynamique du « non », a été provoquée par la conviction profonde que l’orientation dominante de L’Union européenne actuelle vise à organiser le marché à partir des deux grands principes fondateurs : la libre circulation des capitaux et l’ouverture à la concurrence libre et non faussée de tous les secteurs d’activité. L’Union européenne s’inscrit complètement, et souvent avec zèle, dans la logique de mondialisation libérale capitaliste, elle est de ce fait une machine à fabriquer en grand les inégalités, la précarité et la pauvreté pour un nombre important d’êtres humains. De surcroît, des conflits militaires multiples et des désastres écologiques irréversibles s’inscrivent dans la logique de l’ensemble !

Durant cette période, des initiatives locales se sont multipliées dans de nombreux départements, axées souvent sur la réduction du réseau postal, de l’hôpital, des classes d’école, des dotations d’heures et de postes dans les collèges et lycées, du réseau national ferroviaire, du réseau commercial d’EDF et de GDF. Dans ces mobilisations s’exprimait de plus en plus souvent, et c’est à nos yeux fondamental, la volonté de travailler au nécessaire rassemblement des usagers, salariés, élus (ce que nous appelons le trépied), non seulement pour exiger que cesse la casse des services publics mais aussi pour les reconquérir, les étendre à des besoins nouveaux, et les démocratiser, afin d’affirmer pleinement leur efficacité. En somme, donner à ce combat toute sa dimension d’avenir ! C’est d’ailleurs cette dynamique du « trépied » et l’engagement concret de forces syndicales, associatives et politiques aux côtés
des Collectifs, bâtis sur le même principe, qui ont assuré le succès de la manifestation du 19 novembre 2005 à Paris (25 000 personnes).

Rassemblés dans un même combat pour le service public et la démocratie

La Convergence a pour seule ambition de contribuer à la création de liens et à la mise en réseau de l’ensemble des forces qui portent l’exigence d’un service public de qualité, en capacité de jouer un rôle déterminant dans la satisfaction des besoins des populations et la mise en œuvre des politiques publiques d’intérêt général. Cette exigence s’exprime au sein d’un système capitaliste dominé par d’autres forces économiques et politiques qui, au contraire, entendent assujettir totalement le service public à leurs seuls intérêts privés. Elles peinent cependant, notamment en France, à remporter une adhésion durable et structurée des couches populaires à un tel projet. La « casse des services publics » reste une formule pertinente si elle désigne plutôt une stratégie de soumission de ces services aux intérêts du capital plutôt qu’une pure et simple disparition : on le voit bien avec le concept de Service Universel utilisé par la Commission Européenne, qui est le complément du processus de soumission dont les services économiques d’intérêt général sont l’outil.

La Convergence constitue un « lieu-carrefour » où peut se fabriquer du « tous ensemble » entre toutes les composantes qui ont décidé de s’y rassembler pour affronter les multiples tâches de ce combat, parce que, dans la diversité de leurs démarches et projets politiques, elles en affirment le caractère central, progressiste et émancipateur.

Il s’agit de construire un outil utile à la réflexion collective concernant les
principes de fonctionnement du service public, la nature de ses missions, les revendications communes sur les moyens dont il doit disposer et enfin sa nécessaire démocratisation pour qu’il puisse répondre avec efficacité aux besoins actuels des populations. En s’appuyant sur le travail des collectifs, il s’agit également de favoriser sans cesse la jonction des luttes particulières concernant l’éducation, la santé, les transports, l’énergie, l’eau, la poste etc. Des moments forts de rassemblement permettent de manifester massivement la signification politique du choix de société que représente l’engagement pour le service public. Nous sommes persuadés que la cause du service public, qui est tout autant européenne et mondiale que nationale, ne peut avancer que si
les points de vue des usagers, des salariés et des élus (tous également citoyens) se confrontent et se nourrissent les uns les autres pour converger dans un même projet ; et c’est à partir de cette conviction que les Collectifs pour les Services Publics se définissent comme des outils de citoyenneté active à vocation forcément idéologique et politique (au sens sociétal et non partisan du terme, encore qu’avec ce qui précède, lectrices et lecteurs auront bien compris que l’on cherchera vainement dans l’expression officielle de Convergence un discours anti-partis) et pas seulement comme porteurs des intérêts d’usagers.

Dès son origine la Convergence a donc choisi une pratique de large rassemblement liée à la volonté de déployer clairement son activité dans le champ de la confrontation idéologique et politique, y compris à l’échelle européenne. Pour ce faire, elle a demandé à tous ses membres un engagement concret et cohérent pour revendiquer la préservation des biens communs face aux appétits de groupes privés, ainsi que la création et le développement de services et entreprises publics ayant pour objectif et principe de fonctionnement la satisfaction des besoins des populations et non pas la rentabilité financière.
Cette ambition a débouché sur la publication du Manifeste des services publics dont la première édition est déjà épuisée et qui a répondu à la nécessité d’exposer dans un texte relativement court le sens de notre action. Nous y présentons aussi les principes sur lesquels doivent se fonder les services publics que nous voulons, leurs champs d’intervention et leurs missions, ainsi que leurs modes de fonctionnement. À nos yeux ce travail reste ouvert, et doit notamment s’enrichir encore de tous les enseignements issus des luttes quotidiennes pour articuler au mieux les revendications concernant les services publics, les moyens de fonctionnement dont ils doivent disposer, et
les besoins des populations.
La présentation du Manifeste s’est effectuée lors de l’importante réunion des états généraux du service public qui se sont tenus à la salle Olympe de Gouges à Paris, le 10 mars 2007, avec plus de 600 participants. Si l’ensemble des candidat-e-s étiqueté-e-s à gauche étaient représenté-e-s, seul Olivier Besancenot y est intervenu en personne.
Durant l’épisode des Présidentielles, si l’exigence de service public telle qu’elle a été portée, à quelques nuances près, par Olivier Besancenot, Marie-George Buffet, José Bové, pouvait globalement satisfaire les Collectifs et les organisations qui se rassemblent dans La Convergence, nous n’avons pas réussi à faire des services publics, comme nous le souhaitions, un des grands thèmes de cette campagne électorale. La manifestation de Firmi, le 31 mars,
dans l’Aveyron, a été à l’image de cette réalité. Chaleureuse, sympathique, motivante, y compris dans son excellente affiche encore pertinente aujourd’hui (« Pour le printemps des services publics, contre l’hiver des territoires ») et dans la qualité des débats qui s’y sont déroulés, avec 2 500 personnes, même
dans une bourgade de 1 200 habitants et malgré l’organisation impeccable du collectif local qui n’a en rien failli dans cette action, ça ne fait pas le poids !

Et maintenant ?

La signification politique de l’élection de Nicolas Sarkozy et les divers épisodes qui l’ont précédée obligent chacun à un bilan qui gagnerait sans doute en pertinence s’il s’effectuait plus collectivement. À La Convergence, nous sommes
convaincus que ces trois dernières années ont vu des avancées réelles,
et pas seulement de notre fait au demeurant, dans la conscience de l’importance de la question des services publics. Et, pourtant, alors que celle-ci concerne l’ensemble des droits sociaux fondamentaux tels l’éducation et la formation professionnelle, la culture, la protection sociale et les soins, les services à la petite enfance et l’aide aux personnes dépendantes, le logement, la communication, l’usage de l’eau potable, de l’énergie et des transports, ainsi que les combats pour démocratiser la vie économique et sociale et la soustraire à la domination exclusive des grands groupes privés, sa prise en compte ne se situe pas encore à un niveau suffisant de cohérence et de globalisation pour qu’elle devienne vraiment un élément structurant des actions
revendicatives et politiques.
Il faut dépasser cette insuffisance, somme toute logique, dans cette période difficile de poussée réactionnaire et de réforme néo-conservatrice, mais dans laquelle on peut également sentir, au travers des mouvements sociaux qui se déclenchent, la colère qui gronde et le refus d’un peuple de se faire mater dans
ses aspirations à pouvoir vivre dignement.

Aussi gardons-nous, à Convergence, une volonté intacte et très homogène, de mettre l’exigence de service public au cœur de ces mouvements et de persister dans notre ambition d’en faire la question clé des prochains scrutins des municipales et cantonales, avec ses corollaires obligatoires que sont la démocratie locale, les responsabilités et compétences locales, les ressources
de financement. Nous restons en effet convaincus qu’à cette occasion, il est impératif de s’adresser politiquement, de façon vraie et concrète, aux habitant-e-s et que cette exigence en est un bon moyen. Qui ne voit en effet que tous leurs besoins essentiels dans le cadre de leur vie quotidienne, qu’ils soient chômeurs, travailleurs du privé comme du public, les ramènent constamment à la question du rôle des services publics et de leur efficacité ? Il s’agit au travers d’actions concrètes sur les besoins en écoles, collèges, lycées et universités, crèches, hôpitaux, en transports en commun et ferroviaires, de logement, de poste, d’eau potable, de services administratifs et de sécurité etc. de replacer la satisfaction de ces besoins essentiels dans la problématique des droits fondamentaux de l’être humain et dans la nécessité de disposer d’outils publics efficaces et de proximité — services et entreprises — pour en garantir le libre et plein exercice, dans l’égalité.

Il est vital de mener un débat idéologique permanent pour affirmer que ce rôle et la qualité du Service public, à travers l’ambition de ses missions, la qualification et la stabilité de la Fonction publique dont il est inséparable, le caractère démocratique de son fonctionnement, sont un des grands « marqueurs » du combat émancipateur et progressiste pour une autre société
de liberté, d’égalité, de justice sociale et de solidarité. Il revêt par là même une valeur universelle. Toutes et tous sont concerné-e-s par ce combat qui doit rassembler public et privé, contre le risque de se trouver en compétition et divisés, comme le pouvoir y travaille sans cesse.
Ce qu’il fait notamment par la confusion relayée et entretenue par les médias bien-pensants entre services publics et « services au public », ce dernier terme désignant dans ce cas un ensemble de consommateurs-clients (public chéri !!!), alors que dans « service public » s’exprime la nature sociale, commune à toutes et à tous, et donc en principe inaliénable, non vouée à l’intérêt privé, du
service rendu. Cette manipulation sémantique, outre qu’elle réduit le sens du mot « public » à la sphère commerciale et l’assimile au marché, permet de minimiser, voire même d’évacuer, la question de la nature de l’outil qui rend le service (cf. la formule chère à certains politiques : « le public se fout de savoir qui est à l’origine du service, pourvu qu’il soit de qualité »). Mais la réalité nous
enseigne tous les jours qu’à terme la logique du privé façonne, hiérarchise
et enferme la satisfaction des besoins dans l’obligation de rentabilité et y
répond selon les revenus, c’est-à-dire fort mal pour ceux qui ne peuvent pas
payer ! Cette opposition entre la Res Publica et la Res Privata, selon la formule de Riccardo Petrella, ne saurait faire l’impasse sur le rôle de l’État et
des Pouvoirs publics comme garants — et donc responsables — des destinées de l’une et l’autre et de l’évolution du rapport de force qu’elles entretiennent entre elles.

La situation du Service public, à un moment donné de l’histoire d’une société, est bien à cet égard « le marqueur » du degré de démocratie caractérisant l’État et ses appareils, du degré de soumission dont ils font preuve aux intérêts particuliers d’une classe dominante, ou au contraire de leur capacité à mettre en œuvre la définition démocratique de l’intérêt général et à favoriser l’appropriation sociale (c’est-à-dire citoyenne) des moyens (entreprises et services) nécessaires à sa réalisation.
Elle détermine donc directement la nature et les orientations des politiques publiques d’aménagement du territoire, quel que soit le niveau de collectivité concerné. En effet c’est seulement grâce à un secteur public suffisamment développé que les politiques économiques et sociales, dont les pouvoirs publics ont la responsabilité de définir les objectifs et les contenus, tant dans les domaines de l’agriculture que de l’industrie et des services, peuvent se construire réellement à partir des besoins des populations et non pas des stratégies de rentabilité d’intérêts privés.
Les partenariats publics-privés (PPP) sont d’autant plus l’arme fatale de la
mainmise des actionnaires sur les activités économiques et sociales, y compris jusque dans des secteurs considérés comme régaliens, que souvent les collectivités ont le sentiment de n’avoir aucun autre moyen d’avancer dans leurs projets.
Bien entendu la Convergence a conscience que les responsabilités des élus, selon le niveau de collectivité territoriale où ils se situent, ne sont pas identiques. Et nul ne doit être dupe quant à la logique profonde de la « décentralisation » Raffarin visant à organiser le désengagement de l’État et des services et entreprises publics dans la mise en œuvre des dynamiques économiques et sociales des territoires. Le dénigrement systématique du « jacobinisme » français a bon dos quand il s’agit d’évacuer la problématique de l’unité de la République, de l’égalité des citoyen-e-s et de la solidarité.
La Convergence se veut un outil citoyen de luttes et de propositions, à construire collectivement et dans lequel les élus ont toute leur place. Elle assure également une fonction d’interpellation permanente sur le choix du service public et les actions que les élus se doivent de mener avec l’ensemble de la population pour que celui-ci sur le terrain soit en mesure de répondre aux besoins.
Là encore, portons l’exigence démocratique que les politiques publiques territoriales et leurs actions de développement local soient conduites avec le souci constant de garantir, grâce à des dispositifs de solidarité (dont, entre
autres, le principe de péréquation) et surtout des plans État-Régions pertinents, aussi bien l’égalité des citoyens dans l’usage des services publics (et donc dans l’exercice de leurs droits) où qu’ils habitent, que le respect des équilibres écologiques.

L’État a la responsabilité entière de garantir cet impératif.

La Convergence va donc aborder l’échéance des élections municipales et cantonales avec la volonté de faire de l’exigence de service public un thème central de l’engagement des candidats, en appelant les citoyen-ne-s à remplir massivement les cahiers d’exigence que les Collectifs leur présenteront et à signer la Charte des services publics figurant en ouverture des cahiers. Une forte période d’activité s’ouvre pour les Collectifs, d’autant que la revendication d’un référendum concernant la ratification du Traité Modificatif Européen est également une tâche capitale du moment.

Vue l’envergure de l’activité idéologique et politique à mener pour sortir de l’incantation défensive et faire de la qualité des services publics (dans leur rôle et missions comme dans leur fonctionnement) un élément essentiel du combat
pour la démocratisation de la vie sociale, avec tous les enjeux qui lui sont liés et qui réclament des choix de société radicalement différents aussi bien dans les modes de production que dans l’organisation sociale et les comportements individuels publics, on comprendra l’insistance de Convergence pour inscrire
son activité dans la durée et dans un objectif permanent de rassemblement et de mouvement collectif.

B.D.

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