1) L’Est [1] en tant que bloc n’existe plus ; l’effacement des anciens Partis communistes au pouvoir, la dissolution du Pacte de Varsovie, la disparition — malgré le maintien de certains flux économiques — du CAEM (Conseil d’assistance économique mutuelle, on encore COMECON) font que les différents pays de la région connaissent une évolution différenciée. Cela sera aussi le cas du mouvement syndical, même si certaines conditions générales restent analogues.
Issue en droite ligne de la guerre froide, l’analyse en termes de bloc a fait faillite en même temps que la réalité qu’elle prétendait analyser. Aujourd’hui, les particularités nationales, qui n’ont jamais cessé d’exister, se manifestent vigoureusement. Elles influenceront aussi le développement du mouvement syndical, tant il est vrai que ce n’est pas la même chose de construire une organisation syndicale dans un pays pris à la gorge par la dette extérieure ou dans un autre sans tradition de résistance au stalinisme ou encore là où des éléments de contrôle ouvrier ou d’autogestion pouvaient exister. Le rythme et les modalités de la transition économique et politique joueront également un rôle diversificateur. Le développement de l’économie de marché, foncièrement inégalitaire, ira dans le même sens.
La grille de lecture suivante indique quelques-unes des tendances actuelles :
a) il y a d’abord les pays que l’on peut qualifier de « chouchous de l’Occident » : Pologne, Hongrie, République fédérative tchèque et slovaque (RFTS). Ils bénéficieront d’une aide relative de l’Ouest et des institutions financières internationales ;
b) il y a ensuite ceux qui sont plutôt considérés comme les « pelés balkaniques » : Bulgarie, Roumanie, Albanie. Moins intéressants économiquement, ils seront sans aucun doute laissés plus durablement à leur sort ;
c) il y a enfin — et cela montre toutes les limites analytiques de cette grille — les inclassables : l’URSS (au futur incertain), la Yougoslavie (dont on ne peut douter qu’elle subsistera comme fédération des Slaves du Sud) et l’ex-RDA, en voie de digestion, non sans peine du reste, par le capitalisme allemand.
Cette simple énumeration indique bien qu’il sera de plus en plus difficile d’avoir une analyse pertinente au niveau régional. Les généralités deviendront rapidement des banalités si elles ne se nourrissent pas d’une observation concrète de la situation concrète.
2) Les conditions de l’effondrement du prétendu « socialisme réellement existant » marquent encore durablement la situation actuelle. Économiquement et politiquement, les pays de l’Europe centrale et de l’Est sont, à des degrés divers, des hybrides instables.
Pour prendre une image, il y a eu plus implosion qu’explosion. [2] Le renversement des régimes en place n’a pas été le fait d’une insurrection victorieuse balayant tout sur son passage. On ne parle pas de révolution, mais, plus vaguement, d’événements ou de bouleversements. Il y a donc eu combinaison entre une impasse économique, un effondrement politique et un mouvement de masse sans programme politique précis (sinon quelques revendications démocratiques allant toutes dans le sens du « plus jamais ça »). En conséquence les cas encore particuliers de l’URSS et de l’Albanie mis à part des pans entiers de l’ancien système cohabitent plus ou moins bien avec le nouveau, aussi bien économiquement que politiquement. C’est là une situation lourde d’instabilités et de dérapages divers. C’est aussi l’origine de phénomènes du type « privatisation de la privatisation » où les premiers bénéficiaires du recours au marché sont les anciens dirigeants faillis, directeurs d’entreprise ou membres de la nomenklatura. Ainsi, l’une des fortunes polonaises les mieux assises est celle de Mieczyslaw Wilczek, multimillionnaire en dollars et ministre de l’industrie sous l’ancien régime. [3] À Prague, le représentant pressenti de General Motors, Andrej Barcak, n’est autre qu’un ancien ministre du Commerce extérieur, dont le père fut lui-même ministre au même poste durant la normalisation (1970-1981). [4]
Les travailleurs ont quelques bonnes raisons de trouver ce genre de recyclage un peu saumâtre...
3) Les privatisations ne sont pas synonymes de développement. La double illusion de 89 — celle de la conquête rapide d’un marché de 430 millions de consommateurs pour les entreprises occidentales et celle d’un flux d’investissements massif, stimulant la relance, pour les dirigeants de l’Est — s’est évanouie.
Visiblement les entreprises occidentales n’encourageront pas le développement d’une concurrence directe à l’Est et n’investiront qu’avec prudence. [5] Le capital local étant trop faible pour suppléer à ce manque et les effets des investissements publics ou semi-publics ne se faisant sentir, au mieux, que dans quelques années, toutes les conditions sont ainsi réunies pour que s’amorce une véritable bombe sociale en Europe centrale et de l’Est.
La mise en place des éléments constitutifs du capitalisme a pris des siècles en Europe. L’existence ou la création de l’une de ses composantes n’entraîne pas nécessairement le développement des autres. Il n’y a pas un bon bout qu’il suffirait de tirer pour que toute la pelote de l’économie de marché se mette en place. Le capitalisme ne se livre pas clés en main. Ou, comme le reconnaissait Jacques Attali, président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement : « Le marché ne crée pas le marché ». [6] Dès lors, « le processus ne sera pas aussi rapide qu’on l’espère aujourd’hui. Il faudra plusieurs années. » (Miroslaw Tucek, président de la Banque d’investissement tchèque et slovaque) [7]
Pour que le capital international s’intéresse à ces pays, il faut que des politiques d’une sévérité inouïe soient mises en place. L’inamovible ministre polonais des Finances, Leszek Balcerowicz, qui ne passe pourtant pas précisément pour une dame de charité, reconnaissait lors du IIe congrès de Solidarność : « Je sais qu’on est à la limite de la résistance de la population ». Et Jacek Kuroń avouait devant le même congrès : « Notre gouvernement a une politique économique, mais n’a pas de politique sociale ». [8] Pour ceux qui n’auraient pas compris, le porte-parole du patronat suisse, la Société pour le développement de l’économie (SDES) précise : « L’une des plus importantes menaces réside dans le risque d’allongement d’un processus dit de (troisième voie> qui combinerait réformes radicales (telle que la libération des prix et des salaires et la décentralisation du pouvoir économique au profit des entreprises) avec des éléments tels que la garantie de l’emploi ou la protection de certaines couches sociales les plus touchées. » [9] Eh oui : la protection de certaines couches sociales les plus touchées est une menace...
Prête à exploser, la bombe sociale ainsi fabriquée comptera des millions de chômeurs ; et les revenus de ceux qui pourront continuer à travailler connaîtront une baisse sensible. L’unification monétaire allemande n’a nullement entraîné une unification des conditions de vie et de travail : les salariés de l’ex- RDA auront à fin 1991 un revenu équivalant aux 60 % de celui de leur collègues de l’Ouest. [10]
Il est des faits de la vie quotidienne qui en disent plus long que des avalanches de chiffres. On a pu lire ainsi dans 24 Heures du 30 avril 1991 que le marché de l’adoption est en train de connaître une forte croissance en Roumanie. Aux yeux de leurs futurs parents helvétiques, les enfants roumains ont en effet l’avantage d’avoir la peau blanche...
« En échange de leur bébé, des parents demandent une voiture neuve, la réfection du toit de leur maison ou encore quelques milliers de dollars. Il y a aussi des vols d’enfants dans les services de pédiatrie, quand ce ne sont pas les médecins qui proposent des nouveau-nés pour 5 000 dollars Comme dans nombre de pays du tiers monde, l’adoption est devenue un immense marché aux devises. » À quelque deux heures de vol de Zurich, se déploie l’une des plus sinistres figures de la misère et du sous-développement.
4) La mise à l’écart, plus ou moins effective des couches bureaucratiques de la nomenklatura, n’est pas synonyme de démocratie. La tenue d’élections libres (quand elles le sont) n’est qu’un élément de l’organisation démocratique.
L’accès à l’information, le débat sur les orientations de fond de la société, l’indépendance des moyens d’information, l’adoption de comportements civiques démocratiques, par exemple, ne sont pas encore garantis. La démocratie effective reste à conquérir.
Plus de quarante ans de domination stalinienne ont laissé des traces profondes. La tentation de l’homme providentiel (Walesa en Pologne, voir même Havel en République fédérative tchèque et slovaque, quand ce n’est pas le roi Michel en Roumanie...) plane encore. La démocratie est souvent confondue avec un « chacun pour soi et Dieu pour tous »... confondant. La recherche d’une solution miracle domine (cas de l’unification en ex-RDA) et quand le prix social des recettes appliquées est annoncé, les anciens champions peuvent se voir brutalement désavoués par leur public (voir l’exemple de l’élection législative partielle de Budapest). Le débat programmatique reste encore largement inconnu ; symptomatiquement, aucun des pays de l’Europe de l’Est et du centre n’a, à ce jour, vu la convocation d’une authentique Assemblée constituante débattant d’un nouvel ordre social et politique. Ce n’est qu’après la prise de pouvoir que commencent à se dessiner véritablement les contours d’options programmatiques claires. La plupart du temps, on assiste, au mieux, à l’opposition de quelques principes ; au pire, l’arrivée massive de biens de consommation (Roumanie) ou l’abus manifeste de promesses électorales (Pologne) font office de programme. L’existence de mutiples formations politiques dans chaque pays, se comptant quelquefois par dizaines, montre bien qu’un processus de décantation doit encore se produire.
5) C’est dans ce cadre qu’agissent les syndicats qui se développent en Europe centrale et de l’Est. Ils représentent sans aucun doute un élément essentiel de toute évolution positive de ces sociétés. Premier, et actuellement seul endroit, où les travailleurs peuvent faire, jour après jour, l’expérience du débat démocratique et comprendre comment inscrire dans un cadre collectif leur réponse aux problèmes quotidiens, les syndicats ont un rôle prioritaire à jouer dans la démocratisation des sociétés de l’Est. Leur fonction politique est plus marquée, dans cette période, que celle de leurs homologues de l’Ouest. Ils doivent cependant simultanément prendre en charge la défense des intérêts matériels des travailleurs et des travailleuses de ce pays. En évitant de se laisser piéger par la logique douteuse du « sacrifions-nous aujourd’hui pour que chantent nos lendemains ».
Les syndicats sont, dans cette partie du monde, clairement un mouvement politico-social. Certains, comme la Ligue démocratique des syndicats (Hongrie) ou encore Podkrepa (Bulgarie) sont nés d’abord comme des mouvements d’opposition. Cela tient bien sûr aux conditions antérieurs de lutte contre les régimes en place, qui faisaient que toute constitution d’une association indépendante du pouvoir était considérée par ce dernier comme une déclaration de guerre politique. Mais cela provient aussi d’une particularité de ces sociétés non capitalistes : l’ensemble de l’économie formant une gigantesque entreprise dirigée par l’Etat, le pouvoir politique fait directement face à la société civile. Toute question sociale, même la plus banale, tend à devenir aussitôt politique. Les rythmes et les conditions de travail dépendaient ainsi étroitement des objectifs du plan, question politique par excellence.
Cette double pression à la politisation de l’action syndicale, renforcée encore par le manque de crédibilité des partis politiques, n’est pas sans risque, l’équilibre entre la fonction politique et l’essence syndicale du mouvement pouvant se rompre. On l’a vu en Pologne, où Solidarnosc, écartelé entre son soutien à la politique gouvernementale d’austérité et son caractère de syndicat, a ouvert la porte à la remontée de l’influence de l’ancien syndicat, l’OPZZ. Autre risque : qu’en l’absence de toute structure politique fonctionnant réellement, le mouvement syndical devienne le forum d’ambitions politiques personnelles, l’action syndicale étant reléguée à l’arrière-plan. Enfin, dans des situations de pénurie, les espoirs placés dans les syndicats, combinés avec la volonté d’agir de leurs militant(e)s, peuvent pousser ces organisations à prendre en charge des responsabilités économiques et sociales sans avoir les moyens de les assumer. Dernier point à mentionner : les pressions des milieux économiques occidentaux en faveur de politiques ultra-libérales, au coût social extrêment élevé. Présentées à la fois comme inévitables (pour mieux désarmer toute résistance) mais porteuses d’un avenir plus riant (pour qui elles peuvent, si elles sont acceptées sans autre par le mouvement syndical, le désorienter durablement.
6) Le paysage syndical dans l’Europe de l’Est et du centre n’est pas celui d’une glaciation, mais bien d’un dégel. Les progrès de la démocratisation, comme les changements de la situation économique et sociale, entraîneront de nouveaux reclassements, de nouveaux regroupements.
Il n’y a actuellement aucune possibilité de juger de manière définitive et pertinente de l’évolution future du mouvement syndical dans la région, cela d’autant plus que le maintien, dans certains pays, des prérogatives institutionnelles des anciennes centrales (attribution de logements, par exemple) fausse encore largement les rapports de force. La répartition, ou l’attribution à des fins sociales, du patrimoine des anciens syndicats, en supprimant la contrainte matérielle de l’affiliation, accélérera la recomposition du mouvement. Dans les pays où plusieurs confédérations se disputent les faveurs des salarié(e)s, la durée seule permettra de juger de l’efficacité des orientations syndicales choisies ainsi que du fonctionnement effectivement démocratique et indépendant des différentes organisations syndicales. Divisions et regroupements, fusions et reclassifications ne sont pas à exclure. Dès lors, le tableau que nous publions en page 76 n’a d’autre fonction que de clarifier un minimum la situation. Il n’est pas complet, certains pays comptant plus d’une demi- douzaine de confédérations. Lejugement sur le caractère plus ou moins rénové des organisations n’est qu’indicatif et susceptible d’être modifié selon l’évolution de la situation et les informations reçues.
7) La tâche prioritaire des syndicats est de désamorcer la bombe sociale mentionnée plus haut. En avançant et en obtenant une série de revendications : a) mise en place d’un système d’assurances sociales dignes de ce nom ; b) développement d’une formation professionnelle et d’un recyclage de qualité ; c) élimination des inégalités salariales entre hommes et femmes ; d) obtention de droits syndicaux dans l’entreprise, protection des délégués syndicaux ; e) lutte pour la protection de la santé des travailleurs et pour la préservation de l’environnement ; f) renforcement de la présence et de l’organisation syndicale.
Selon les pays, le point de départ du mouvement syndical n’est pas le même : il peut être proche de zéro ou comporter des éléments de contrôle ouvrier (conseils d’entreprise en Pologne et en Hongrie, conseils ouvriers en Yougoslavie), s’appuyer sur une bonne organisation Tchécoslovaquie) ou encore mettre en place actuellement ses structures fédératives comme Solidarnosc en Pologne. Il n’empêche qu’une bonne partie de ses tâches se trouvent énumérées dans la liste ci-dessus, qui n’est cependant pas exhaustive : on aurait fort bien pu y ajouter l’introduction d’un salaire minimum garanti, par exemple. Mais elle donne une idée de l’ampleur de ce qui attend les syndicats à l’Est. La priorité des priorités est évidemment celle de l’assurance-chômage. Mentionnons ici que, même si le mouvement syndical est perçu de manière généralement positive par la population, il n’est pas facile de se battre pour des mesures sociales dans des pays où le terme de social(isme) à fini par signifier privilèges, et où règne souvent la répugnance à forger un choix collectif, assimilé à un retour aux anciennes méthodes.
En outre la situation mouvante dans laquelle les syndicats doivent agir ne simplifie pas les choses : comment obtenir des mesures touchant à la sécurité du travail quand l’entreprise est sur la liste des privatisations, que l’Etat n’est plus patron et que le patron n’est pas en état de négocier L’expérience des syndicats européens occidentaux, basée sur des mécanismes institutionnels relativement stables, bipartites (syndicats et associations patronales, syndicats et Etat) ou tripartites (syndicats, Etat et associations patronales) n’est pas ici d’un grand secours.
8) Pour éviter le risque d’être un pompier courant après tous les feux sans en éteindre aucun, la lutte pour les revendications immédiates décrites au point 7 doit s’accompagner de contre-propositions économiques plus générales, touchant aussi les formes de transfert de la propriété étatique au public.
La perversion du « socialisme réellement existant » fut telle que le principe — en soi légitime — du droit à l’emploi s’est transformé en symbole de l’incurie bureaucratique et de l’immobilisme ruineux. La bataille de l’emploi, centrale pour tout mouvement syndical, se mène donc dans un climat d’adversité psychologique, politique et économique. Pourtant aucune assurance-chômage ne remplace une politique de l’emploi. Et il n’est pas indifférent pour le mouvement syndical de pouvoir peser sur les choix économiques faits dans le cadre de la transition à l’économie de marché. Car le nombre de chômeurs, et donc aussi la pression sur les salaires qui en découle, dépend en bonne partie des modalités et du rythme choisis pour désétatiser.
L’un des premiers choix sur lequel le mouvement syndical doit se prononcer est celui de la répartition des tâches entre le secteur public et privé. Il s’agit non seulement du principe, mais aussi des choix financiers et budgétaires, en vue de redresser des domaines comme celui de l’éducation et de la santé (dont les salarié(e)s ont, du reste, souvent été à la pointe de la relance de l’action syndicale).
Mais la manière dont il sera procédé à la désétatisation ne doit pas laisser indifférent les syndicats, qui doivent avancer leurs propres propositions. Car selon le mode de transfert choisi, les conséquences sur l’emploi peuvent être très différentes. Sans entrer dans les détails juridiques et économiques, on peut mentionner quelques-unes des variantes possibles : privatisation par vente d’actions ; distribution gratuite d’actions ; distribution d’actions sans droit de vote, l’Etat se chargeant des restructurations ; actionnariat des employés ; propriété transférée à des coopératives, à des municipalités, des associations ; période de location de l’entreprise par ses employés, payée à l’État, suivie d’un rachat par ceux-ci (employee-buy-out) ou par ses dirigeants (manager-buy-out). [11]
Il n’est pas nécessaire d’insister longuement sur le fait qu’entre la vente d’actions à une multinationale étrangère ou la location à l’Etat de l’entreprise par ses employés, la politique économique et sociale suivie par la direction ne sera pas la même.
9) La tâche pour les syndicats d’Europe de l’Est et centrale est énorme. Ils ne s’en sortiront pas sans solidarité internationale. Celle-ci doit s’exercer sans paternalisme ni condescendance. Sans oublier non plus que le « modèle » occidental des relations industrielles totalise, en Europe de l’Ouest, plus de 15 millions de chômeurs déclarés et 53 millions de pauvres...
Cette solidarité ne repose pas seulement sur de bons vieux principes réanimés par une communauté historique et culturelle manifeste. Elle traduit aussi le fait que si la bombe sociale explose, ses effets ne s’arrêteront pas aux frontières. La constitution d’une « armée industrielle de réserve » de millions de travailleurs et de travailleuses aux portes de l’Europe occidentale serait, à la longue, un véritable Tchernobyl social.
L’existence d’un réservoir de main-d’oeuvre relativement qualifiée aux portes de l’Europe occidentale, poussée par le chômage et une insuffisante couverture sociale à accepter de travailler à n’importe quelles conditions, créerait une pression générale sur les conditions de travail, que les entreprises s’établissent à l’Est ou que les travailleurs migrent. Cette pression économique, aucun garde-frontière ne l’arrêtera, pas plus qu’il n’arrêta les radiations de Tchernobyl. C’est certainement à cette intéressante éventualité économique que pensait l’un des dirigeants de l’industrie automobile italienne lorsqu’il déclara que l’Est présentait tous les avantages de la Corée du Sud, avec en plus celui d’être limitrophe. Dès lors, nous avons tout intérêt, même du point de vue le plus strictement et bêtement égoïste, à ce que les syndicats de l’Europe orientale et centrale soient à la hauteur de la situation. Le fondement de la solidarité syndicale internationale se vérifie une fois encore : le sort des travailleurs est lié par delà les frontières et les singularités nationales. Notre avenir se joue aussi à l’Est.
La solidarité syndicale
La solidarité de l’USS passe par le canal de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), dont elle est membre. La CISL apporte une aide à l’organisation et à la formation des syndicats indépendants. Elle a d’abord travaillé en Pologne (Solidarność) ; elle développe actuellement des programmes en Roumanie, en République fédérative tchèque et slovaque et en Hongrie. L’USS, avec l’aide de la Confédération suisse, participe aux deux premiers programmes. Il faut ajouter les aides bilatérales de confédération à confédération (syndicats scandinaves et baltes, autrichiens et hongrois, par exemple), de fédération à fédération et celle des secrétariats professionnels internationaux (fédérations syndicales internationales). Pour sa part, la Confédération européenne des syndicats (CES), dont l’USS fait aussi partie, organise des Forums syndicaux européens qui permettent l’échange d’informations et d’expériences au niveau des directions syndicales.
Sélection bibliographique
1. Clavel Jean-Daniel et Sloan John C. (sous la dir. de), « La nouvelle Europe de l’Est, du plan au marché : les défis de la privatisation », Bruxelles, Ed. Etablissements Emile Bruylant S.A., collection Organisation internationale et relations internationales, 1991.
2. Clavel Jean-Daniel, « Perestroïka et réformes économiques : stratégies d’alliance entre entreprises suisses et entreprises d’Europe centrale et orientale », in La Vie économique, n° 2, février 1991.
3. Fédération internationale des employés, techniciens et cadres (FIET), « Europe de l’Est et Europe centrale : les révolutions de 1989 et le mouvement syndical », Genève, 1990.
4. Fitoussi J.-P. (éd.) « À l’Est, en Europe. Des économies en transition », Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1990.
5. Mink G., « Europe de l’Est. La transition », Paris, La Documentation française, n° 636, juillet 1990.
6. Molnar M., La démocratie se lève à l’Est, Paris, PUF, 1990.
7. Nagels J., Du socialisme perverti au capitalisme sauvage, Bruxelles, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1991.
Principaux syndicats d’Europe de l’Est et de l’Europe centrale
Pays | Confédération | Caractère |
---|---|---|
Ex-RDA | Fédérations du DGB | Unification |
Pologne | Solidarność OPZZ | Indépendante ± rénovée |
RFTS | Conf. tchèque et slovaque des syndicats (CS-KOS)* | Rénovée |
Hongrie [12] | Conf. des syndicats hongrois (MSzOS) * | Rénovée |
Ligue démocratique des syndicats indépendants | Indépendante | |
Fédération des conseils de travailleurs | Indépendante | |
Bulgarie | Conf. des syndicalistes indépendants de Bulgarie (CITUB)* | ± rénovée |
Podkrepa | Indépendante | |
Roumanie [13] | Conf. nationale des syndicats libres de Roumanie (CNSLR)* |
Ancienne |
Fratia* | Indépendante | |
Alfa | Révovée | |
Yougoslavie | Conf. des syndicats autonomes de Yougoslavie (CATUY)* | ±rénovée |
Centrales indép. au niveau des républiques | Indépendantes | |
URSS | Conf. générale des syndicats (VKP)* | Ancienne |
Sotsprof | Indépendant | |
Conf. des syndicats indépendants | Indépendante |
* L’astérisque indique qu’il s’agit de centrales syndicales anciennement communistes.