Olivier Besancenot par Alain Souchon

, par BESANCENOT Olivier

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« Rendez-vous à 5 heures du matin pour faire ma tournée ».
Tout l’été, Télérama ouvre ses pages à un artiste. Ultime invité, le chanteur romantico-flippé rompt avec son habituelle discrétion pour se dévoiler... tout en pudeur. « Passionné par rien », il aime pourtant Bach et Sagan, s’interroge sur la musique et le métier d’homme politique, s’inquiète pour l’avenir de la planète.

Alain Souchon

Des fois, il sèche, Souchon. Tout soucieux, tout ronchon, mine de papier mâché, carrément bouchon. Il sèche sur une rime, sur une note ; suer sang et eau, c’est son métier. Ce qui explique pourquoi l’escogriffe ne fréquente assidûment ni les plateaux de télé ni les buffets mondains. Et n’enregistre des disques qu’à un parcimonieux rythme quinquennal. Ermite angoissé, crooner sans crânerie et artisan des hits sans parade, il égrène depuis plus de trois décennies ses complaintes douces-amères comme on lance des balles. Qu’il titille les agaceries du monde ultramoderne ou croque les émois amoureux du bipède mâle moyen, c’est toujours avec la même houle sentimentale, le même humour à la machine, la même tendre mélancolie. Éternel ado ébouriffé tentant de reluquer sous les jupes des filles, dandy chiffonné sculptant des coeurs sur l’écorce des arbres, philosophe pas dupe contemplant de loin les vains tourbillons de l’époque. la vie comme à la scène. Le dernier album, Au ras des pâquerettes, datait de 1999. Le nouveau, La Vie Théodore, verra le jour à la rentrée. Théodore, c’est Monod, l’homme qui marchait dans le désert, qui scrutait les étoiles et ramassait des cailloux. Pas étonnant que le personnage fascine l’artiste. Dans son disque, Souchon le baladin ni badin ni bidon évoque aussi Françoise Sagan, Sue de Manhattan, les mystères de la religion, les dieux mercantiles et les escrocs médiatiques, les marins ratés et les filles dédaigneuses. Des thèmes sur lesquels il revient ici, au long d’une « carte blanche » élaborée entre Paris et Bretagne, musique, politique et littérature, Olivier Besancenot et Etienne Klein, questions existentielles et clichés de vacances. Avec, en toile de fond, comme un doute qui taille la route, jamais content, pas vraiment méchant, juste parce qu’il faut qu’on avance, on avance, on avance. Toujours, il cherche, Souchon.

« Je suis très intrigué par Olivier Besancenot. Il y a trop de perfection dans son personnage, sa tête sympathique, sa façon de s’habiller, son discours. La jeunesse est forcément sensible à ça. Il se fait photographier en facteur mais, en même temps, on sait qu’il fréquente des milieux plutôt branchés, intellos. Et quand il parle, on a l’impression qu’il a fait l’ENA... Il ne fait pas du tout facteur : d’ailleurs, combien de temps passe-t-il à distribuer du courrier ? Tout le monde se pose cette question. Et le discours de la Ligue communiste révolutionnaire est quand même un peu archaïque. Arlette Laguillier [leader de Lutte ouvrière, l’autre parti trostkiste, NDLR] avait un profil qui y correspondait bien, avec elle on se disait « la pauvre, elle y croit, elle est sincère, elle est charmante, évidemment elle veut pendre tous les patrons à des crocs de boucher, mais sa naïveté est si attendrissante... ».

Olivier Besancenot, lui, ressemble à un parfait produit de communication. Attention, je le trouve sympathique, brillant. Mais en même temps, un peu faux. Trop parfait. Artificiel. Formaté. Il donne parfois l’impression que Jacques Séguéla s’est occupé de lui. Sans oublier le discours simplificateur : les riches sont méchants, les pauvres sont gentils....

J’ai de la tendresse pour les gens qui veulent que le monde soit meilleur. On pense tous la même chose : qu’ici on a un trop-plein de production ahurissant alors qu’ailleurs des gens meurent de faim, qu’on a trop de médicaments alors que l’on meurt encore du sida. Mais est-ce la LCR qui va résoudre ces problèmes-là ? Elle prône la révolution, mais chacun sait qu’une révolution est forcément violente, et ça, personne n’en veut. Les jeunes sont plutôt pacifistes, ils n’ont pas envie de s’entre-tuer. C’est tout ça qui m’intrigue chez Olivier Besancenot : le paradoxe entre un personnage lisse et un discours violent. »

Entretien

  • Alain Souchon : De quel milieu venez-vous, quelles études avez-vous faites ?

Olivier Besancenot : Mes parents enseignaient à l’Éducation nationale, en école primaire et au collège. J’ai grandi dans le Levallois ouvrier où ma famille est installée depuis des générations. Côté études, j’ai obtenu une licence d’histoire. Ma génération, marquée par les années chômage, est aussi une génération qui fait de longues études. Les jeunes travailleurs du secteur public ou du secteur privé sont plus diplômés qu’il y a vingt ans. Un nouveau type de salariat a vu le jour, plus qualifié, plus coloré, plus féminisé, plus précarisé. C’est vrai pour les postiers, les cheminots, les infirmières, les caissières, les jeunes de chez MacDo ou de Pizza Hut. Lors de ma première affectation à La Poste, parmi les fonctionnaires, j’étais un des moins diplômés avec un bac + 3.

  • Alain Souchon : Etes-vous vraiment facteur ? Combien de temps par mois passez-vous à distribuer le courrier ?

Olivier Besancenot : Oui, ça vous étonne ? Je suis facteur depuis 1997 et je gagne actuellement 1 020 euros par mois. J’ai été détaché une année au Parlement européen, en tant qu’assistant des députés de la LCR. Depuis l’élection présidentielle, je travaille à 80 %, ce qui me permet d’assurer d’autres activités : répondre aux questions d’Alain Souchon, par exemple. Au fait, mon invitation tient toujours pour m’accompagner sur ma tournée. Rendez-vous à 5 heures du matin dans le 18e arrondissement pour partir au boulot ensemble. Vers 13 heures, à la fin du service, on pourra discuter autour d’un verre et épancher notre soif d’idéal.

  • Alain Souchon : Votre personnage est doux et lisse, alors que vous défendez une cause plutôt violente, de même vous paraissez moderne alors qu’on peut trouver certaines de vos idées archaïques. Ce décalage est-il étudié ?

Olivier Besancenot : Il faut se méfier des apparences : certains me trouvent déjà trop de relief ! Quant à mes idées, elles ne cherchent à n’être ni violentes ni douces, ni modernes ni archaïques, mais simplement justes ! La violence que je combats, c’est celle du système actuel qui laisse des millions de personnes sur le carreau, celle qui expulse les immigrés, celle qui part en guerre pour le pétrole. Les révolutionnaires seraient des sanguinaires ? Ce qui me plaît chez une Louise Michel, une Rosa Luxembourg, un Che Guevara ou encore un Marx, c’est leur détermination à combattre les injustices et à changer ce monde avant qu’il nous écrase, quitte à défendre les mouvements d’émancipation jusqu’au bout. Ce combat pour changer le monde est ma seule boîte de communication. Tant pis pour les Jacques Séguéla.

  • Alain Souchon : Où trouvez-vous la force de discuter d’égal à égal avec des cadors, des pitbulls de la politique ?

Olivier Besancenot : C’est vrai, on dit souvent que les facteurs prennent leurs jambes à leur cou à la vue d’un pitbull ! Tenir tête à ces « pointures » est une épreuve de force. Mais c’est un défi qu’il faut relever pour gagner le respect, et faire entendre une autre voix. Il y a deux façons de faire de la politique : la première, professionnalisée, discréditée, modèle le monde sous l’égide des financiers ; la deuxième, militante, réhabilitée par l’action des mouvements sociaux, privilégie le droit à une existence décente sur celui de la rentabilité. Voilà ce qui me motive. Je n’ai pas fait l’ENA, je n’ai pas non plus été préfabriqué dans un laboratoire clandestin de la LCR, j’ai appris à parler dans les assemblées générales, dès le lycée. Mais c’est plutôt une bonne nouvelle que des travailleurs, sans avoir suivi de cours, sachent tenir tête aux dirigeants, dans l’entreprise ou sur un plateau télé. Pas vrai ?

P.-S.

Propos recueillis par Philippe Barbot.

Source

Télérama, n° 2901, 18 août 2005.

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