Palestine : « L’UE paie le coût de l’occupation à la place d’Israël »

, par BAHRI Fouad, SALINGUE Julien

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Julien Salingue est docteur en science politique, spécialiste des acteurs politiques palestiniens. Dans un entretien à Zaman France, il nous explique les raisons du silence relatif de la diplomatie internationale après la vague de bombardements israéliens sur Gaza.

Comment les tensions actuelles ont-elles démarré ?

On a eu l’enlèvement et la mort de trois jeunes Israéliens à proximité des colonies en Cisjordanie et on ignore qui les a tués. Israël a accusé le Hamas de ces morts qui a lui-même démenti y avoir participé.

Depuis, on a eu un enchaînement avec des expéditions punitives de civils israéliens, colons ou en Israël même contre les Palestiniens, avec des tentatives d’enlèvements, des ratonnades et des enlèvements réussis comme celui d’un jeune Palestinien torturé et tué.

On a depuis 36h maintenant une offensive de taille menée contre la bande de Gaza avec un gouvernement israélien qui justifie son attaque non par l’enlèvement des Israéliens mais par les tirs de roquettes palestiniens. Par ailleurs, Gaza est régulièrement bombardée, pas une semaine ne passe sans qu’elle soit bombardée.

Les Etats-Unis ont-ils officiellement enterré le dossier palestinien ?

Il y a un décalage avec ce que souhaiterait l’administration états-unienne, c’est-à-dire au moins un semblant de processus négocié. C’était le sens de l’initiative de John Kerry entre Israël et Mahmoud Abbas.

Mais la droite et l’extrême droite israéliennes ne veulent pas entendre parler de discussions sérieuses avec les Palestiniens, en dehors de réunions qui ne débouchent sur rien, tout en poursuivant une politique du fait accompli en poursuivant la colonisation, les expulsions, les arrestations.

Mais dans une séquence de tensions militaires comme celle d’aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les Américains sont derrière leur allié israélien et qu’ils ne peuvent le lâcher. Je rappelle que pour l’année 2014, Washington a versé 3,1 milliards de dollars d’aide militaire à Israël.

C’est aussi grâce à cette aide qu’Israël peut faire ce qu’il fait actuellement. Il ne faut pas confondre l’agenda à moyen terme des Etats-Unis dans une région déjà très déstabilisée en Irak, en Syrie et en Egypte et le très court terme.

La solution passe-t-elle par une alternance politique en Israël ?

Le problème est qu’il n’y a plus de gauche en Israël. Les Israéliens eux-mêmes le disent. Il y a eu des coalitions nationales avec un petit peu de tous les partis israéliens ce qui s’est traduit par un glissement général vers la droite de l’échiquier politique.

Qu’est-ce qui a provoqué cet effondrement ?

Il faut remonter à la signature des accords d’Oslo entre Rabin et Pérès. La gauche israélienne s’est dit « Voilà, nous avons donné des droits aux Palestiniens ». Il y a eu ensuite l’intifada qui a explosé après la rencontre à Camp David où les propositions d’Ehud Barack étaient en dessous des bases du droit international. Le discours de la droite travailliste repris à Ehud Barack avait été de dire « Nous n’avons pas de partenaire pour la paix ».

Cette posture a provoqué l’effondrement idéologique de la gauche israélienne, en entraînant avec elle le mouvement de la paix et a nourri la victoire de la droite qui court elle-même derrière l’extrême droite. La seule chose qui pourrait permettre le commencement d’une sortie de crise serait que l’UE et les Etats-Unis cessent leur soutien inflexible envers Israël et le menace de sanctions comme cela a été fait contre la Russie au moment de l’invasion de l’Ukraine.

L’UE finance abondamment les projets de l’Autorité palestinienne, mais paradoxalement brille par son absence politique...

L’UE se contente d’accompagner économiquement le non-progrès politique de ce dossier. L’UE prend en charge financièrement le pseudo-appareil d’Etat palestinien lui permettant de payer ses fonctionnaires et de développer quelques infrastructures mais comme il n’y a aucune contrepartie politique, l’UE se retrouve à accompagner économiquement la poursuite de la colonisation israélienne, payant à sa place le coût de l’occupation.

Dans les mots, il n’y a pas de position pro-israélienne de l’UE, mais, dans les faits, oui. Mais il y a quelques petites choses qui ont commencé à bouger du côté des sociétés civiles européennes. On a vu des rapports de l’UE être rédigés sur les produits fabriqués dans les colonies israéliennes avec l’idée qu’ils ne seraient plus exonérés de droits de douane. On voit des Etats de l’Union qui découragent leurs investisseurs de mettre de l’argent dans les produits issus des colonies.

La nouvelle donne dans les pays arabes semble favorable à Israël...

Ce qui convenait à Israël c’était un statu quo dans la région grâce aux dictatures, où il y avait des accords avec certains pays comme l’Egypte et la Jordanie et d’autres où il y avait une paix froide – la Syrie par exemple.

La déstabilisation actuelle n’arrange pas Israël. Au début des évènements syriens, il était plutôt favorable au maintien d’Assad préférant un dictateur qu’il connait qu’un nouveau régime qu’il ne connait pas et potentiellement instable. Israël est plutôt inquiet et a proposé dernièrement son aide à l’Irak contre les djihadistes, par l’envoi de drones au-dessus de la Jordanie.