Cent fois sur le métier nous remettons l’ouvrage : nous l’avons écrit dans ces colonnes, et répété au risque de lasser, le droit à l’avortement et la contraception ont été des acquis des luttes ; or, ce n’est pas la lassitude qui est à l’ordre du jour car rien n’est définitif et éternel. Bien des forces rêvent de voir ces droits régresser. À nous d’imposer au contraire leur maintien et leur extension.
À la veille de l’été, en décrivant le sabotage insidieux [1] qui fragilisait le droit de choisir, nous évoquions la fermeture du Planning familial du Nord due à l’action de Colette Codaccioni, ministre de la Solidarité entre les générations, la recrudescence des actions des commandos et la quasi-impunité dont ils bénéficiaient, la marginalité maintenue des centres d’interruption volontaire de grossesse dans les structures hospitalières et la disparité croissante des conditions d’accès à l’IVG selon le statut social, l’âge, voire... la couleur de la peau.
La mobilisation, organisée par la CADAC [2] avec de nombreuses associations, pour éviter que les auteurs des actions-commando ne soient amnistiés, a été un succès. Cela s’explique en partie par les résultats électoraux et la percée du Front national aux municipales : beaucoup de démocrates ont réagi, établissant un lien entre cette menace d’extrême droite et ces attaques contre le droit de choisir. Le Parti socialiste et le Parti communiste ont déposé des amendements contre l’amnistie et leurs groupes parlementaires ont rencontré des représentantes de la CADAC à l’occasion du rassemblement organisé devant l’Assemblée nationale le 27 juin, jour du débat parlementaire sur la loi d’amnistie.
Les opposants à l’avortement espéraient contourner la loi Neiertz pénalisant le délit d’entrave à l’IVG. Leur manoeuvre a échoué, mais leur lobby reste déterminé, comme le révèle l’amendement Hyest (député UDF) qui a été adopté par la commission mixte parlementaire : certes, il vient à la place de l’amendement Bonnet voté au Sénat qui prétendait amnistier carrément les acteurs des commandos. Néanmoins, ce nouvel amendement n’est pas tout à fait anodin, comme l’ont fait justement remarquer la CADAC et le MFPF dans un communiqué commun : « Il met sur un pied d’égalité les commandos anti-IVG et les organisations et personnel informant les femmes de leur droit à avorter et des conditions de l’intervention. Ainsi, l’information dûe aux femmes pourrait être considérée comme de la publicité (interdite par la loi) et cette appréciation laissée à la discrétion d’un juge. » Cet amendement, qui se limite en droit aux procédures antérieures à la prise de fonction du nouveau président de la République, montre comment les opposants à la loi Veil poursuivent leur combat. Mis en échec par notre mobilisation, ils se relancent immédiatement à l’assaut. Excusez ce vocabulaire militaire (dans l’air du temps !), mais c’est bien d’une guerre larvée qu’il s’agit, contre les droits fondamentaux des femmes.
Le patron de cette offensive n’est rien d’autre que le pape, qui ne manque pas une occasion de défendre son point de vue et de mobiliser ses troupes. Dans sa « Lettre aux femmes », rendue publique le 10 juillet, à deux mois de l’ouverture de la conférence de Pékin, il a renouvelé sa condamnation de toute interruption volontaire de grossesse, même à la suite d’un viol, en faisant référence aux femmes violées en Bosnie [3]. À Pékin, comme au Caire lors de la conférence de l’ONU sur la population, il a trouvé des renforts de choc : les gouvernements et militants islamistes intégristes.
Rarement le Vatican et l’Opus Dei n’ont eu autant de liens avec le pouvoir en place en France [4]. Le jugement du 4 juillet dernier, rendu par la 16e chambre correctionnelle de Paris, relaxant les neuf auteurs du commando anti-avortement ayant attaqué la maternité de l’hôpital parisien Pitié-Salpétrière (le 14/11/94), montrait que les réseaux anti-avortement ne se cantonnent pas aux salons ministériels. Le président de ce tribunal a admis le bien fondé de l’argumentation des catholiques intégristes, à savoir que le foetus peut être considéré comme une personne et qu’en conséquence une action en vue de le « sauvegarder » peut être considéré comme « assistance à personne en danger ». Voilà une grande première qui a provoqué émotion et indignation bien au-delà des militantes féministes. Toubon, ministre de la Justice, sous la pression, a été obligé d’annoncer que le Parquet faisait appel mais en précisant toutefois qu’il reviendrait au tribunal supérieur de dire la loi... D’autres procès heureusement n’ont pas été si favorables aux commandos (cf. article p. 7). Mais à nouveau, on voit que tout est une question de rapport de forces. Si les femmes et les hommes désireux de conserver et d’élargir les acquis dans le domaine de l’avortement et de la contraception ne restent pas en permanence vigilants, immédiatement les opposants essayeront d’en tirer profit.
Cette lutte pour le droit à l’avortement et à la contraception libres et gratuits pour toutes est étroitement lié aux luttes pour l’égalité et pour l’emploi. Renvoyer les femmes au foyer même partiellement, les payer avec des salaires d’appoint, entraver leur droit à la libre disposition de leur corps, relèvent d’une même logique d’exclusion et d’oppression. De plus, ces trois sortes d’attaques contre les femmes interagissent et se cumulent de manière négative.
C’est pourquoi la manifestation nationale du 25 novembre, à l’initiative de la CADAC, doit être un succès. Le rapport de forces que nous serons capables de construire sera le seul garant de nos acquis, et de l’extension de nos droits.