Pour une « licence égale » et une réforme du droit d’auteur

, par POUTOU Philippe

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Vendredi dernier, Désert Culturel interpellait les candidats à l’élection présidentielle afin qu’ils détaillent leurs positions au sujet de Hadopi, le droit d’auteur, les sociétés d’auteurs et le rôle du ministère de la Culture. En abordant ces sujets de la sorte avec les prétendants à l’Élysée, nous souhaitons faire entendre une autre voix que celles des représentants des majors ou de la Sacem. Nous espérons ainsi faire avancer le débat dans le sens de la culture et non dans celui d’intérêts particuliers.

Philippe Poutou, le candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), est le premier à avoir répondu à notre lettre ouverte. Il rappelle son opposition à Hadopi, détaille son projet de « licence égale » et se prononce pour une réforme du droit d’auteur. Voici l’intégralité de sa réponse :

Hadopi

Phillipe Poutou à Paris le 21 janvier 2012
Copyright : Photothèque Rouge/Marc.

Le NPA s’est toujours clairement prononcé contre HADOPI : injuste et inefficace, HADOPI est surtout totalement déconnecté de la réalité et non seulement n’assure en aucun cas des revenus justes aux artistes et techniciens (et pas seulement aux « gros et reconnus »...), mais surtout acte de fait, dans une période de crise dans laquelle les biens culturels sont souvent les premiers sacrifiés faute de pouvoir d’achat, la primauté du commerce sur les échanges culturels. C’est pourquoi il faut non seulement l’abroger, mais revenir au fond du problème.

Nous proposons une licence « égale », qui permettrait ainsi de répondre aux trois questions posées par les échanges culturels sur internet : la rémunération, l’accès à la culture pour toutes et tous, et la question du financement.

Cette licence égale repose sur deux grands principes : maintien de l’exception pour copie privée des internautes et protection de la rémunération des artistes et techniciens.

Elle serait financée majoritairement par l’instauration d’une taxation sur le chiffre d’affaire des grosses majors de l’entertainment, fabricants de matériel informatique, opérateurs de télécoms et fournisseurs d’accès qui, en gagnant des abonnés à coup de publicité sur le haut débit, sont les principaux bénéficiaires des échanges, légaux ou non, des œuvres, et ce afin de compenser les ayants droit pour le manque à gagner occasionné par le téléchargement dit illicite.

Concernant la répartition de cette taxe entre les ayant-droits, précisons tout d’abord que nous sommes contre la patrimonialisation de ces mêmes droits : un salarié ne fait pas hériter ses descendants des bénéfices de sa production, et ce sont les futurs salariés de son secteur qui bénéficient de son apport. Même chose ici donc, où les droits post-mortem générés par un artiste serviraient à alimenter un fond d’aide aux artistes fragiles et/ou émergents.

Ce qui répond à votre question suivante sur la réforme du droit d’auteur : oui, nous sommes pour une réforme du droit d’auteur, avec donc la fin de la patrimonialisation de ces droits (la possibilité de transmettre les bénéfices issus de l’exploitation des droits d’auteurs). Nous souhaitons créer un fond de solidarité avec les revenus ainsi dégagés, permettant de soutenir la jeune création, via les oeuvres crées par leurs prédécesseurs.

De plus, afin de ne pas juste « répondre » à des intérêts particuliers (qu’il s’agisse de ceux des internautes ou des artistes), il faut accompagner cette licence égale par une réelle politique d’accompagnement culturel, en soutenant le développement de médiathèques numériques publiques et gratuites, qui pourraient ainsi démocratiser l’accès aux œuvres.

Les SRPD

Cela fait maintenant de nombreuses années que la gestion de différents fonds (de la Sacem à la Maison des Artistes par exemple), sont régulièrement épinglées.

Comme nous défendons le contrôle des institutions par les citoyens [salariés/etc.], nous souhaitons ici appliquer également ce principe, pour en finir avec l’opacité de gestion de sociétés pour partie de droit privé qui gèrent les fonds de la création.

Pour aller plus loin, pour nous, la culture n’est pas un simple divertissement, et ne doit pas être réduite ni aux seules industries culturelles, ni même aux arts constitués (le design, la mode, la gastronomie et bien d’autres domaines émergents mettent en œuvre des processus créatifs qui participent de la culture).

L’accès aux œuvres comme l’accès à la formation artistique et aux pratiques créatives sont des missions de service public. Ils doivent être garantis pour tous et toutes, sur les lieux de travail, dans les quartiers (la culture « hors les murs »), tout comme dans les villes et les régions.

Sur ce point, en matière de politique culturelle, la régionalisation et le nombre croissant de missions générales désormais dévolues aux collectivités locales, ne font qu’accentuer l’inégalité, d’une ville à l’autre, d’accès la culture au travers d’un véritable maillage culturel.

Au-delà de ces propositions immédiates nous défendons l’idée que les arts et la culture doivent pleinement s’inscrire dans la vie sociale, et non être enfermés dans les espaces qui leur sont dédiés aujourd’hui. S’il ne nous appartient pas de dire ce que devrait être « la culture » dans la société pour laquelle nous nous battons — la création est et sera toujours enjeu de débats et de conflits —, nous savons au moins autour de quelles exigences elle doit s’articuler.

La liberté de création : parce que l’expression artistique est aussi là pour déranger, pour subvertir.

La liberté de diffusion : parce que la rémunération des professionnels doit être pensée hors de la privatisation de la culture.

La liberté d’accès : parce que les barrières, financières et sociales, qui séparent le public des artistes doivent être abattues.

L’échange et l’enrichissement mutuel : parce que le confinement de bien des cultures minoritaires ou extra-occidentales, dont la découverte est réservée à quelques « amateurs éclairés », est un appauvrissement pour tous.

Enfin, la pleine démocratie : parce que la politique culturelle doit d’abord se décider au plus près des populations, dans le débat entre publics et producteurs de culture.