- La France doit-elle sacrifier son excédent commercial de près de 12 milliards d’euros pour rendre son agriculture plus écolo-compatible ?
Philippe Poutou : C’est une question, qui dans sa forme, ressemble étrangement à : « le nucléaire ou la bougie ? ». En gros, on est sérieux, ou on s’amuse... On brasse 12 milliards, ou on repeint la France en vert... La contradiction insurmontable qui apparaît en filigrane dans la question, mérite d’être nuancée.
C’est essentiellement l’agroalimentaire et les grands groupes, s’appuyant sur une agriculture de plus en plus industrielle, dévoreuse d’énergie, d’intrants, et de soutien financier, qui trouvent intérêt à la quête agressive de nouvelles parts de marché. Ils sont les bénéficiaires presque exclusifs des marges bénéficiaires réalisées à l’export. Leurs lois sont celles du capitalisme et de l’OMC. Leur crédo, c’est la libéralisation totale des échanges. Les paysans en sont réduits à fournir le produit de base, pas cher, mais indispensable à la transformation qui génère la plus-value des industriels.
- Pour Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste à l’élection présidentielle 2012,
- les travailleurs, qu’ils soient ouvriers d’usine ou agriculteurs, doivent s’unir pour un même combat : lutter contre « les gros capitalistes et la concentration des richesses », même dans le secteur agricole.
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Il existe encore en France, en Europe, une petite et moyenne agriculture, économe, autonome, respectueuse des écosystèmes, faisant appel à de la main d’œuvre. Elle est moins performante, à l’évidence, en termes de rentabilité capitaliste, sur les marchés mondiaux. Mais cette agriculture accomplit parfaitement sa mission, en faisant faiblement appel à l’argent public. Elle entretient et met en valeur le territoire, elle maintient un tissu rural vivant et l’emploi, elle assure la couverture des besoins alimentaires en quantité et qualité, y compris en développant une part dans l’export, grâce souvent, à des produits exceptionnels.
Les paysans ont tout à perdre dans la libéralisation des échanges, dans la compétitivité à outrance, dans la spéculation des investisseurs, dans les projets capitalistes des firmes mondiales. Par contre, ils ont tout à gagner dans un nouveau projet de régulation internationale, basée sur des échanges commerciaux plus justes, respectant les différents systèmes de production agricole dans le monde, organisant un développement pérenne, et respectueux des équilibres naturels.
Les atteintes au milieu et dérives multiples, clairement identifiées par les scientifiques, doivent être corrigées. Oui, nous sommes allés trop loin dans l’irrigation de cultures inadaptées à leur milieu, le drainage détruisant les prairies humides, le retournement des prairies, nuisant à la biodiversité, la monoculture, l’épandage massif de lisiers et intrants dangereux, l’arrachage des haies et le comblement des mares. Erosion, pollutions des cours d’eau, des plages et des nappes, ont mis la profession au ban des accusés. Il est grandement temps d’agir !
Pour conclure sur ce point, avec une autre approche, nous n’aurions pas 12 milliards d’euros d’excédents, mais nous ne serions pas perdants pour autant.
- Plusieurs formes d’agriculture peuvent-elles coexister avec des secteurs orientés à l’export et vers l’agro-industrie et, d’autres orientés sur les circuits de proximité ? Ou bien sont-ils incompatibles ?
Philippe Poutou : L’agriculture duale est la réalité d’aujourd’hui. Mais un système entend prédominer, c’est celui de l’agriculture industrielle. La tendance lourde est la concentration de l’outil de travail, et du soutien financier, entre les mains d’exploitants de moins en moins nombreux. Il faut infléchir cette dérive ruineuse au plan humain, financier, écologique.
- La PAC fête ses 50 ans. Son bilan est-il positif ?
Philippe Poutou : Comment pourrait-il l’être ? En Europe, une ferme cesse son activité toutes les 3 minutes, toutes les 20 minutes en France. Des millions de paysans européens ont quitté le métier, d’autres millions sont dans la mire. La moitié des paysans français sont sous-smicards, et pour bon nombre d’entre eux, vivent en dessous du seuil de pauvreté. L’agriculture productiviste, enfant choyé des institutions, s’est installée solidement, attirant à elle, les flux de l’argent public. Intensification maximum en certains endroits, déprise agricole, désertification, pauvreté en d’autres.
L’environnement est très sérieusement malmené par les pratiques de l’agro-business. Les marchés sont secoués par des crises à répétition, notamment de surproduction, et sanitaires. Volatilité ou baisse des prix insoutenables, spéculations sur les denrées, prix ne couvrant pas les coûts de production et les revenus, primes injustement réparties, autant de raisons d’invoquer une faillite de l’outil PAC.
- La réforme de la PAC, telle qu’elle se profile, se traduirait par de fortes baisses des aides à l’élevage alors que les revenus des producteurs sont les plus faibles. Comment comptez-vous y remédier ?
Philippe Poutou : D’abord, il convient de rappeler que le métier d’éleveur est très prenant, et ne serait-ce qu’à ce titre, il mériterait d’être mieux considéré. Autrement dit, une politique de garantie des prix de vente devrait lui être appliquée, pour soutenir le revenu. Comment imaginer qu’après le désinvestissement des institutions et de leur soutien, le revenu des éleveurs ne soit pas amené à chuter plus encore ?
S’il y a reflux des aides publiques, cela ne peut se réaliser qu’à la condition impérative d’une garantie des prix minima de vente, d’un contingentement équitablement redistribué entre producteurs, d’un encouragement aux formules de travail mutualisé, aux coopératives de producteurs, de la transparence des prix, et d’un rôle accru du contrôle de l’Etat dans les filières. Nous rappelons que les éleveurs investis dans la polyculture-élevage présentent un type d’exploitation écologiquement équilibré.
Les éleveurs ne devront leur survie qu’à une organisation démocratique de gestion, tenant compte des besoins exprimés par les populations, et des moyens productifs développés par la profession. Il n’y a pas d’issue dans le marché dérégulé, dans la concurrence libre et non faussée. Le libéralisme, c’est le chaos total !
- L’euro est-il l’ennemi d’une PAC forte, régulée permettant des prix rémunérateurs pour les agriculteurs ?
Philippe Poutou : L’euro, tout comme le franc auparavant, a bon dos. Il n’est que l’outil que la bourgeoisie européenne a mis en place pour matérialiser les échanges de richesses. Pauvre en euro ou en franc, qu’est ce que ça change ? Sa valeur change-t-elle à ce point nos vies ?
Le véritable ennemi d’une politique agricole commune qui rétribuerait convenablement ses agriculteurs, c’est le libéralisme, la sauvagerie du marché. C’est le chacun pour soi, moi contre mon voisin, nous contre l’autre région, l’autre pays, l’autre continent...
Une Pac forte, qu’est ce que ça veut dire ? Que nous écrasions des partenaires dans une compétition inégale ?
Dans les conversations de paysans, ce qui est souvent incriminé, c’est la faiblesse des montants payés à la production, pas l’euro en soit.
- Le retour au franc et à la souveraineté monétaire sont-ils la solution aux problèmes des agriculteurs et à la faiblesse de leurs revenus ?
Philippe Poutou : Nous ne faisons pas de fétichisme de la monnaie. Le franc nous importe donc peu, voire pas du tout ! Ceci dit, il est intéressant de comparer avec l’euro, ce que touchent d’aides européennes, dans des conditions de production égales, des producteurs polonais et français, par exemple... Là, nous pouvons constater l’inégalité de traitement. Y aurait-il des agriculteurs de seconde zone en Europe ?
Les agriculteurs français ne trouveront pas de solutions à leurs problèmes en se laissant bercer par les sirènes de la vieille France chauvine, réactionnaire et ringarde.
- Êtes-vous favorable à la réaffirmation d’un prix minimum pour les principaux produits agricoles ?
Philippe Poutou : Absolument, les producteurs n’ont pas à être les victimes des faiblesses et effondrements de cours, rôle souvent partagé d’ailleurs, avec les consommateurs. Leur revenu doit être protégé des aléas des marchés. L’idéal serait que ces prix soient négociés sous l’autorité de l’Etat, avec les professionnels de la filière, et les producteurs.
- Êtes-vous favorable à la suppression des quotas laitiers, d’une part, des droits de plantation de vigne, d’autre part, et plus généralement aux dispositifs européens de régulation de l’offre ?
Philippe Poutou : Nous sommes partisans d’une maîtrise de la production en Europe. Appelez ça quotas si vous voulez. Nous pensons donc, qu’il est important de répartir les volumes de production, de garantir des prix rémunérateurs qui ont un lien direct avec les coûts de production. Nous nous opposons au marché, imprévisible, qui déstabilise les populations, les travailleurs, qui n’offre aucune perspective fiable à plus ou moins long terme, et qui n’a pour seul but que de continuer à enrichir les plus riches...
L’offre doit être mise en rapport avec la demande intérieure à l’Europe et l’export, Tout dépassement de production n’aurait pour effet que de tirer les prix vers le bas. En conséquence, seule une gestion rigoureuse des droits à produire peut sauvegarder les équilibres.
- Êtes-vous favorable à une représentation de tous les syndicats dans toutes les organisations professionnelles ?
Philippe Poutou : La démocratie, cela ne se saucissonne pas. Tous les syndicats peuvent prétendre légitimement à siéger dans les organisations professionnelles.
Il est à noter que les élections professionnelles ne sont toujours pas instituées à la proportionnelle intégrale, le type de scrutin le plus fidèle à la réalité. Le syndicalisme majoritaire FNSEA-CNJA, a trop longtemps pesé seul sur les destinées de la paysannerie, quand il n’a pas envoyé un des siens comme ministre de l’agriculture. Bel exemple de cogestion, de collusion.
- Au regard de la faiblesse des retraites agricoles, envisagez-vous une refonte du régime social agricole. Êtes-vous pour une convergence vers le régime général ?
Philippe Poutou : Chaque année, des transferts financiers ont lieu entre le régime général et le régime social agricole déficitaire. Le mutualisme qui a connu par le passé une époque faste, avec des contributeurs nombreux, rencontre aujourd’hui des difficultés. Ce sera pire encore, si rien n’est entrepris. La solution c’est la fusion.
- Êtes-vous favorable à une TVA sociale pour financer l’ensemble de cette protection sociale du secteur agricole ?
Philippe Poutou : Ce que vous appelez TVA sociale est en réalité une TVA anti-sociale. En l’attente d’une fusion des différents régimes, c’est la solidarité qui doit jouer. Et ceci sur la base de l’impôt sur le revenu, qui est plus justement réparti, qu’une TVA appliquée à tous, sans discernement.
- Souhaitez-vous le plafonnement des exploitations les plus importantes et la redistribution des surfaces vers les plus petites, pour favoriser l’emploi ?
Philippe Poutou : Tout à fait. Il s’agit de distribuer l’outil de travail le plus justement possible, au plus grand nombre. Chacun connait dans ses environs, un exploitant accapareur qu’aucune commission départementale n’arrête. Les dents longues, il a faim de terre. Son agrandissement, ferme après ferme, par tous les moyens, est la cause de l’impossibilité d’installation pour d’autres. Il draine l’aide publique, trouvant là le concours financier de la collectivité pour poursuivre sa conquête d’hectares. Les volumes aussi sont à arrêter à des fins de redistribution...
- Souhaitez-vous limiter le prix des terres agricoles pour favoriser l’installation ?
Philippe Poutou : Oui. Pas seulement pour l’installation, mais aussi pour consolider une exploitation. La vente de terres devrait faire l’objet d’un marché administré, avec évaluation, et application des prix encadrés, sans aucun dessous de table, cela va de soi !
Si certains agriculteurs spéculent sur la vente de leurs terres pour construire leur retraite, c’est bien parce que celles-ci sont misérables...
- La reprise des exploitations agricoles va être un déni pour l’agriculture au cours de la prochaine décennie. Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour encourager les jeunes à s’installer en agriculture ?
Philippe Poutou : Nous pensons que l’Etat, au travers d’une commission paritaire, devrait se porter acquéreur de fermes se libérant, afin de les rétrocéder, à des jeunes notamment, sous forme de baux de carrière. L’exploitant rentre dans les lieux, paie son loyer, n’a donc pas de foncier à acheter. Il s’évite de grever son revenu par des annuités de remboursements trop élevées. En fin de carrière, s’il a amélioré l’exploitation, il est indemnisé, s’il l’a dégradé, il est soumis au paiement d’un défraiement.
Les participations dans toutes les formes collectives d’organisation agricole ( cercles d’échanges, groupement de producteurs, défense sanitaire, services de remplacement, formations, etc.) seront prises en charge par la collectivité, pendant plusieurs années, au prétexte que le jeune installé doit rompre son isolement, s’assurer le concours maximum des compétences extérieures.
- Les règles environnementales sont sources de distorsion de concurrence. Souhaitez-vous mettre un terme à la surenchère française en la matière par rapport à ses voisins européens ? Ou, au contraire, souhaitez-vous défendre une harmonisation par le haut des règles sociales et environnementales en Europe ?
Philippe Poutou : Le problème n’est pas que nous en fassions trop, mais que les autres n’en fassent pas assez ! Effectivement, ailleurs, avec un niveau d’exigence en la matière, moindre, cela représente une distorsion de concurrence. La réponse est donc contenue dans la question. Oui, nous sommes pour une harmonisation par le haut des règles sociales et environnementales européennes.
- Les agriculteurs irrigants se plaignent des contraintes environnementales et des démarches administratives qui limitent leurs possibilités d’usage de l’eau. Êtes-vous prêt à assouplir la loi sur l’eau ?
Philippe Poutou : Il y a des limites à tout. Les rivières n’ont pas un débit constant et de nature à satisfaire les appétits de chacun. L’eau des rivières et des nappes est un bien vital qui se partage avec les autres usagers. L’irrigation massive ne fait pas partie de son cycle naturel, perturbe les équilibres écologiques. Nous pensons que plutô que d’envoyer tout le monde pomper dans la ressource, sauf nécessité, il serait préférable de semer des variétés plus rustiques, moins productives, ce handicap étant pallié par des aides. Ces aides financières seraient pleinement justifiées, au titre de la solidarité nationale avec les zones agricoles difficiles, et au maintien de l’activité agricole.
Les retenues collinaires pourraient être encouragées comme un moindre mal.
- Faut-il soutenir la production d’énergie par les agriculteurs, via la valorisation de la biomasse (méthanisation) ou de l’énergie solaire (photovoltaïque) ? Comment ?
Philippe Poutou : Tout ce qui peut être créé sur la ferme, et qui est susceptible de générer une valeur ajoutée, doit être mis en œuvre. De surcroît, pour sortir du nucléaire, énergie ruineuse et dangereuse, nous devrons nous appuyer sur des projets d’envergure (éolien off-shore et terrestre, géothermie, hydraulique, cogénération, etc.) et sur d’autres, à plus petite échelle. Il est dommage que les engagements de l’Etat sur l’achat, et les aides à l’installation aient été revus à la baisse, rendant moins attractive la démarche. Entre monter une unité de méthanisation dans la cour, poser des panneaux solaires sur un bâtiment, ou stocker dans le jardin, 2 ou 3 m3 de déchets fortement radioactifs pour 100 000 ans... Il n’y a pas photo !
Nous pensons qu’il faut que l’Etat n’abandonne pas la recherche, l’installation et l’exploitation, au privé. Il doit construire une filière publique produisant en masse, au meilleur rapport qualité-prix, des matériels pour produire de l’énergie à partir du soleil, de la méthanisation, du petit hydraulique. C’est générateur d’emploi, et le vivier est considérable. Ensuite, les utilisateurs de ces installations fiables à moindre coût, car le but avoué est la recherche d’énergie, pas les profits, bénéficieraient d’un suivi opéré par des techniciens d’un service public de l’énergie, et non pas de margoulins comme c’est parfois le cas.
- Dans le cadre de la politique énergétique, êtes-vous favorable au développement des bio-carburants ? Souhaitez-vous maintenir les objectifs français en la matière ?
Philippe Poutou : Nous sommes opposés au développement des agrocarburants. D’ailleurs nous préférons les appeler ainsi, plutôt que biocarburants, terme d’autant plus ambigu, que ces carburants, loin d’être bio, sont plutôt issus de la plus industrielle des agricultures... Le bilan énergétique de ces carburants est nul, voire pire. C’est l’exemple même de la fausse bonne solution verte. Surtout si nous considérons les surfaces retirées de l’alimentation, pour faire rouler nos bagnoles. Une partie de l’offre alimentaire est détournée vers un autre secteur, renchérissant les prix des denrées. À l’exemple du maïs mexicain et nord américain, utilisé en « essence », et qui a provoqué la hausse du coût de la tortilla et les émeutes qui s’en suivirent.
1 000 000 000 d’individus souffrent de la faim, ils attendent mieux de nous !
- Êtes-vous favorable au développement des cultures OGM en Europe et à leur introduction en France ?
Philippe Poutou : Les multinationales de l’agrobusiness (semences, pesticides,...) veulent nous imposer notre alimentation par le biais des semences qu’elles brevètent et commercialisent. Elles entendent mettre au pas les agriculteurs du monde entier, les empêcher de resemer leur production. Ces firmes capitalistes détruisent la souveraineté alimentaire des pays les plus pauvres, en faisant courir d’énormes risques aux écosystèmes.
Pour ces raisons nous nous opposons à l’expérimentation, au développement des OGM, ici, comme ailleurs.
Des marges de progrès importantes résident dans le travail de sélection animale et végétale qui s’opère depuis la nuit des temps, et qui s’est accéléré ces dernières décennies.
Nous continuerons de défendre les faucheurs volontaires qui s’opposent physiquement à la culture des OGM.
- Approuvez-vous l’adoption de la loi sur les certificats d’obtention végétale qui autorisera, notamment, les semenciers à demander une participation financière des agriculteurs pour la recherche végétale ?
Philippe Poutou : Parce que, quand les gros semenciers font des bénéfices, ils nous en redistribuent ? Le gag ! C’est pourtant nous qui devrions leur demander quelque chose pour le travail de sélection, sur lequel ils s’appuient, accompli par des générations et des générations de paysans, depuis le néolithique, jusqu’aujourd’hui !
La bataille de chiens qui règne actuellement pour prendre possession des semences, entre en résonance avec la spéculation grandissante et scandaleuse sur les denrées agricoles. C’est tout un désordre qui n’a comme seul idéal, comme seul but, que le profit. Ce désordre s’appelle capitalisme.