- Quelle est la situation actuelle de la prostitution en France ?
Lilian Mathieu : Le délit de racolage passif autorise la police à amender une personne connue de ses services comme travailleuse du sexe, simplement parce qu’elle se trouve dans la rue. D’une part, cette mesure se traduit par une application arbitraire, tant les critères définissant l’infraction sont flous. D’autre part, le délit de racolage passif oblige les professionnelles à travailler de manière cachée, ce qui a pour conséquence directe une précarisation de leurs conditions de travail. Cette loi définit également les prostituées comme délinquantes, donc comme cause du problème. Les clients se retrouvent en position de force pour ne pas payer les passes, ou exercer des violences à leur encontre. Par ailleurs, depuis le débat sur l’insécurité qui était au centre des élections de 2002, la police doit faire du chiffre, ce qui la pousse à harceler prostituées et petits proxénètes, plutôt que ceux à la tête de grosses structures [2].
- Concrètement que risque une prostituée ?
Le racolage passif est passible de deux mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende. À cela, il faut ajouter le risque d’expulsion pour les travailleuses illégales. Les cas de non-paiement d’amende encombrent les tribunaux, d’autant que ces derniers ne donnent souvent pas suite. Les juges se plaignent de cet excès de travail (depuis l’introduction de la loi, sur la seule ville de Lyon, Cabiria — association active dans le soutien aux prostituées – dénombre 700 gardes à vue pour délit de racolage passif, parmi lesquels 30 cas ont débouché sur un procès. Les sanctions infligées sous formes d’amendes sont restées dans tout les cas impayées, sans qu’aucune poursuite n’ait été engagée, ndlr).
- La police est plus présente sur le terrain. Est-ce que cela n’offre pas néanmoins une certaine sécurité aux travailleuses du sexe ?
Non, la police est très mal perçue par les prostituées. En plus des amendes, elles se font régulièrement insulter et agresser par les Brigades anticriminalité (BAC). Ces troupes de choc prennent en charge tout désordre sur l’espace public. Elles tiennent un rôle dissuasif et agissent donc souvent de manière musclée. Les prostituées portent très rarement plainte contre les brutalités policières car, pour ce faire, elles devraient se rendre à la police (selon l’association Cabiria, pour la ville de Lyon seulement une dizaine de plaintes pour violence sont déposées chaque année, ndlr). Des organismes indépendants comme Act up — association de lutte contre le SIDA — recensent néanmoins leurs plaintes sur Internet.
- Quel est l’état des forces dans le camp de l’opposition à la loi Sarkozy ?
L’opposition est divisée. D’un côté, un front abolitionniste. De l’autre, les réglementaristes qui revendiquent la prostitution comme un métier, soutenus par des mouvements comme Les Putes — association de défense des droits de la profession — ou Act up. Cette division empêche qu’une voix d’opposition forte se fasse entendre. Elle participe au maintien de la situation actuelle.