En finir avec un système solidaire financé par le salaire socialisé
Créée en 1945 comme l’une des branches de la sécurité sociale, l’assurance maladie se fixait comme but de « permettre à tous d’accéder à tous les soins ». Assurance obligatoire, couvrant l’ensemble des salariés, contre le « risque » maladie, elle assure à la fois le remboursement des soins et un revenu de remplacement (les « indemnités journalières ») en cas de maladie. Un tel système n’a pu voir le jour que dans un rapport de forces bien particulier : celui de la Libération. Le patronat discrédité par la collaboration se trouvait alors sur la défensive, et mouvement ouvrier en position d’arracher des concessions majeures.
Mais le patronat ne s’est jamais résolu à l’existence de cet exceptionnel acquis social. Remis en cause dès les origines, il a été l’objet d’une offensive de plus en plus acharnée, avec la mise en place des politiques libérales (de droite comme de gauche) depuis la fin des années 70. L’existence de la sécu (dont le budget correspond à une fois et demi celui de l’Etat) constitue en effet pour les possédants un double scandale :
- La sécurité sociale est un SYSTÈME SOLIDAIRE de couverture sociale, (retraite, accidents de travail, famille et maladie) hors de tout circuit financier et d’intérêts privés.
- LES COTISATIONS SOCIALES qui alimentent ce système solidaire constituent un « salaire socialisé », prélevé sur la richesse produite, et mis dans le « pot commun » des salariés que constitue la sécu. Cette part du salaire affectée collectivement à la protection sociale... c’est autant de profit en moins, et donc une « charge » que le patronat et ses représentants n’ont cessé de combattre au nom de la « diminution du coût du travail ».
La contre réforme libérale s’efforce depuis longtemps d’agir simultanément sur chacun de ces deux aspects :
— remettre en cause le « monopole » de la sécurité sociale en donnant une place croissante aux assurances complémentaire et en reportant individuellement sur le malade une partie du paiement des soins. Du « ticket modérateur » au forfait hospitalier la liste n’est pas nouvelle.
— passer d’un financement par des cotisations sociales à un financement par l’impôt, payé avant tout par les salariés. Cela permettrait en même temps d’en finir définitivement avec la sécurité sociale comme institution indépendante de l’État... même si cette indépendance est aujourd’hui très limitée. La « feuille de route » fixée par Nicolas Sarkozy vise à mener jusqu’au bout cette double
contre réforme.
La mise en place des franchises.
La contre-réforme Douste Blazy de 2004 avait posé le cadre d’une « nouvelle gouvernance » de l’assurance maladie ouvrant largement la porte aux assurances complémentaires. Elle avait également instauré la première « franchise » non remboursable de 1 € sur les actes médicaux, le déremboursement de centaines de médicaments, le forfait de 18 € pour les actes hospitaliers coûteux. Au dessus de 91 €.
Aujourd’hui N. Sarkozy pousse les feux : en généralisant les franchises et en annonçant pour l’été 2008 un redéfinition de la place de l’assurance maladie dans le remboursement des soins. La loi de financement de la sécurité sociale 2008 qui sera débattue à partir d’octobre 2007 prévoit l’instauration de « franchises » de 50 cts d’€ par boite de médicament et acte paramédical et 2 € pour les transports sanitaires. Ces franchises seront pour l’instant plafonnées à 50 € par an.
L’écran de fumée mis en place en cours de l’été ne saurait faire illusion, quelque soit le prétexte désormais invoqué du financement de la « dépendance » ou de la maladie d’Alzheimer, la réalité des franchises c’est le déremboursement des soins et la mise en place d’une logique d’assurance.
N. Sarkozy lui-même s’est d’ailleurs exprimé très clairement sur le sujet. Dans son livre Libre paru en 2001 il affirmait nettement le but des franchises : « responsabiliser » l’assuré par l’argent. « Je crois utile qu’un système de franchise soit mis en place comme pour tout processus d’assurance. Ainsi les 500 premiers francs [76,22 €] de dépenses de santé annuelles des assurés sociaux ne seraient pas remboursés, afin de responsabiliser ceux-ci. »
Lors de la convention UMP sur la santé du 27 juin 2006, il enfonçait le clou : « Nous parlons d’assurance maladie [...]. Y a-t-il une seule assurance sans franchise ? » Et il ajoutait, montrant parfaitement la logique du système : « Si les dépenses augmentent, et donc le déficit augmente, on pourrait alors augmenter le montant de la franchise. » Pas en reste, F. Fillon écrivait au même moment sur son « blog » [1] : « Comment comprendre que le paiement d’une franchise soit insupportable dans le domaine de la santé, alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement à Internet ne pose pas de question ? »
Le but de la franchise sur les soins est le même que celui de la franchise sur l’assurance automobile : dissuader l’usager d’avoir recours à l’assurance en le contraignant à payer lui même une partie des frais engagés avant tout remboursement.
En matière de santé, cette logique est doublement inacceptable : elle aggrave l’inégalité sociale devant la maladie. Elle est une absurdité sur le plan sanitaire. La franchise ne dissuadera pas les plus aisés pour lesquels elle ne constitue qu’une somme symbolique. Elle contraindra par contre ceux dont les revenus trouvent juste au dessus du RMI [2], à renoncer à des soins ou de les différer faute d’argent.
Sur le plan sanitaire une telle logique comptable est une aberration : une partie des patients (pour l’essentiel les plus précaires) arrivera plus tard ou trop tard dans le système de soins, dans un état qui nécessitera des soins beaucoup plus importants (et par ailleurs plus coûteux).
La mise en place des franchises est complétée, en médecine de ville par le développement du secteur dit « optionnel ». Concédé aux praticiens libéraux pendant la campagne électorale il permettra à les médecins libéraux (et pas seulement à ceux qui se trouvent dans le secteur 2) de dépasser les tarifs remboursés par l’assurance maladie. Les conséquences sont les mêmes
que les franchises : contraindre le malade (qui le peut) à payer directement une partie de ses soins.
Développer les assurances complémentaires et réduire la part de l’assurance maladie
Le développement des franchises vise à terme à élargir l’espace ouvert aux assurances complémentaires. Philippe Douste Blazy lui même, dans un moment de... franchise le reconnaissait : « Qu’est-ce qui se passe quand il y a une franchise de 200 euros ? Eh bien vous avez tout de suite des gens pour vous dire, moi je vous les paie, les assureurs, c’est un système que je ne veux pas... »
Ce secteur est aujourd’hui en pleine expansion. Son chiffre d’affaire a atteint 26 milliards d’€ en 2006. Si les mutuelles y jouent encore un rôle prépondérant (60 %), ce sont les assurances privées qui y enregistrent la plus forte progression avec un chiffre d’affaire en hausse de 72 % (6,3 milliard d’€) depuis 2001.
Le développement des assurances complémentaires au détriment de l’assurance obligatoire a pour conséquence inévitable l’augmentation très sensible des tarifs des assurances complémentaires santé, entièrement à la charge de l’assuré. Celui ci est donc contraint de « choisir volontairement » son niveau de couverture... en fonction de ses revenus.
10 % des assurés sociaux (en particulier ceux qui se trouvent juste au dessus de la CMU) n’ont pas de complémentaires, le plus souvent faute de ressources [3] Quant aux autres, ils seront amenés, avec la réduction des remboursements par l’assurance maladie solidaire à adapter leur couverture maladie, à leurs moyens : la solidarité disparaît.
Comme pour la voiture, les contrats les plus bas laisseront une large place aux franchises non remboursées, et les plus fortunés pourront couvrir tous leurs besoins même s’ils sont d’une utilité contestable. Chacun se rappelle du « ballon d’essai » lancé l’année dernière par les AGF proposant aux plus fortunés un contrat santé « en or » de 12 000 € par an !
Dans cet univers concurrentiel, les mutuelles qui ont voulu jouer les apprentis sorciers en exigeant plus de place pour les complémentaires dans la « nouvelle gouvernance » de l’assurance maladie risquent fort d’être les dindons de la farce. Si elles veulent rester fidèles à leur principes fondateurs de solidarité et de non sélection du risque elles seront inévitablement perdantes face aux requins de l’assurance qui choissent les pathologies et les patients « rentables », sinon elles devront elles mêmes « perdre leur âme » en s’alignant sur les règles imposées par la concurrence. Mais elles ne seront plus alors que des assurances « comme les autres ».
Un « petit risque » qui peut rapporter gros : la une nouvelle répartition des rôles entre assurances et sécurité sociale.
N. Sarkozy a annoncé sa décision d’« ouvrir un grand débat sur le financement de la santé : qu’est ce qui doit relever de la solidarité nationale ? qu’est ce qui doit relever de la responsabilité individuelle à travers une couverture complémentaire ? »
Les pistes de cette contre-réforme sont déjà tracées : limiter le rôle de l’assurance maladie au remboursement du « gros risque » c’est à dire les soins coûteux et lourds et abandonner aux assurances complémentaires le « petit risque » c’est-à-dire les soins courants où les possibilités de profits sont élevées.
Ces propositions vont au devant des exigences des société d’assurances qui voient ainsi s’ouvrir un marché juteux jusque là limité par la présence de la sécurité sociale. Elles s’inscrivent dans la logique libérale qui consiste à privatiser ce qui est le plus rentable et source de profit et à socialiser les parties non rentables ou déficitaires du système dont la charge (via l’impôt) retombera finalement sur les salariés. Cette réforme, marquerait donc la
fin de l’assurance maladie de 1945 où chacun en cotise selon ses moyens... et se soigne selon ses besoins.
La dépendance, nouvel espace de privatisation.
Dans son discours du 18 Septembre Sarkozy a levé le voile sur ses projets concernant le nouveau « risque social » qu’est la dépendance. Reconnaissant que « le traitement du risque dépendance n’est clair ni dans ses principes, ni dans son organisation, ni dans son financement » il demande au gouvernement de « mettre en place une réponse adaptée et structurée à ce « cinquième risque social ». Mais la reconnaissance d’un nouveau « risque » ne signifie nullement pour Sarkozy, la couverture de celui-ci par le système solidaire qu’est l’assurance maladie. Les solutions qu’il préconise visent à la privatisation de ce « risque » en reportant son financement directement sur la personne et sa famille et sur les assurancesprivées.
En premier lieu, les familles devront payer, et si elles rechignent, la vente du patrimoine est là pour garantir le financement de la dépendance : « si la famille ne veut pas exercer [ses devoirs] la société devra pouvoir se rembourser sur un patrimoine qui n’a pas vocation a être éloigné du financement du problème de dépendance de tel ou tel de nos compatriotes... »
La seconde piste avancée est « le développement de l’assurance individuelle » Il invite les « investisseurs privés » à « investir davantage dans ce secteur ». et leur balise le chemin : « la dépendance des personnes âgées est le plus souvent un risque assurable qui peut être couvert en partie par des produits financiers innovants. Ces produits d’épargne longue pourront être fiscalement avantagés. Je souhaite qu’ils puissent comporter une sortie de rente en cas de réalisation du risque, mais aussi en nature sous forme de prestations de service ».
Quant à la partie « publique » du financement de la dépendance rappelons qu’elle est actuellement couverte par une journée de travail gratuit (lundi de pentecôte) auxquelles s’ajouteront les franchises c’est-à-dire le déremboursement d’autres soins. Exit donc la sécurité sociale du financement du « 5e risque ». Les employeurs ne verseront pas un centime de cotisation pour couvrir la dépendance, mais les assurances proposant des « produits financiers innovants » pourront se remplir les poches !
Développer le marché de la santé en réduisant la part du système solidaire
Les orientations fixées par Sarkozy s’inscrivent dans la continuité des politiques libérales « décomplexées » déjà affirmées nettement depuis 2002. Il ne s’agit plus de limiter en elles-mêmes les dépenses de santé, mais de réduire la part des soins remboursés par le système solidaire, tout en développant le « marché de la santé » en l’ouvrant largement aux intérêts privés : assurances privées et hospitalisation privée lucrative.
Dans une interview au Monde du 11 juillet 2002, J.F. Mattei, ministre de la santé du gouvernement Raffarin affirmait déjà nettement : « Je demande d’abord à ce que l’on change d’état d’esprit. La croissance des dépenses de santé est inéluctable en raison du vieillissement de la population, du coût des nouvelles technologies médicales et de la recherche du mieux-être. Il faut cesser de dire qu’il est nécessaire de “maîtriser”, “contenir” et poser la question
du niveau de ces dépenses dans le budget de la nation en faisant la part de l’assurance-maladie, celle des assureurs complémentaires et celle laissée aux usagers ». La « rupture » sarkozienne consiste seulement à mener la contre-réforme jusqu’au bout.
La suppression du salaire socialisé par l’instauration de la « TVA sociale »
Le second volet de la contre réforme de l’assurance maladie voulue par N. Sarkozy est le passage définitif d’un financement assuré par des cotisations sociales (c’est-à-dire par du salaire socialisé) à un financement par l’impôt acquitté essent iellement par les salariés. Ce transfert est l’un des aspects essentiel de la « diminution du coût du travail », obsession des politiques libérales. Nous sommes là au cœur de la répartition de la richesse produite. Toute diminution des cotisations sociales (baptisées « charges » par les employeurs) est une baisse de salaire et donc un accroissement de la part des profits. La baisse du salaire indirect a pour avantage du point de vue patronal d’être moins directement perceptible par les salariés qu’une diminution du salaire direct, ce qui la rend plus facile à faire accepter.
La réaction face à l’annonce par J.L. Borloo de la TVA sociale a toutefois bien montré que l’enjeu de classe de la transformation du salaire socialisé en impôt pouvait être nettement perçu. Suite à ces déboires, la question est mise en sourdine, probablement jusqu’aux élections municipales. Le gouvernement, se contente pour l’instant de mesures ponctuelles qui ne résoudront rien du prétendu « déficit » de l’assurance maladie [4]. On peut dores et déjà prévoir qu’une nouvelle dramatisation du « trou de la sécu » sera au rendez-vous, au lendemain des municipales, pour justifier l’instauration de la TVA « sociale » ou d’un équivalent.
Les conséquences de la disparition des cotisations sociales remplacées par l’accroissement de la TVA dite « sociale » ont déjà été largement dénoncées. Bornons nous à rappeler que la TVA est l’impôt le plus injuste puisqu’il pèse proportionnellement plus sur les plus pauvres, ceux-ci étant contraints de l’acquitter chaque fois qu’ils achètent un produit de première nécessité.
Le financement des dépenses de santé par la TVA permettrait de plus d’empêcher toute identification claire des dépenses de santé en les intégrant dans un « fourre tout » plus vaste, dans une complète opacité. Enfin le financement par la TVA permettrait de faire totalement disparaître la sécurité sociale et l’assurance maladie comme institutions indépendantes gérant les dépenses de santé, ce que préfigure déjà la création d’un ministère unique « du budget et des comptes publics ».
Pour faire accepter la « réforme », le gouvernement s’efforcera sans doute de la rendre apparemment « neutre », dans un premier temps. Mais, même dans cette hypothèse, il ne peut s’agir que d’un effet à court terme, permettant au patronat de s’exonérer une fois pour toute de la « charge » des dépenses de santé. Dans l’avenir, toute nouvelle augmentation des dépenses reposera uniquement sur les « ménages » et donc essentiellement les salariés.
Dans ce domaine non plus les propositions de Sarkozy ne marquent pas une « rupture », mais une volonté de mener à leur terme les politiques engagées par les gouvernement précédents « de droite » comme « de gauche ». C’est en effet le gouvernement Rocard qui a ouvert la brèche en instaurant la CSG (contribution sociale généralisée), à laquelle s’est ajoutée la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) de la réforme Juppé. Mais
l’offensive de Sarkozy risque d’être décisive si elle ne se heurte pas à une mobilisation sociale de grande ampleur.
Développer la mobilisation unitaire, tout en traçant une alternative claire aux politiques libérales.
Face à la contre-réforme, l’urgence est d’engager la mobilisation unitaire pour faire face à la première échéance : la mise en place des franchises inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2008 dont la discussion commence fin Octobre au parlement. L’ensemble des organisations syndicales, des associations de patients, la mutualité, l’ensemble de la gauche politique se sont prononcées contre les franchises.
La première initiative unitaire, le 29 Septembre, à l’appel du collectif national contre les franchises a montré la possibilité d’une mobilisation. D’autres échéances sont en préparation [5]. L’objectif est de gagner un engagement beaucoup plus résolu du mouvement syndical sur
cette question et de déboucher sur des mobilisations de masse à l’occasion du vote de la loi.
Ces mobilisations doivent d’emblées être conçues sur le terrain interprofessionnel et politique, et non comme des actions limitées aux professionnels de santé, car il s’agit bien de questions politiques centrales avec pour enjeu la répartition des richesses dans la société. La seconde étape à préparer dès maintenant est celle de l’instauration de la TVA sociale plus ou moins « relookée » qui resurgira au plus tard après les élections municipales. Sur ce terrain aussi un large front unitaire, sans exclusives peut se constituer.
Dans les deux cas, aucun préalable ne doit être posé pour réaliser l’unité. C’est la condition d’un du succès. Mais parallèlement il est indispensable de tracer un alternative cohérente fixant l’horizon de la mobilisation et de poursuivre le débat avec tous ceux qui participent à celle-ci, non seulement pour défendre une sécurité sociale unique et solidaire remboursant à tous l’ensemble des soins, mais de défendre son financement par des cotisations sociales. Sur
ces bases il serait possible non d’en finir avec les principes de 1945, mais de leur permettre de s’épanouir dans le cadre d’une sécurité sociale autogérée par les salariés.