Analyse de ce nouveau revers dans ce long et fastidieux processus constituant avec Franck Gaudichaud, historien spécialiste du Chili, et professeur à l’Université Toulouse-Jean-Jaurès.
- Le président chilien Gabriel Boric, le 7 mai 2023 à Punta Arenas au Chili.
- © Andres Poblete/AP.
- RFI : Le score de l’extrême droite dans ce scrutin est-il un échec pour le gouvernement de gauche de Gabriel Boric ?
Franck Gaudichaud : Après les promesses de grandes transformations progressistes portées par la gauche, c’est une sorte de retour de bâton, un nouvel échec et une nouvelle sanction après le référendum de septembre 2022. De nouveau, le président Gabriel Boric se trouve dans une position très difficile, avec une opposition qui va se radicaliser. Il a déjà beaucoup de mal à faire passer ses textes, comme sa réforme fiscale, bloquée depuis le début de son mandat. Un cycle politique semble ainsi se refermer pour les mouvements populaires et les mobilisations sociales, déjà affaiblis par la pandémie de Covid-19.
Malgré tout, il y a toujours une activité sociale importante, les féministes, par exemple, sont toujours très présentes. La question qui se pose à présent est de savoir s’il y aura un nouveau soulèvement populaire au Chili. De son côté, José Antonio Kast, chef du Parti républicain, se positionne comme le candidat des droites pour 2025. Il représente une sorte de « bolsonarisme » [en référence à l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro, NDLR] à la chilienne. Il a de bonnes chances d’être un compétiteur central dans les prochains mois et pour la présidentielle.
- Comment expliquer le manque d’engouement de cette élection ? Le scrutin était obligatoire, mais de nombreux Chiliens se sont abstenus, ou ont préféré le vote nul.
L’abstention et le vote nul sont quasiment aussi importants que le vote pour les listes de Gabriel Boric. Ce projet constitutionnel est limité par diverses institutions, comités d’expert, etc. Il a déjà été pré-rédigé par des experts, donc sous contrôle des partis au Parlement. Et le Parlement est déjà très bas dans les sondages, en termes de légitimité. Le taux d’approbation risque donc d’être assez bas et l’on se demande si ce nouveau texte sera approuvé par référendum en décembre 2023. Rien n’est moins sûr. Les Chiliens ont aussi d’autres préoccupations et l’extrême droite a fait sa campagne dessus : migration, insécurité, crise économique… Ces thèmes sont au centre de l’agenda. C’est une difficulté pour Gabriel Boric, qui a été élu sur une promesse de droits sociaux, de reconstruire une sécurité sociale. Désormais, l’agenda s’est déplacé sur l’extrême droite et c’est là-dessus qu’une partie des Chiliens a voté.
- L’extrême droite a la main sur la rédaction de cette nouvelle Constitution. Le texte sera-t-il vraiment différent de celui écrit sous la dictature de Pinochet ?
La force majoritaire qui va être amenée à rédiger ce texte est composée en partie des héritiers du régime autoritaire de Pinochet. Ils avaient d’ailleurs assez peu d’ambition de transformer cette constitution. On aura sûrement un texte a minima, très libéral ou néo-libéral, contre toutes les avancées proposées entre 2019 et 2021. Néanmoins, dans les discussions entre les experts et ce qui a été proposé au Parlement, il y a le fait que l’État chilien reste un État unitaire, pas plurinational, donc qui n’inclue pas de droits pour les peuples autochtones. Ces discussions évoquaient aussi un État de droit social. Là-dessus, le Parti républicain s’est opposé à cette idée. Il a une vision très libérale, même ultra-libérale, et estime que le marché doit réguler la société. Il y aura donc des tensions entre les propositions d’avancées sociales et la position très libérale et conservatrice du Parti républicain.