De Buenos Aires à la Méditerranée mystérieuse

, par EPSZTAJN Didier

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Fils et aiguilles

« Mon nom est Soledad. Je suis née, dans ce pays où les corps sèchent, avec des bras morts incapables d’enlacer et de grandes mains inutiles. »

Carole Martinez nous offre un roman où les femmes tissent des histoires, comme autant de récits ou de réalités en pointillé que la lectrice ou le lecteur pourra construire ou reconstruire au gré de ses propres projections.

Une rive, une traversée puis une autre rive.

Des personnages, surtout des femmes : Soledad, Anita, Franciesca, Clara, Angela, la Blanca, la Maria mais aussi Martirio, José, le coq rouge.

Une boîte héritage transmise de mère en fille, de femme à femme. Plus qu’une aiguille ou des fils magiques.

Laissez-vous emporter par cette magie, ce conte, ces imaginaires déployés dans le premier ouvrage d’une auteure émergente. « Soledad, ma fille, sens ce vent sur ton visage. C’est mon baiser. Celui que jamais je ne t’ai donné. »

  • Carole Martinez, Le cœur cousu, Réédition Folio, Paris, 2009, 442 pages, 9 €.

Il est facile de partir

Un homme quitte Laura enceinte. « J’ai séduit Laura avec les mots d’un autre. Je l’ai aimée dans une langue qui n’est pas la mienne, et je ne sais pas comment parler à mon enfant. »

Son présent obsédé par la mort violente de sa sœur Marianne ne saurait seul expliquer cette rupture, ni son amitié avec Léo, ni les livres d’un vieux libraire.

Peu à peu, des silences, des mots étranges, des ombres du passé, des lieux s’introduisent, dans la vie heureuse de Gabriel.

Un voyage dans cette Mitteleuropa qui hante les mémoires, une tombe et des noms comme clef d’une histoire.

  • Jean Mattern, Les bains de Kiraly, Sabine Wespieser Editions, Paris, 2008, 133 pages, 17 €.

Place vide dans la vie

Une île grecque, des secrets de famille, d’amour et de naissance. Un paysage montagneux, rude, ensoleillé. Une île et un double déracinement. La quête inlassable d’une femme pour entrevoir et retrouver l’enfant de cet amour fulgurant mais néanmoins fugace. L’espoir obsédant, les fantasmes, une approche pleine d’émotions. Une belle lecture. « Il y a une place vide dans la vie de cette petite. »

  • Metin Arditi, La fille des Louganis, Actes Sud, Arles, 2007, 238 pages, 19 €

Voyages

Quelques centaines de pages pour toutes et tous les amoureux des livres et de la lecture, pour toutes celles et tous ceux qui ont recherché une méthode plus ou moins rationnelle, idéale, fantasque de rangement de leur bibliothèque.

Pour ces moments passés au cœur de l’imagination, le livre d’Alberto Manguel est une nouvelle promenade parmi l’entassement des pages noircies, les rêves, la nuit. Un moment de bonheur.

  • Alberto Manguel, La bibliothèque, la nuit (Traduit de l’anglais), Actes Sud, réédition Babel, Paris, 2008, 375 pages, 8,50 €.

Déambulations

Dans son dernier ouvrage, Régine Robin nous entraîne à New York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires et Londres. Voyage dans des villes réelles, fantasmées et villes écrans, plans de métro, romans noirs, taxis, films, souvenirs, etc. Entre littérature, fiction et sociologie, les villes gigantesques d’aujourd’hui dans une flânerie jouissive, un travelling permanent. Un moment de bonheur.

« Décalages horaires, fuseaux, grands axes de circulation, échangeurs, avions qui atterrissent, qui décollent, scénographies lumineuses des capitales, on la (de qui s’agit-il ??) retrouve aux quatre coins du monde, elle et son cortège d’ombres, de doubles, ses clones, elle et les personnages des films qui l’accompagnent et qui sortent de l’écran, comme on sort d’un hôtel, d’un bistrot, d’un cybercafé, d’une librairie... »

Dans la riche littérature actuelle sur les villes, je propose en amer contrepoint le livre de Mike Davis : City of Quartz, Los Angeles, capitale du futur, réédité en 2006 chez La découverte poche.

  • Régine Robin, Mégapolis, Les derniers pas du flâneur, coll. Un ordre d’idées, Stock, Paris, 2009, 397 pages, 25 €.

Le lendemain, personne ne mourut

Comme un fleuve de mots, denses, souriants, les aléas incongrus d’une société strictement en vie. Dérives des familles, des hôpitaux, des pompes funèbres, de l’église, de la maphia, (orthographe de l’auteur), privés des arrêts de vie, en absence de mort. L’envers d’un décor en somme. Un violoncelliste, des enveloppes à l’encre violette, une émotion retenue sur des notes de jean sébastien bach (en minuscule dans le texte), comme une introduction à l’écoute des suites. Un conte ou un constat d’une ironie lucide.

Qu’importe alors que les dernières pages n’offrent pas la même densité. Un livre pour le plaisir d’un grand de la littérature portugaise. Et poursuivre en se plongeant dans par exemple « Histoire du siège de Lisbonne » ou « L’année de la mort de Ricardo Reis », chez le même éditeur.

  • José Saramago, Les intermittences de la mort (Traduit du portugais), Points Seuil, Paris 2008, 263 pages, 7 €.

Innombrables histoires

« Après sa mort, il revenait. Toujours. Il n’était pas venu seul. Cette fois, il avait amené du renfort. A soi seul, impossible de raconter un tel nombre d’histoires. Ils emplissaient toute la ville. Tout le pays. La terre entière. »

Une bourgade helvète. 1871, 1893, 1913, 1937 comme carrefour d’improbables existences, comme prétexte pour une description tendre et ironique d’une famille juive.

Dans cet imposant roman, Charles Lewinsky semble renouer avec les grands romans familiaux du XIXe siècle. Mais son style est profondément imprégné de la dissolution des mondes du siècle suivant, celui de la sécularisation et des traditions talmudiques, des mutations sociales, de l’exil, des amours contrariés ou aboutis, du différent toujours institué comme autre.

Nostalgie d’un monde irrémédiablement disparu. Et puis, 1945 et le retour de l’oncle Melnitz, mort revenu d’entre les morts, personnage fantomatique croisé à de multiples moments dans ce grand livre. Melnitz, notre oncle, mémoire des histoires, des innombrables histoires ensevelies dans le fracassement du siècle.

  • Charles Lewinsky, Melnitz (Traduit de l’allemand), Grasset, Paris, 2008, 776 pages, 22,90 €.

Yiddish à Buenos Aires

La toile de fond de ce roman est rappelée par Alberto Manguel dans une belle postface « En même temps que les paysans, artisans et ouvriers arrivèrent les autres, les artistes et les prostituées, et la nouvelle Sion put bientôt se targuer de posséder l’un des meilleurs théâtre yiddish du monde et l’une des chaînes de bordels les plus actives. Une organisation tristement célèbre, Zwi Migdal, mit au point un système extrêmement efficace d’esclaves blanches et juives, lequel, sous la protection d’une police argentine corrompue, introduisit dans le pays et puis exploita des milliers de femmes. »

Le livre d’Edgardo Cozarinsky est une de ces dangereuses histoires inventées qui « si elles sont bonnes, elles finissent par devenir réelles, au bout d’un certains temps elles se transmettent, et alors peu importe qu’elles aient été inventées, car il y aura toujours quelqu’un pour les avoirs vécues. »

Avec nostalgie, l’auteur mêle chronique policière, théâtre yiddish, tango et interrogations sur la fiction. Immigration et déracinement. Et une traversée pleine de tendresse d’un monde disparu.

  • Edgardo Cozarinsky, Le Ruffian moldave, (Traduit de l’espagnol, Argentine), Actes Sud, Arles 2005, 17 €.

Parodies et vertige littéraire

Au travers d’une trentaine de « biographies », l’auteur traite de la fascination pour le fascisme ou le nazisme. Ces parodies, inscrites dans les réalités sud-américaines des années 1980, ne sont pas que des exercices de styles.

Elles parcourent ou utilisent une bonne partie des possibilités de la littérature. Je ne cite que quelques regroupements évocateurs : « Héros mobiles ou la fragilité des miroirs », « Précurseurs et adversaires des Lumières », « Poètes maudits », « Vision, science fiction », « Mages, mercenaires, misérables », « La fraternité aryenne » ou « Épilogue pour des monstres ».

Au lecteur, à la lectrice, de passer de la reconstruction de passés plus ou moins imaginaires, aux présents plus ou moins réels, de suivre les inventions sérieuses, comiques ou grinçantes de Roberto Bolano.

  • Roberto Bolano, La littérature nazie en Amérique (Traduit de l’espagnol), Christian Bourgois, collection de poche Titres, Paris 2006, 278 pages, 7 €.

P.-S.

Le titre est de la rédaction.

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