Erich Wollenberg et la tragédie du prolétariat allemand

, par BATOU Jean

Recommander cette page

Erich Wollenberg (1892-1973) est un témoin privilégié du tournant le plus tragique de l’histoire du mouvement ouvrier allemand : sa défaite sans combat face à Hitler.
Le compte à rebours final a commencé le 20 juillet 1932 avec la dissolution par décret du gouvernement de l’État libre de Prusse, le plus grand État allemand, présidé par le social-démocrate Otto Braun. L’absence de riposte à ce coup de force orchestré par le chancelier Franz von Papen représente un test grandeur nature. Le SPD a capitulé et les communistes n’ont pas levé le petit doigt.
Hitler comprend que les directions des partis social-démocrate (SPD) et communiste (KPD) ont renoncé à toute résistance sérieuse. Six mois plus tard, le 30 janvier 1933, le président Hindenburg le nomme chancelier. Dans la nuit du 27 au 28 février, le Reichstag est en feu. Les communistes sont abusivement mis en cause. Les libertés constitutionnelles sont suspendues par décret.
L’article que rédige Erich Wollenberg en août 1934, publié par l’hebdomadaire de l’opposition de gauche allemande en exil, Unser Wort, dresse un acte d’accusation contre la politique désastreuse de la direction du Parti communiste allemand, dictée par Staline. En refusant de façon suicidaire une politique de front unique avec la social-démocratie, il a capitulé devant le danger mortel du nazisme.
La biographie d’Erich Wollenberg reste à écrire. Il est le chef de la sécurité du Conseil d’ouvriers et de soldats de Prusse orientale lors de la révolution de novembre 1918, puis le commandant de l’Armée rouge du Nord de la République bavaroise des conseils au printemps 1919. Condamné à deux ans de prison, il s’évade trois fois avant d’être libéré en 1922. En 1923, il dirigé l’édition orientale du journal communiste, die Rote Fahne, et participe au soulèvement révolutionnaire de 1923.
Dès avril 1924, il se réfugie à Moscou, où il sert comme officier dans l’Armée rouge. Après un bref séjour clandestin en Allemagne, il revient en URSS où il anime le cabinet militaire de l’Institut Marx-Engels, puis enseigne l’histoire du mouvement ouvrier occidental à l’École Lénine internationale.
De retour en Allemagne en 1931 au bénéfice d’une amnistie, il commande l’organisation militaire clandestine du Parti communiste, le Roter Frontkämpferbund, dont il dirige le journal. Lâché par la direction du Parti, il est sévèrement blessé dans une confrontation avec les nazis, en juillet 1932, un événement qu’il rapporte dans son article. Journaliste au Rote Fahne, il se montre de plus en plus critique par rapport à la ligne du Parti. D’après Pierre Broué, il serait même alors rentré en contact avec le fils de Trotsky, Léon Sedov, à Berlin.
Convoqué à Moscou, fin 1932, il est exclu du Parti en avril 1933, mais échappe à la répression stalinienne en réussissant à gagner Prague en juillet 1934. Il s’adresse à Trotsky et organise un réseau oppositionnel dans le Parti communiste tchèque. Poursuivi par les agents d’Hitler et de Staline, il est finalement arrêté à Paris par la Gestapo en 1940. Il parvient cependant encore une fois à s’évader et à gagner le Maroc, où il est interné par les autorités de Vichy. Libéré en 1942, il sert dans l’armée américaine puis vit à Paris, à Munich, puis à Hambourg, où il devient écrivain et journaliste. Il meurt à Munich, le 6 novembre 1973.

Jean Batou est professeur d’histoire. Il a exercé à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne en 1998. Il est militant anticapitaliste, féministe et écologiste. Il a traduit et préparé le texte de Erich Wollenberg, publié en août 1934 dans Unser Wort juste après son arrivée à Prague en provenance de Moscou. Unser Wort succède à Die permanante Revolution, interdit par les nazis. C’est le journal de l’Internationale Kommunisten Deutschlands (IKD), section allemande en exil de l’Opposition de gauche internationale, puis de la Ligue communiste internationaliste (LCI). Il paraît à Prague, puis à Paris dès septembre 1933, comme bimensuel d’abord, puis comme hebdomadaire dès janvier 1934, ce que Trotsky salue comme « un réel succès » (Œuvres, tome 3, Paris, EDI, 1978, p. 213-216).

Voir en ligne : « Aux membres du KPD ! Aux combattants du Front Rouge ! Aux sans-parti, aux travailleurs communistes oppositionnels ! » d’Erich Wollenberg