Quelques dizaines de Palestiniens et une demi-douzaine de militants israéliens manifestent sur la Colline du Coq, trempés par une pluie froide qui ne cesse de tomber depuis deux jours. En face la merveilleuse forêt qui recouvre la colline d’Abou Ghnem, dont l’ancien maire travailliste de Jérusalem avait dit il y a de nombreuses années : « cet espace n’est vert que pour les Arabes », c’est-à-dire déclaré zone interdite à la construction tant qu’un nouveau quartier juif ne pouvait y être installé. Depuis près de six ans, les habitants de Beit Sahur et une poignée de pacifistes israéliens affirment que sur cette colline se jouera l’avenir de la paix au Proche Orient, et que la construction de la nouvelle colonie juive de Har Homa risquerait de provoquer une explosion plus grave encore que l’Intifada de 1987. C’était avant Oslo.
Reprise des attentats ?
Aujourd’hui, on ne peut pas parler de soulèvement, ou même de mobilisation populaire majeure, comme le montre la faible participation au campement organisé par Feiçal Husseini sur la Colline du Coq. Si les heurts entre de jeunes palestiniens et l’armée israélienne sont quotidiens, ils restent cantonnés à la région de Bethleem et à Hebron, et ils sont contrôlés avec efficacité par les forces de sécurité palestiniennes. En revanche, une nouvelle vague d’attentats est des plus vraisemblables, comme le laisse à penser l’opération suicide du vendredi 21 mars. Car les partisans de ce type d’attentat viennent de recevoir le feu vert, non de la part du président Arafat — ainsi que l’affirme ce maître de l’intoxication qu’est Benjamin Netanyahu mais de l’opinion publique palestinienne. C’est cette opinion publique, de plus en plus hostile aux attentats, qui avait poussé les dirigeants du Hamas à Gaza à y mettre fin. Et c’est elle qui change aujourd’hui, cesse de croire que, cahin-caha, le processus négocié continue à progresser et attend qu’on fasse payer à Netanyahu ses provocations permanentes, son refus arrogant, ses initiatives humiliantes. Si le roi Hussein s’est cru obligé d’envoyer, il y a quelques semaines, une lettre au Premier ministre israélien, où, dans un langage peu diplomatique, il affirmait ne plus pouvoir supporter les mensonges et les humiliations des dirigeants israéliens, on peut s’imaginer ce que ressentent les résidents des camps de réfugiés de Cisjordanie. Contre de tels sentiments, Yasser Arafat et ses forces de police ne peuvent pas grand chose.
Manoeuvres
« Le processus de paix est définitivement enterré » a affirmé à plusieurs reprises Abu Ala, président du Conseil législatif palestinien et principal négociateur des accords d’Oslo. Depuis trois ans, on a trop souvent entendu cette phrase pour la prendre pour argent comptant, mais il ne fait pas de doute que le processus est enlisé dans une impasse, dont Netanyahu ne semble pas avoir envie de sortir. Tout comme l’ouverture du tunnel sous les mosquées de Jérusalem en septembre 1996, le début de la construction de la nouvelle colonie de Har Homa à Jérusalem-Est a pour objectif — et pas seulement pour effet- de stopper les négociations israélo-palestiniennes, et de mettre en avant une formule alternative à celle d’ Oslo. C’est le sens qu’il faut donner à la nouvelle proposition de Netanyahu de sauter les étapes et de passer directement aux négociations sur le statut définitif des territoires occupés.
Mais la manoeuvre est un peu grossière. D’après la Déclaration de principe d’Oslo, les négociations sur le statut définitif devaient débuter en mai 1996, et c’est Israël — les travaillistes d’abord, Netanyahu plus tard qui, après louverture symbolique de ces négociations, a repoussé à une date indéterminée le travail des commissions mixtes. Netanyahu cherche en fait à annuler les engagements pris par Israël pour la période intérimaire et surtout, les différentes phases du redéploiement de l’armée israélienne qui selon la même déclaration de principe, devaient conduire à un retrait des forces israéliennes de tous les territoires occupés, à l’exception des « sites militaires stratégiques ». En échange de quoi Israël s’engagerait à faire aboutir les négociations en moins d’un an. Quand on sait que dès 1994, Yitzhak Rabin avait annoncé qu’il n’ y avait pas de « dates sacrées » et que depuis aucun calendrier n’a été respecté, quand on sait que la (re)négociation sur le statut de la rue des Martyrs à Hebron a pris près de six mois (et ceci après que le gouvernement israélien ait préalablement signé un accord sur ladite rue pour lequel les Palestiniens avaient déjà payé cash) il faut être paiticulièrement stupide pour croire à la bonne foi du chef du gouverment israélien. Pourtant la proposition honteuse de Netanyahu a, de son point de vue, un double avantage : d’une part elle camoufle — mal son refus de respecter les engagements et d’autre part, elle prépare le terrain à un gouvernement d’union nationale avec les travaillistes. Leur participation redonnerait une crédibilité au gouvernement mis à mal autant par les scandales que par la rapidité avec laquelle il a réussi à dilapider les acquis de la « politique de paix » de ses prédécesseurs.
Et Jérusalem ?
Face à la politique israélienne Yasser Arafat s’obstine à vouloir jouer la carte d’Oslo et considère que tant que les négociations se poursuivent et que l’armée israélienne se retire des territoires palestiniens, aussi limité soit-il, le processus joue en faveur des Palestiniens. Les autres problèmes, en particulier Jérusalem et les colonies, peuvent attendre. ll semble que de plus en plus cette stratégie soit remise en question par plusieurs membres importants du Conseil législatif, ainsi que par Fayçal Husseini, qui est en conflit quasi ouvert avec le Rais. « Jérusalem ne peut pas attendre » nous a répété Husseini, « et si la politique de colonisation et de confiscation des cartes d’identité des résidents palestiniens de Jérusalem n’est pas stoppée maintenant, il ne restera plus rien à négocier demain ». Or, ce que la classe politique israélienne refuse de comprendre, c’est qu’un Etat palestinien sans Jérusalem n’aura aucune légitimité, et tôt ou tard le conflit reprendra, avec, cette fois, une dimension religieuse au moins autant que nationale.
En ce sens, la politique de la gauche travailliste qui affirme, par la voix du député Yossi Beilin, qu’une paix israélo-palestinienne est possible sans remettre en question l’annexion de Jérusalem-Est, et que les Palestiniens étant prêts à se contenter des faubourgs pour leur capitale, est au moins aussi dangereuse que celle du gouvernement actuel, car elle crée l’illusion d’une solution qui économiserait une remise en question du sacro-saint consensus israélien sur Jérusalem.
Si la bataille de la colline d’Abu Ghneim est perdue par les Palestiniens, tout laisse à penser que c’est à la guerre sainte pour Jérusalem que la jeune génération israélienne devra se préparer.