Comment appréciez-vous le mouvement de grève qui dure depuis plus d’une semaine à la SNCF ?
Philippe Corcuff. On y retrouve une des caractéristiques du climat social à la SNCF. Lors du tournage du film de Cabrera, nous nous sommes rendu compte que de nombreux cheminots ont souvent la crainte, justifiée ou non, d’être dépossédé des décisions, que les choses se négocient « d’en haut » et qu’elles soient simplement déléguées à la structure syndicale. Aussi, en règle générale, notamment depuis la victoire de décembre 1995, si un accord veut espérer désormais être signé, il ne faudrait surtout pas qu’il donne l’impression d’être négocié indépendamment des cheminots.
Le dialogue social passe-t-il si mal entre directions et salariés ?
Philippe Corcuff. À la SNCF, il y a toujours eu des structures importantes de dialogue. Avec, à tous les niveaux, une représentation du personnel. Dans le même temps, classiquement, il existe une grande séparation entre encadrement et salariés, avec un fort sentiment du « eux » et « nous ». Par exemple, quand on dit « patron » à la SNCF, cela peut concerner autant le cadre moyen que le président... Cela dit, l’encadrement n’a pas une vraie culture de discussion.
L’avez-vous ressenti lors du tournage du film ?
Philippe Corcuff. Quand nous avons tourné l’hiver dernier, on souhaitait jouer quelques scènes en bordure de voies. Seulement, la SNCF a refusé de donner son accord, au prétexte que cette autorisation, tout comme de réaliser un film sur le conflit social, pouvait donner l’impression que la direction privilégie les syndicats face à l’encadrement ! Qu’un tel détail puisse perturber ces derniers est vraiment symptomatique de rapports très mauvais. En fait, l’encadrement reste traumatisé par les grèves de décembre 1995 : il a pensé alors que les syndicats avaient gagné sur eux.