France, élections présidentielles : Arlette qui pleure, Olivier qui rit !

, par IONAS Christos

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Un tel titre est évidemment réducteur pour décrire la campagne présidentielle des deux candidats de l’extrême gauche, et pourtant il reflète une certaine réalité ! Et si ce titre paraît paradoxal quand on regarde les bons sondages d’Arlette Laguiller, il est pourtant partiellement symbolique des perspectives politiques de chacune des deux organisations.
Ce qui serait encore plus réducteur serait de croire que c’est cette « fraternelle compétition » qui est au centre du débat politique français aujourd’hui. À vrai dire, la campagne présidentielle pour les élections du 21 avril reflète avant tout à la fois la déception populaire clairement marquée pour la politique du gouvernement de « gauche plurielle » de Lionel Jospin et, ce qui est grave, le ras-le-bol devant le discours politique en général. C’est pourquoi on assiste à des phénomènes inédits : le jeu classique est totalement ébranlé, Chirac et Jospin risquent d’avoir chacun moins de 20 % des votants au premier tour (le second aura lieu le 5 mai), ce qui les inquiète fortement ! Un très fort taux d’abstention est à ce jour prévisible. Mais en outre, alors que depuis des mois les commentaires se concentrent sur le « troisième homme » (Chevènement puis Arlette Laguiller), c’est désormais la sinistre figure de Le Pen qui refait la une : le fasciste, malgré une absence de réelle campagne et une crise interne encore très forte, est crédite de 11 à 14 % des votes dans les sondages. La revue antifasciste Ras l’Front (numéro d’avril, avec un dossier sur l’Italie...) montre que l’électorat de Le Pen évolue quelque peu (progression chez les ruraux, chez les vieilles personnes, et forte résistance chez les enseignants, chez les travailleurs et surtout les travailleuses de la fonction publique). Mais ce qui est clair, c’est que la nullité de la campagne politique a remis Le Pen en course, puisque l’un des grands débats est celui de l’insécurité en France (avec relents racistes...), avec comme solutions consensuelles l’enfermement des jeunes délinquants. Question sur laquelle, nous y reviendrons, il est indispensable de se déterminer.

Vers un très fort vote anticapitaliste

Dans ces conditions, le plus intéressant dans un premier temps n’est pas de voir la différence entre les votes Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière, LO) et Olivier Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire, LCR). Il est plutôt de bien comprendre qu’au soir du 21 avril, plus d’un électeur sur 10 aura certainement voté pour ce qu’on appelle l’extrême gauche, et qu’il faut définir plutôt comme une gauche fidèle à des valeurs socialistes et révolutionnaires. On pourra d’ailleurs y ajouter une partie des votes pour le Parti Communiste (PCF) et pour les Verts, dont certains électeurs pardonneront l’impuissance totale au sein du gouvernement Jospin pour ne retenir que l’actuel discours aux tonalités « gauche » (notons que Jospin lui-même se qualifie désormais de représentant des travailleurs !). C’est donc un phénomène considérable, qui inquiète évidemment la gauche réformiste sur le plan électoral (sans oublier les conséquences pour un PCF désormais battu électoralement par la gauche révolutionnaire ! Nous ne développerons pas maintenant ce chapitre bien sur clef pour l’avenir...), mais qui effraie bien plus globalement la bourgeoisie : il est difficile de ne pas pleurer de rire devant les représentants de Chirac qui diffusent une brochure aux couleurs effrayantes sur « la France trotskiste » !
Ce qui inquiète aussi un monde bourgeois qui a fait de la politique une affaire de fric, de publicité et de spécialistes professionnels, c’est la capacité des militants d’extrême gauche en France. L’exemple le plus simple, c’est celui de la présentation des candidats à l’élection présidentielle. Celle-ci est en effet rendue très difficile par l’obligation d’avoir la caution démocratique de 500 élus (avant tout maires, députés, sénateurs, soit au total environ 40 000 élus). Obtenir la signature d’un maire (pour ne pas parler d’un député) était pour cette élection presque impossible pour une organisation qui ne dispose pas d’un réseau national d’élus comme les partis socialiste (PS) et communiste, ou la droite (RPR, UDF)... Sur 16 candidats, on peut estimer qu’environ 7 à 9 ont obtenu tranquillement leurs 500 signatures par leur réseau, 3 à 5 par des consignes données nationalement (le fasciste Megret a apparemment obtenu des signatures de maires convaincus par le réseau de Chirac, qui a ainsi voulu gêner Le Pen parce qu’il mène campagne contre lui...). Les autres candidats ont acquis leur « parrainage » grâce à un travail militant qui témoigne à la fois d’une forte organisation et d’une conviction politique que ne peuvent plus comprendre les profiteurs du pouvoir et des salons bourgeois ! Et que 3 candidats se réclamant du trotskisme (le troisième est le dirigeant du courant appelé « lambertiste ») aient pu obtenir ces signatures est déjà une grande victoire politique : si de nombreux maires accueillent avec respect et sympathie les militants révolutionnaires « chasseurs de signatures », bien peu acceptent de signer !
Les maires rencontrés n’ont d’ailleurs pas été les derniers à interroger : pourquoi pas une candidature unitaire LO-LCR ? Bonne question, puisque les thèmes de campagne sont bien sur les mêmes dans les grandes lignes : condamnation de la politique anti-ouvrière de la gauche plurielle, interdiction des licenciements, défense des services publics, de la retraite à 37,5 annuités... Il reste aujourd’hui évident que la proposition faite l’an dernier par la LCR d’une candidature Arlette Laguiller soutenue par LO et la LCR (et sûrement par d’autres, dans un tel contexte !) aurait permis que Le Pen ne soit pas aujourd’hui le « troisième homme »...

« Votez Arlette » : une dérive électoraliste

La responsabilité est sans partage : c’est bien LO qui a refusé une telle campagne unitaire. Les réponses données l’été dernier par LO témoignaient à la fois d’un sectarisme périodique (mais inacceptable dans la période ouverte par les grèves de 1995 !) et d’une incompréhension des tâches de l’heure. La seule préoccupation de LO restait et reste de capitaliser pour elle-même le succès de sa porte-parole depuis 30 ans, Arlette Laguiller, dont le succès dans les sondages (jusqu’à 11 %) montre la popularité. Cette campagne présidentielle montre les limites actuelles de cette organisation très « produit français » qu’est LO, qui ne s’est jamais rattaché à un regroupement international. Ces limites semblent ignorées par une partie de l’extrême gauche grecque, fascinée par le phénomène « Arlette ». Or, la personnalisation a désormais franchi de graves limites : si Arlette parle heureusement de révolution et de communisme dans ses meetings, les affiches et les tracts de LO pendant cette campagne ne portent pas mention de LO, encore moins de l’Union Communiste internationaliste, noyau de LO ! Le vedettariat a amené Arlette non seulement à donner des interviews dans la presse à scandale (... car ce sont des lecteurs populaires !) mais aussi à des actions comme la réception d’un chèque de soutien donné publiquement par la présidente des concours de beauté, symbole aristocratique de l’exploitation du corps des femmes (heureusement, le chèque était libellé non pas à Lutte Ouvrière mais à Arlette Laguiller !)
Ce grand écart médiatique a amené la presse à s’interroger sur « qui se cache derrière Arlette ? », avec des commentaires souvent indignes et visant moins les pratiques sectaires (réelles) de LO que toute organisation révolutionnaire en général... Résultat : Arlette a craqué plusieurs fois, mais ses larmes sont devenues dans le grand cirque médiatique un atout électoral supplémentaire !
Mais que ces larmes ne cachent pas ce qui est en cause sur le fond : ce qui pose de plus en plus de problèmes et éloigne beaucoup d’équipes militantes du vote Arlette, c’est l’incapacité de LO à comprendre le mouvement antimodialisation capitaliste (même si Arlette, interpellée systématiquement à ce sujet, est obligée aujourd’hui de déclarer pour la façade que les jeunes qui manifestent à Gênes ou à Barcelone luttent contre l’impérialisme), et c’est l’absence de toute capacité d’initiative de solidarité internationale : dans le meilleur des cas, LO vient aux manifestations unitaires, mais sans s’associer à leur préparation. Et donc, la vraie question qui se pose pour LO (apparemment traumatisée par le départ récent d’un fort courant vers la LCR), c’est bien celle, fondamentale, de la construction dès aujourd`hui du parti révolutionnaire. Or, alors qu’en début de campagne, Arlette affirmait qu’après les élections, LO se lancerait dans la construction du parti, c’est aujourd’hui un nouveau recul : d’un côté, Arlette affirme qu’il est nécessaire de reconstruire un parti communiste en France, mais d’un autre côté, ces derniers jours, elle condamne ceux qui veulent dès maintenant construire un parti révolutionnaire ouvert !

Olivier Besancenot, 27 ans, facteur, présenté par la Ligue communiste révolutionnaire, 100 % à gauche

Telle est la présentation du candidat de la LCR sur les tracts, les affiches, dans la presse. Espérons que cette précision rassurera ce journal de l’extrême gauche grecque qui voyait dans Arlette la seule à afficher partout sa qualité de communiste : on l’a vu, ce n’est malheureusement pas le cas et LO se fait discrète (précisons en outre qu’un électeur d’Arlette sur 4 vote à droite au deuxième tour...), et les seuls candidats ouvertement communistes sont en fait Robert Hue pour le PCF et Olivier Besancenot pour la LCR !
Il semble, à quelques jours du vote, que le pari de la LCR soit en passe de réussir : puisque LO refusait une campagne unitaire, la LCR décidait donc de présenter, sans illusion sur les scores respectifs d’Arlette et d’Olivier, un jeune travailleur, actif militant des luttes marquantes en France, à savoir antimondialisation, luttes des exclus, défense du service public et des jeunes travailleurs précaires... Avec comme préoccupation affirmée, la construction du parti révolutionnaire internationaliste, dont la LCR a toujours affirmé qu ‘il ne serait pas la seule addition du grossissement de la LCR et de LO...
De fait, alors que la LCR n’avait plus présente de candidat présidentiel depuis 1974 (Alain Krivine : 0,40 %, Arlette, dont c’était la première candidature : environ 2,5 %), de multiples obstacles ont du être résolus : campagne de parrainage (il est plus difficile de convaincre un maire, souvent « apolitique », de cautionner un candidat inconnu et communiste révolutionnaire que de signer pour la populaire Arlette !), déficit de notoriété d’Olivier en dehors des équipes militantes... Mais d’ores et déjà, ce qui constitue un grand succès lié aux activités locales de la LCR, c’est la forte participation aux meetings, avec la présence de très nombreux jeunes. Un saut « médiatique » vient d’être franchi avec le meeting parisien du 13 avril (plus de 3 000 participants), ou se sont exprimés devant les caméras de télévision un soldat israélien objecteur de conscience et Elias Sambar, directeur de la Revue d’Études Palestiniennes. Résultat politique : alors que les sondages plafonnaient depuis des semaines à 1 %, ils varient depuis lundi 15 mai entre 2 et 4,5 % !
On peut estimer qu’en dernier lieu, le score sera plutôt de 2 que de 4 %, le « vote utile » jouant aussi à l’extrême gauche, mais d’ores et déjà la figure et le discours d’Olivier Besancenot constituent un signe de « fraîcheur » (Le Monde) dans une campagne bien triste (même Arlette : retraitée, 5 campagnes, un discours sans surprise : un effet d’usure joue aussi contre LO et risque d’éclater quand il s’agira de changer de porte-parole...) Voir le représentant de la LCR expliquer tranquillement en souriant que dans ce monde qu’il faut remettre sur ses pieds, on ne peut qu’être révolutionnaire, ca fait tout simplement beaucoup de bien !
Ce qui apparaît ainsi, c’est que même si bien des thèmes sont communs à LO et à la LCR (slogans de campagne : « Toujours le camp des travailleurs » pour Arlette, « Nos vies valent plus que leurs profits » pour Olivier), une nouvelle génération militante est en train de se greffer autour des générations issues de 1968 et des luttes des années 1970, et cela plutôt au travers de la campagne de la LCR. Ces jeunes se reconnaissent non seulement dans les luttes contre la mondialisation capitaliste (Attac, méprisée par LO, regroupe plus de 30 000 adhérents), mais aussi dans l’action unitaire impulsée systématiquement par la LCR pour lancer des mouvements, que ce soit en ce moment pour la Palestine (samedi 6 avril, entre 30 et 40 000 personnes ont manifeste à Paris contre Bush, Sharon, pour une paix instaurant les droits des Palestiniens... LO, non-signataire de l’appel unitaire, avait envoyé une petite délégation. La LCR, qui avait largement contribué à l’initiative, regroupait plusieurs centaines de manifestants) ou contre le racisme et le fascisme.
On peut aussi penser que le fait de se prononcer concrètement sur des questions sociétales clefs est en ce moment un instrument de conviction politique déterminant, à l’heure des discours insipides et excluant toute notion de conflit. Ainsi, sur la question de créer des centres fermés pour les jeunes délinquants, seuls 2 candidats se sont fermement prononcés contre le candidat des Verts et celui de la LCR. Sur de telles questions, dont on a signalé qu ‘elles sont malheureusement au centre de la campagne, il ne suffit pas de coller des affiches de propagande générale comme le fait LO (« Le capitalisme, c’est l’insécurité »), il faut aussi se prononcer clairement (Arlette n’a pas voulu répondre pour ou contre les centres d’enfermement des jeunes)... et impulser des mobilisations. Ainsi, un appel unitaire a été lancé par le syndicat FSU des éducateurs sociaux, et de nombreux spécialistes prennent la parole pour dénoncer l’idéologie sécuritaire qui a infecté la campagne électorale (un candidat de droite vient de grimper dans les sondages parce qu’il a giflé un adolescent devant les caméras de télé !).
Alors que se passera-t-il au soir du 21 avril ? Les scores respectifs joueront leur rôle pour pousser à l’unité d’action des révolutionnaires, c’est certain, mais dans tous les cas, ce sont les luttes et surtout les formes de luttes qui seront déterminantes, quel que soit le président élu le 5 mai au 2e tour. En tout cas, il y a beaucoup de travail à accomplir : ainsi, pour les enseignants, en théorie bien informés, le candidat de l’antimondialisation, ce n’est pas Olivier Besancenot mais celui des Verts, dont la pitoyable participation au gouvernement Jospin s’achève, pour couronner leur échec, sur la peine d’emprisonnement de José Bové ! On le voit : il reste beaucoup de chemin à accomplir, et souhaitons que LO et la LCR soient donc condamnés à s’entendre !