Cette année, on ne parle pas de « rentrée sociale » en France... puisqu’il n’y a pas eu de sortie : les travailleurs précaires du spectacle ont manifesté avec détermination pendant tout l’été, et le symbole de la combativité inentamée a culminé avec le rassemblement d’au moins 250 000 personnes en août au Larzac contre la mondialisation libérale ! Depuis le printemps, les mobilisations s’enchaînent, avec comme seul intermède la présente période : les enseignants, qui ont été à la pointe de la lutte contre la réforme réactionnaire du droit à la retraite, ne se sont pas remis en grève dès la première semaine de septembre, contrairement à ce qu’annonçait (avec effet de terreur !) la presse. En effet, attaqués financièrement (on leur a déjà enlevé pour certains un tiers de leur salaire du mois d’août) pour fait de grève, ils veulent être sûrs pour relancer la grève que les autres travailleurs du public et du privé suivront massivement. Leur mobilisation s’est en tout cas vérifiée dans les deux premières semaines par les milliers d’assemblées générales unitaires tenues dans les établissements scolaires.
Dans cette situation d’intenses mobilisations et de prise de conscience massive du fait que toutes les luttes actuelles combattent la même logique qui est celle du patronat français (et de son président, le baron Ernest Seillère de Laborde, tout un programme dans son aristocratique nom !) et du libéralisme européen, une interrogation grandit, caricaturée parfois par José Bové : les organisations politiques ont-elles des réponses à la hauteur des enjeux ?
Il est clair qu’en ce début septembre, la situation politique en France peut être schématisée ainsi :
- la droite réactionnaire, qui ne fait qu’amplifier les attaques antiouvrières du gouvernement de la « gauche plurielle », vient de faire la preuve de sa totale incompétence gestionnaire, avec l’absence totale de réaction du gouvernement lors de la canicule du mois d’août qui a causé la mort d’au moins 15 000 personnes, ce qui dans un système de démocratie même bourgeoise devrait s’accompagner de la démission du gouvernement. Or, le fait que cette semaine, le premier ministre Raffarin ne soit plus crédité que de 39 % d’avis positifs ne fait que rendre cette droite encore plus agressive.
- De son côté, le Parti Socialiste, loin d’élaborer une critique de sa politique gouvernementale, commence désormais à se préparer à retourner au gouvernement, en espérant que dans quatre ans, le réflexe anti-droite suffira. Son alignement de fait sur la logique libérale (sur la question des retraites, il a protesté contre la droite... mais défendait à peu près les mêmes propositions !) le met en contradiction avec ses déclarations proclamant qu’il est d’accord avec la lutte des altermondialistes, et de grosses tensions continuent à agiter le PS, d’autant que ses anciens alliés sont dans une situation schizophrénique : les Verts (et dans la pratique, le Parti Communiste) expliquent qu’il n’y a pas de solution politique à Raffarin sans le PS, hégémonique dans la gauche réformiste, mais que le programme du PS n’est pas la solution !
- De plus en plus, les fascistes de Le Pen et sa famille peuvent se permettre de ne pas multiplier les apparitions « musclées » : il leur suffit d’attendre le pourrissement de la situation (en continuant à mener des campagnes anti-immigrées), et Le Pen espère bien devenir en 2004 le président du Conseil Régional de Provence Côte d’azur... Le danger est plus que jamais présent.
- S’il y a quelque chose de nouveau en France, c’est bien le lien étroit qui relie le discours politique de la gauche révolutionnaire, en particulier avec Olivier Besancenot, le jeune facteur porte parole de la LCR, aux luttes de ces derniers mois. Surtout si on le relie aux luttes anti-mondialisation libérale à travers l’Europe, au discours et à la construction de la Gauche Anticapitaliste Européenne. Pour la première fois en France, la possibilité de développement d’un pôle de gauche anticapitaliste existe, et cette perspective inquiète manifestement la bourgeoisie, que ce soit par les voix des dirigeants de droite hurlant contre les « extrémistes », les « ennemis de la démocratie » (on croit rêver quand on voit à l’œuvre Raffarin et ses acolythes !) ou par celle du PS, visiblement très inquiet du large intérêt populaire pour cette gauche « 100% à gauche ». Il ne se passe pas un jour sans déclaration contre le danger ou l’illusion de cette gauche, visiblement symbolisée par la LCR. De fait, la LCR a un rôle clé dans cette situation, et les élections de 2004 (régionales et européennes) sont une échéance très importante. Or, des choix électoraux difficiles sont à opérer, avec des conséquences politiques divergentes : soit la LCR se présente aux 2 élections avec Lutte Ouvrière, qui impose l’exclusivité d’une telle alliance. Soit la LCR, dans la logique de son ouverture à des regroupements locaux (rarement nationaux) de gauche radicale, rallie ces secteurs à des listes aux élections régionales... ce que refuse Lutte Ouvrière ! Cette deuxième hypothèse est compliquée par le fait que les militants de la gauche radicale travaillent parfois dans des regroupements au sein desquels on trouve... des représentants du Parti Socialiste à la recherche d’un certificat de radicalité ! Ce qui est le cas du regroupement le plus connu, le groupe dit Ramullaud !
Dans cette situation délicate, la direction de la LCR propose l’orientation de construire une grande force de gauche radicale en présentant pour les élections de 2004 des listes communes de LO et LCR, les deux seules organisations de « vraie » gauche existant nationalement et présentes dans les récentes mobilisations. Sur cette question, qui sera discutée lors du congrès de la LCR en novembre, nous reviendrons plus en détail. Ce qui est sûr, c’est que sur le terrain politique, il existe un retard considérable en ce qui concerne l’élaboration d’une réponse politique de masse, donc crédible, aux interrogations et aux espoirs des immenses mobilisations sociales. Une réponse doit être élaborée d’urgence, elle ne sera peut-être pas parfaite !