Entretien

« Gavez-vous ! »

, par CHAIBI Leïla, COTTIN-MARX Simon

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En ces temps de crise économique, les difficultés que connaissent actuellement les ménages français pourraient aller croissantes. Logement, transport, alimentation... Au quotidien, le poids des dépenses obligatoires semblent en effet devenir trop lourd pour des consommateurs sans cesse sollicités. Face à ce constat, des militants associatifs, syndicalistes et de « simples citoyens » se sont rassemblés pour défendre leur pouvoir d’achat et exiger notamment de la grande distribution qu’elle revoit ses prix. Réunis au sein du collectif L’Appel et la Pioche, le comité des précaires du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), Leila Chaibi et Simon Cottin-Marx font partie de ceux-là. Rencontre avec ces « Nouveaux Précaires Affamés ».

  • Lemagazine.info : Pourquoi et comment est né le collectif L’Appel et la Pioche ?

Leïla Chaibi : Il y a un peu plus d’un an, avec des membres de Génération Précaire, de la CGT-Pizza Hut et quelques universitaires, nous avons entendu l’appel d’Olivier Besancenot pour la création du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et nous avons décidé d’y adhérer en créant un collectif un peu original. L’idée du collectif est de mener une nouvelle lutte contre la précarité en sortant des cadres traditionnels de mobilisation (manifestations, tracts sur les marchés, etc.) et en sortant des vieilles querelles idéologiques. C’est pour cela d’ailleurs que nous avons préféré opter pour L’Appel et la Pioche plutôt que pour la faucille et la marteau...

© Photo : Anthony Laurent/Le Magazine.info

En septembre dernier, le pouvoir d’achat, la baisse des salaires et le niveau de vie des Français faisaient l’actualité. Nous avons donc eu envie de parler de ces problèmes à notre manière, en organisant, à la fin de chaque mois, des pique-niques dans les supermarchés, pour dénoncer notamment les marges de la grande distribution. Nous voudrions maintenant que nos actions se répètent pour que les gens puissent se les approprier un peu partout en France, comme cela a déjà été le cas à Lyon et à Créteil par exemple.

  • Lemagazine.info : Quelles sont justement les personnes qui participent à vos actions ?

Leïla Chaibi : La plupart des personnes qui participent à nos pique-niques sont des chômeurs, des travailleurs de la restauration rapide, des chercheurs... Tous ont pour point commun d’avoir une vie particulièrement instable.

Simon Cottin-Marx : En cela, il est vrai, nous ne nous distinguons pas franchement d’autres collectifs actuels, comme Génération Précaire ou Jeudi Noir. Mais au sein du NPA, notre particularité, par rapport aux autres comités du parti qui se montent sur une base territoriale ou sur les lieux de travail, est de nous organiser sur une thématique particulière : la lutte pour le pouvoir d’achat, qui est une forme de domination, comme le travail salarié, puisqu’il y a les privilégiés et les autres.

  • Lemagazine.info : Comment s’organisent vos pique-niques ?

Leïla Chaibi : En général, nous visons l’une des trois plus grandes chaînes de supermarchés — Leclerc, Auchan ou Carrefour. Concrètement, nous donnons rendez-vous aux gens par SMS le matin même, pour éviter d’être accueillis par les vigils. Puis peu avant midi, nous commençons à faire nos courses : nous prenons des produits de consommation courante, des fruits, des légumes — il faut en manger cinq par jour en plus... —, une nappe, des gobelets, un lecteur CD, des piles, etc. L’idéal est de disposer d’un espace jardin avec des meubles sur lesquels nous pouvons manger. Au signal, nous déballons tout en disant : « C’est la redistribution de la grande distribution ! Les supermarchés se gavent, gavez-vous ! » Et nous mangeons tous ensemble sur l’air des Cornichons de Nino Ferrer.

Simon Cottin-Marx : Nous demandons aussi à voir les responsables. Mais pour l’instant cela n’a jamais abouti. À Lyon, par exemple, j’ai eu le responsable du supermarché au téléphone mais il n’a pas voulu discuter avec nous.

  • Lemagazine.info : À Créteil, les journalistes présents sur place ont été considérés comme vos « complices » par les forces de l’ordre. Quel est votre sentiment à cet égard ?

Leïla Chaibi : Pour nous, les journalistes nous servent davantage de gardes du corps, vis-à-vis des agents de sécurité qui n’osent pas intervenir quand ils sont là, que de complices.

Simon Cottin-Marx : Les journalistes se font même plus agresser que nous ! Que ce soient des agressions verbales ou physiques, elles sont quelque fois d’abord perpétrées contre eux. C’est vraiment étonnant. À Lyon, un journaliste s’est fait traîné et tabassé par les vigils alors que nous étions à côté en train de distribuer la nourriture. Les responsables des grandes surfaces essaient de nous décrédibiliser médiatiquement alors que nous défendons une position politique. Finalement, le plus important ne serait pas de remettre en cause la propriété privée mais seulement de le montrer.

  • Lemagazine.info : Quelles sont vos revendications ?

Simon Cottin-Marx : Nous voulons le gel des prix, la taxation et la redistribution des profits de la grande distribution, l’augmentation des salaires de 300 euros — c’est une des revendications classiques du NPA, avec l’exigence qu’aucun salaire ne soit inférieur à 1 500 euros —, la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, qui est l’impôt le plus injuste parce qu’il touche, sans distinction, aussi bien les riches que les pauvres, et la mise en place d’une consommation intelligente.

  • Lemagazine.info : Que signifie, pour vous, l’anticapitalisme ?

Leïla Chaibi : C’est construire un système qui soit basé sur une logique complétement différente que celle que nous dénonçons, dans lequel il n’y a pas une minorité de personnes qui s’enrichissent sur le dos de la majorité. Nous voulons une véritable société démocratique, solidaire et écologique. Ce qui est impossible en tout cas, c’est d’aménager le système actuel, de lui donner un visage humain. Ce que le Parti Socialiste essaie pourtant de faire depuis les années 1980. Or, leur stratégie a clairement échoué. Avec la crise actuelle, l’anticapitalisme n’a jamais été autant d’actualité.

Simon Cottin-Marx : L’anticapitalisme, c’est sortir du système des marchés qui crée la concurrence entre les individus et qui fait que des personnes sont dominantes et d’autres dominées, les premières s’enrichissant en exploitant les secondes. Être anticapitaliste, c’est aussi cela : vouloir supprimer l’exploitation et l’aliénation, pour reprendre les termes de Karl Marx. Aujourd’hui, nous sentons bien qu’il y a un ras-le-bol général.

P.-S.

Propos recueillis par Anthony Laurent.

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