« Il y a une révolution permanente, ininterrompue, dans la tête de millions de personnes » Entretien avec Luis Zamora

, par ROMERO Aldo Andrés, ZAMORA Luis

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Luis Zamora est un des deux députés de la gauche radicale élus en octobre 2001 et aussi l’une des rares personnalités politiques argentines à qui ne s’adresse pas le mot d’ordre « Qu’ils s’en aillent tous ! », repris massivement depuis décembre 2001. Très populaire — les sondages réalisés lorsqu’il était question d’une élection présidentielle anticipée lui octroyaient jusqu’à 20 % des suffrages — Luis Zamora avait été un des dirigeants du MAS (Mouvement vers le Socialisme), principale organisation d’extrême gauche argentine à la fin des années 1980, fondée par Nahuel Moreno, et fut alors élu député. Après l’implosion du MAS, il resta en dehors des principales organisations qui en ont été issues et fonda Autodétermination et Liberté, un réseau militant. L’entretien que nous reproduisons ici a été réalisé à Buenos Aires, le 22 mars 2002, par Aldo Andrés Romero, qui fut également dirigeant du MAS historique, pour la revue Herramienta (n° 19, 2002). Inprecor a publié d’autres points de vue de la gauche argentine dans le n° 466/467.

  • Deux mois après ce qu’on a appelé l’Argentinazo, comment vois-tu la situation dans le pays, ou, plus précisément, les confrontations qui sont en cours ?

Premièrement, ce qui a débuté, ou ce qui est apparu à la surface en décembre, continue à s’affirmer comme un événement inédit. Inédit, car le processus des assemblées, de débats et d’action collective, dure déjà depuis deux mois ; c’est cela qui doit être souligné et repensé.

Le régime politique – et non le seul gouvernement – continue à s’affaiblir, comme en témoignent les cacerolazos [1] contre la Cour suprême, la série d’incidents dont ont été victimes les politiciens insultés et rejetés dans les rues, accusés... Un autre élément c’est l’exacerbation des ruptures voire des affrontements au sein même de la classe dominante, qui viennent de loin mais qui sont apparus très clairement au cours des deux derniers mois. Mais le phénomène le plus important — sur le plan de la conscience, de la subjectivité collective, peu importe comment nous allons l’appeler — se passe « dans les têtes ». Je ne veux pas l’opposer à l’action qui vient d’avoir lieu avec les mobilisations contre les deux gouvernements, mais souligner qu’on voit une révolution permanente, ininterrompue, dans la tête de millions de personnes.

  • Une des revendications des manifestants est : « Qu’ils s’en aillent tous, qu’il n’en reste pas un seul ! ». On comprend que les politiciens s’indignent et considèrent cette revendi’cation comme subversive, mais on a aussi entendu protester les tenants du « progressisme modéré », qui disent qu’une telle revendication peut être récupérée par les tenants de l’autoritarisme...

« Qu’ils s’en aillent tous ! » n’est pas une expression circonstancielle, c’est le cri de la rue qui se chante avec le plus de ferveur, à propos duquel il n’y a aucune discussion dans les cacerolazos. C’est un cri et un mot d’ordre qui unifie. Je crois qu’il s’agit d’un mot d’ordre très stimulant... Une camarade, dans une des marches, est venue en disant : « Duhalde est un mafioso, c’est le pire que nous ayons eu. Qui le soutient ? », puis elle a poursuivi : « Le pire, c’est qu’il ne tiendra pas un mois ». « Pourquoi c’est le pire ? — ai-je questionné — « Que pourrait-on attendre de bien du maintien de Duhalde ? » Et elle, complètement désarçonnée dans sa réflexion : « Bien, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je l’ai dit car... Et après Duhalde, quoi ? » En fait les travailleurs, les jeunes, les gens qui se mobilisent se heurtent à cette question. Qu’allons nous faire alors ? Allons-nous déléguer, trouverons-nous d’autres, des meilleurs, des honnêtes et alors quoi ? Ou bien mettons-nous en place un mécanisme de démocratie plus directe, prendrons-nous les problèmes entre nos mains, déciderons-nous ? Les soit-disant progressistes ont, en fait, peur de l’autodétermination et tirent la sonnette d’alarme sur l’autoritarisme qui pourrait en sortir, d’autre part, ceux du gouvernement, les institutions et certains médias mènent un combat pour que la population ne puisse décider, et alors tout cela conduit à l’idée : « Soyons prudents », « Ne renversons pas Duhalde tant qu’on n’a pas d’alternative », « Que tous s’en aillent, non, peut-être y en a-t-il un qui sait quoi faire ?... ce n’est qu’une expression »... Ce sont les arguments de ceux qui défendent les institutions, je crois qu’il est bon de les discuter et les assemblées en discutent. L’incertitude est un argument qui peut conduire à défendre le gouvernement apparaissant comme l’unique certitude, c’est également l’argument qui trouve des appuis dans d’autres secteurs, au sein dudit centre-gauche. Mais en même temps l’incertitude est un terrain favorable pour construire quelque chose de nouveau.

  • On oppose aux gens de manière systématique la formule constitutionnelle : « Le peuple seul délibère et gouverne au travers de ses représentants ». Les mêmes qui avaient fermé les yeux lorsque les militaires violaient la Constitution ne peuvent admettre qu’aujourd’hui les assemblées de quartiers, les piqueteros [2] ou les chômeurs remettent en cause les critères classiques de la représentation. Mais j’ai l’impression que ces expressions incommodent aussi une partie de la gauche, qui ainsi ne peut trouver comment formuler « la question du pouvoir », sans entrer ici dans la débat si à un moment une telle formulation pourrait s’avérer utile. Qu’en penses-tu ?

On observe cela de la part d’une certaine gauche, car à mon avis, elle fait partie du système de la représentation. Elle est la représentation et même elle aspire à apparaître comme « les meilleurs représentants ». Elle a la conviction que la représentation doit exister et elle ne valorise pas le rôle fondamental de la population mobilisée et du peuple travailleur en lutte mais au contraire celui de la représentation. D’autres craignent que le peuple puisse s’autodéterminer, car cela pourrait aussi vouloir dire qu’il met en question leurs propres programmes. Ils ne sont pas disposés à permettre au peuple de s’autodéterminer, seulement à se reconnaître dans leur programme... Que se passera-t-il après le vide du pouvoir ? Qui remplira ce vide ? Bien, nous pourrions y réfléchir dans une espèce de parlement, même si nous nous trouvons une semaine sans gouvernement... que les assemblées de délégués rotatifs votent, explorent les chemins et qu’on institutionnalise autrement. Le mot d’ordre précis n’a pas tellement d’importance en ce moment — nous n’avons pas besoin d’une formule préétablie du gouvernement qui occupera ce vide — ce qui importe est de suivre la pratique des assemblées et d’y mettre ces idées en débat.

C’est un processus passionnant car il peut conduire à ce qu’au final on trouve quelque chose de différent, de nouveau, de révolutionnaire. Pourquoi se satisfaire du minimum en ce moment ? Je ne partage pas la caractérisation de certaines organisations selon lesquelles « le peuple est en situation de prendre le pouvoir et que, s’il ne le fait pas, c’est parce qu’il n’a pas de direction ». Je crois que cela ne correspond pas à la réalité. Mais il me paraît évident qu’il y a un processus très riche et révolutionnaire. « Révolutionnaire » cela veut dire qu’un gouvernement est renversé et qu’immédiatement c’est au tour du suivant ; « révolutionnaire » c’est ce qui se passe dans les têtes et dans l’action au cours de ces semaines : nous devons impulser les nouvelles ouvertures qui, si elles se développent, peuvent nous permettre d’aller beaucoup plus loin que lors des nombreuses tentatives du XXème siècle. Nous pouvons avancer avec des méthodes qui élaborent un pouvoir, une culture et des pratiques d’en bas, au lieu de tenter de transformer la société par en haut.

Mais cela implique d’affronter au sein même de la gauche les problèmes du dogmatisme, du sectarisme, du substitutisme... Il y a quelques jours j’ai écouté un dirigeant très important d’une des organisations de la gauche « traditionnelle » disant que les assemblées finiront par se diluer et que ce qui compte c’est de les canaliser dans des partis : pour lui l’important, c’est le parti et non l’organisation et la construction du pouvoir du peuple... Il est significatif qu’un dirigeant de la gauche ne se rende pas compte que ce serait un recul majeur si les assemblées se terminaient et se dissolvaient... La mobilisation et la créativité déployées au cours de ces deux mois sont imposantes mais nous devons avertir que la force d’en bas, en même temps qu’elle affronte les voyous de Duhalde et de la bureaucratie syndicale [3], est déjà en compétition avec d’autres initiatives, de la CTA [4] ou du FRENAPO [5], qui cherchent à se repositionner et faire face aux difficultés inspirées par le sectarisme et la culture d’appareil des organisations de la gauche.

  • Les mesures prises par le gouvernement semblent loin d’améliorer la situation. La « nouvelle alliance productive » proclamée par Duhalde existe-t-elle réellement ?

Je crois qu’elle n’existe pas en réalité... À la différence de la décennie menemiste (du nom de Menem, ex-président de la République), lorsqu’il y avait un plan qui satisfaisait tous les secteurs de la grande bourgeoisie et l’impérialisme, aujourd’hui il n’y a pas de tel plan. Avant le FMI disait : « Voici le plan, appliquez le et nous allons vous appuyer ». Aujourd’hui il dit : « Présentez un plan et nous allons discuter ». Apparemment le FMI n’a pas de plans pour des pays comme l’Argentine. Avant il pouvait dire : « Privatisez, déréglementez, ouvrez l’économie... » Aujourd’hui il ne peut plus le dire, car ce serait ridicule : il n’y a plus rien à privatiser, il est impossible de déréglementer plus... il ne peut qu’exiger des ajustements pour payer la dette...

Duhalde est sous le feu des secteurs financiers, des entreprises privatisées... et tente de s’appuyer sur les secteurs qu’il nomme « productifs », disant qu’ils seront le moteur du développement du pays. Mais, premièrement, ces secteurs « productifs » n’existent pas en tant que tels et n’ont pas pour objectif le développement de l’Argentine. Deuxièmement, ce sont les secteurs étrangers ou transnationaux qui prédominent, ils ne sont pas intéressés par le développement de l’Argentine mais par sa mise à sac, si ce n’est par la spéculation ou le rôle d’intermédiaires parasitaires, à travers la réalisation de superprofits qui finissent obligatoirement à l’étranger. Et de toute façon Duhalde ne s’appuie par sur de tels groupes pour affronter le secteur financier, mais pour négocier et il est difficile de s’appuyer sur les transnationales pour exercer un chantage sur d’autres multinationales. De plus, Duhalde ne remet pas en question ce que l’impérialisme lui dicte à travers le FMI ou d’autres organismes financiers internationaux. Il négocie avec les banques, les grandes entreprises, les multinationales, l’impérialisme... Il cède un peu à chacun mais ne peut satisfaire personne. J’écarte la possibilité qu’il ait le projet de s’appuyer sur un quelconque secteur productif pour affronter les secteurs financiers et certainement pas l’impérialisme.

C’est ce que les derniers mois ont démontré. D’autre part, les secteurs populaires non seulement ne l’appuient pas mais se mobilisent contre lui et affaiblissent encore plus son pouvoir. Il n’a aucune autorité, ce qui est à nouveau apparu clairement lors de la discussion avec les pétroliers. Lors d’un programme télévisé Duhalde a dit : « Je ne tolérerai pas une augmentation du prix des combustibles » et immédiatement le représentant local de Esso a répondu : « C’est impossible de ne pas les augmenter ». Peu après Duhalde déclarait : « Bon... l’augmentation des prix n’a pas été si importante, c’est dans les limites du raisonnable... » Il en va ainsi pour tout.

  • Quelle est la portée de la « concertation » impulsée par l’Église et par l’ONU ?

La « concertation » est passée totalement inaperçue aux yeux de la population. La dépréciation des institutions est telle que pour sauver le régime politique il a fallu chercher l’Église et les Nations Unies pour même pouvoir provoquer cette concertation. Néanmoins le peuple va dans une autre direction. Il y a un secteur qui participe aux actions contre le gouvernement et contre les institutions, il n’est peut-être pas majoritaire mais le reste qui ne participe pas activement, l’appuie, le regarde avec sympathie, se sent solidaire... On remet en cause les banques, on dénonce les privatisations qui ont détruit l’Argentine et il n’y a pas de secteurs importants de la population pour remettre en cause le discours de ceux qui se mobilisent. Le vendredi, sur la Place de Mai, ils étaient seulement « quelques milliers » et il aurait été facile de les réprimer. Mais ces « quelques milliers » étaient accompagnés par la sympathie de plusieurs millions.

Je le remarque par contraste avec la concertation : elle semble disparue, elle ne fait pas partie des conversations, dans les assemblées ce n’est pas un sujet de débat. Par contre c’est une scène où se manifestent les divisions et les discussion des secteurs de la classe dominante, qui y présentent leurs réclamations et cherchent à accaparer la meilleure part. L’Église elle-même le dit : « Ils agissent avec égoïsme ». Je crois que tant l’Église (et je parle ici en particulier de la hiérarchie ecclésiastique) que l’ONU sont des institutions peu prestigieuses... Lorsque la population crie : « Qu’ils s’en aillent tous ! », l’Église essaie de les protéger des cacerolazos avec une opération de sauvetage. Notons que l’Église avait déjà tenté de sauver De la Rua, avec une concertation venue tardivement et c’est sans doute pourquoi l’idée même de la concertation est aujourd’hui dépréciée dans l’imaginaire collectif. Évidemment, lorsqu’ils nous invitent nous n’y allons pas.

  • Dans les jours qui ont précédé l’explosion des 19 et 20 décembre (2001) la CTA avait appelé à un référendum populaire (Consulta popular) qui avait eu une grande répercussion et dans la chaleur de ce processus s’est formé le FRENAPO, qui est maintenant entré dans la concertation. Qu’en penses-tu ?

J’ai voté à la Consulta Popular, mais il me semble que ce mécanisme arrivait déjà en retard sur le processus : il avait été planifié un an et demi plus tôt et ne serait-ce que pour cette raison chronologique il était évident qu’il s’était embourbé dans la routine bureaucratique, qu’il ne pouvait correspondre à la réalité active qui allait se développer. Cela dit, la Consulta a eu des répercussions, elle fut une invitation à participer, elle soulevait la question du chômage et beaucoup de gens, pour diverses raisons, ont été voter... J’ai voté de toute façon de manière critique car après la Consulta les trois millions qui y prirent part furent convoqués en Congrès pour être pris en main. Et en réalité c’est ce qu’en quelques jours la mobilisation a empêché. Je crois que le FRENAPO – et évidemment la CTA – ont pris un coup de vieux dans les événements des 19 et 20 décembre et dans le processus immédiat. Ils se sont dépréciés, ont été mis en question, les délégués de la CTA que nous avons rencontrés sur la Place de Mai, sous les gaz, étaient indignés par l’ordre qu’ils avaient reçu de se retirer et tout cela a généré des débats.

Face à un processus si important et remettant en cause, en un certain sens, toutes les institutions et tous les appareils, certains se sont trouvés en dehors alors que d’autres étaient devenus des cibles... On assiste de toute façon à une tentative de ces forces de se remettre dans le bain et je ne sous-estime pas leurs capacités. Cette semaine, pour la première fois depuis deux mois, il y eu des actions — dans la foulée des cacerolazos et des piqueteros — convoquées par des organisations qui ne sont pas dans les assemblées, par la CTA et par le Courant classiste et combatif (CCC), qui se sont présentés dans les médias comme une référence, ce que jusqu’à ce moment ils n’avaient pas pu faire...

  • Dimanche dernier (17 février) dans l’assemblée inter-quartiers du Parque Centenario, a été lu un appel pour préparer le rejet du 24 mars et tous furent d’accord... mais quand l’information fut donnée que la réunion se tiendrait dans le local de la CTA les sifflets ont fusé... Mais il est clair que la CTA est réapparue et D’Elia a fait des déclarations très maccarthystes pour empêcher le Bloque Nacional Piquetero [6] d’apparaître comme un référent alternatif...

Ils disposent d’un appareil, ils peuvent montrer une certaine capacité de mobilisation et ils tentent d’apparaître comme partie prenante du processus assembléïste sans l’affronter directement... Par contre, je crois qu’ils ont choisi la confrontation avec le Bloque Nacional Piquetero, car en son sein on voit une très forte présence des structures de la gauche, et que les manœuvres d’appareils y conditionnent les assemblées, la démocratie directe, la mobilisation et la participation... C’est un mouvement confus : il a été à l’Assemblée piquetera du samedi (16 février, sur la Place de Mai), mais ce ne fut pas une assemblée, ce fut une démonstration. De nombreux dirigeants ont parlé, de nombreuses organisations de gauche qui tiennent leur propre bloc de piqueteros, dont certains ne sont que des sigles, d’autres ont plus de contenu... Mais un voisin, qui voyait avec sympathie que finalement les assemblées de quartiers se lient avec les piqueteros, m’a dit : « J’ai la sensation qu’il y a ici une bagarre pour notre direction qui ne nous prend pas en compte », se référant à la bagarre entre D’Elia et ses piqueteros d’un côté et les piqueteros du Bloque de l’autre... Bien sûr, il y a des divergences profondes entre ceux qui veulent affronter Duhalde et ceux qui ne le veulent pas, mais les manœuvres d’appareils sèment plus de confusions que ceux qui veulent lutter contre le gouvernement et ceux qui veulent négocier avec lui...

  • Le dimanche (17 février), la seconde partie du plénum tenu dans le Théâtre Coliseo, fut une journée intéressante. Ce fut une assemblée très préparée par les organisateurs : des accords avaient été passés sur l’espace attribué à chaque organisation, sur les drapeaux et les pancartes, sur la manière de voter... Mais d’autre part, ce qui fut plus important ce fut une pression authentique en faveur de l’unité d’action de la part des bases de chacun des groupements. On voyait nombre de personnes noter les interventions et les propositions, ce qui témoignait de leur volonté de disposer de leurs propres registres... J’ai perçu une pression très forte dans les interventions, dans l’attitude des délégués et du public, en faveur de l’unité et de la mobilisation et une ferme condamnation des directions bureaucratiques. Le débat porta aussi sur le refus de la division imposée par D’Elia et par le CCC et il y eut des interventions très fortes et très applaudies demandant aux organisations de retirer les banderoles partidaires, car elles affaiblissaient le mouvement. Les gens ont opposé avec force leurs conditions que les organisations avaient jusqu’à un certain point acceptées... mais au moment de voter les bonnes manières ont disparu et ce qui avait été précédemment décidé entre dirigeants et en dehors de l’assemblée a pris le dessus.

C’est que ce ne sont pas seulement les organisations politiques de la gauche traditionnelle qui peuvent être un obstacle pour le développement du processus assembléïste et de l’autodétermination. Certaines organisations sociales, certaines structures de base, certains dirigeants... peuvent l’être également. Ce qui vient d’en bas a beaucoup de force, mais justement pour cela nombreux sont ceux qui se sentent menacés et qui prétendent le contrôler. C’est une véritable lutte entre ceux qui participent et veulent multiplier la participation et ceux qui participent en prétendant diriger. Il y a des assemblées de quartiers qui se sont affaiblies, certaines se sont divisées, bien des voisins se sont éloignés... Dans d’autres, le poids assembléïste s’est imposé assurant la participation de tous sur un pied d’égalité, sans qu’aucun parti ne dirige parce qu’il sait présenter des motions ou imposer ses consignes. Ces contradictions existent également au sein du mouvement piquetero. Il y a des organisations piqueteros qui semblent avoir un fonctionnement réellement novateur en ce qui concerne leur démocratie interne, les mécanismes de prise de décisions et de propagande ; d’autres qui sont plus traditionnelles et enrégimentées ou fondées sur le charisme de leurs leaders...

  • Le quotidien des Argentins s’est écroulé. La vie de millions de personnes a changé abruptement sous l’impact des mesures gouvernementales, de la paupérisation, etc. Les cacerolazos et toutes sortes de mobilisations en faveur de mesures concrètes face au désastre produit par le capitalisme sont un aspect de cette nouvelle situation. Mais un autre aspect c’est que ce changement brusque ouvre la possibilité – pour la première fois en Argentine – pour des millions de personnes d’entrevoir et de penser la construction d’un monde différent, justement parce que le vieux monde s’est écroulé. En tant que socialistes que pouvons-nous apporter pour ces nouvelles possibilités ?

En ce qui concerne les « programmes d’urgence » je pense que celui auquel travaillent divers économistes de la gauche est intéressant. On y trouve des idées un peu traditionnelles, mais elles font partie de la recherche de réponses aux problèmes les plus élémentaires auxquels est confrontée la population. Quoique il y ait beaucoup à apprendre à ce sujet. Un autre jour la question de la « nationalisation des banques » a été soulevée — personne ne prit la parole. Alors un voisin a mentionné le cas de la Banco Santander qui menace de partir disant qu’elle ne peut supporter les coûts de la pesification [7]. Alors un autre l’interrompit disant : « Que la Banco Santander s’en aille si elle sait où aller. Mais la banque, ses édifices, ses documents et notre argent restent ici ». En quelques mots il a proposé plus que la nationalisation : l’expropriation... et tous les autres qui se taisaient car ils ne comprenaient pas la nationalisation l’ont ovationné. Il est important d’apprendre que le vote des slogans n’a pas de sens, qu’il est important de proposer des moyens qui peuvent être compris... Les moyens qui sont proposés dans les assemblées : « ré-étatisation des entreprises privatisées », « résoudre la question des retraites en mettant fin aux AFPJ [8] », « retenue des profits de REPSOL-YPF [9] », « aucune augmentation des prix » et d’autres encore, ouvrent la voie à un programme d’urgence.

J’insiste beaucoup sur les moyens de mettre en lumière la barbarie du capitalisme — bien qu’évidemment il ne soit pas question de proposer dans une assemblée de « marcher contre le capitalisme » — car il est important que ceux qui se mobilisent aient des repères et c’est un repère bien qu’il ne s’agisse pas d’un moyen dit « d’urgence »... Ainsi je trouve très faibles les organisations de la gauche, quasi électoralistes, qui mettent l’accent sur ce qui pourrait aller un peu mieux... Je crois qu’il est important de parler de la mondialisation, de la guerre, de ce que fait le FMI, du massacre des peuples pauvres, montrer que le capitalisme c’est la barbarie...

  • Il semble possible que le programme d’urgence surgisse de l’intégration des indications théoriques et techniques que peuvent apporter les professionnels et les intellectuels marxistes aux initiatives et aux constructions de ceux qui se mobilisent. Qu’on parvienne à construire un programme d’urgence qui ne soit pas fort de sa seule cohérence logique et théorique abstraite, parce qu’il est en résonance avec une nouvelle logique qu’imposent les revendications et les besoins de la population...

Oui, par exemple le « contrôle » des usagers et des travailleurs correspond à ce que la population exige. On crie : « que tous s’en aillent » mais on construit de nouveaux mécanismes de démocratie directe... J’ai parlé à la télévision du contrôle de la ré-étatisation par les usagers et les employés et l’autre jour les organisations des usagers m’ont appelé pour me demander comment cela pouvait se faire, de même les membres de l’Assemblée de Caballito sont venus pour parler de cette idée, voulant voir comment on pouvait la réaliser... Les mots d’ordre doivent entrer en dialogue avec ce qui se passe dans les assemblées, sinon ils ne valent rien. Celui qui pense qu’il peut apporter quelque chose doit aussi penser qu’il peut apprendre beaucoup.

  • Comment, selon toi, doit s’articuler la stimulation et le développement de toutes les formes d’autodétermination et d’auto-organisation de la population avec l’apport spécifique que, sur le terrain politique ou politico-culturel, peuvent fournir les socialistes ?

Je t’avais raconté ce que nous avions pensé faire : une convocation autour des « cinq points » [10] que nous avions lancés, une convocation pour nous lier, pour accélérer ensemble le processus assembléiste et pour nous développer et apporter avec plus de force ces revendications anticapitalistes, anti-impérialistes, socialistes, pour l’autodétermination et l’horizontalité. Après un temps d’exploration — il serait plus juste de dire d’allers et retours en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement — on a été chaque jour plus enclins à faire une invitation pour une Rencontre, qui nous permette d’échanger les idées sur ce qui se passe dans les assemblées auxquelles nous participons, ou dans les milieux où agissent ceux qui ne sont pas dans les assemblées, parce qu’il vivent dans des lieux où ces dernières ne se sont pas développées ou qu’ils sont engagés dans un autre type d’activité sur leurs lieux de travail, ou dans les barrages de routes et les mouvements de piqueteros, ou dans les régions du pays où la mobilisation est beaucoup plus réduite... discuter de ce qui se passe au sein de ladite classe qui vit de son travail... C’est ce que modestement nous pensons pouvoir faire : lier entre eux les militants qui participent aux actions et qui nous écrivent et appellent pour savoir ce qui se passe en tel lieu ou en tel autre, pour répondre plus collectivement aux questions comme : « Ce processus continue-t-il ou non ? », « Comment défendre les assemblées ? », « Comment stimuler le débat politique qui a lieu dans les assemblées ? », « Comment se lier à d’autres secteurs ? », « Comment aider à renforcer les processus de lutte qui ont lieu et comment les étendre ? »

  • S’agit-il là d’une rencontre dans le seul but de construire Autodétermination et Liberté ou a-t-elle un caractère plus ouvert, à définir au cours même du processus ?

On la convoque autour des cinq points, pour donner une référence, mais nous n’appelons pas à intégrer ni à construire Autodétermination et Liberté. L’idée est de se lier largement — bien qu’il y a une limite organisationnelle : nous nous adressons à ceux qui ne sont pas en train de construire une autre organisation politique —, d’établir des relations... D’écouter et d’apporter nos idées, en un va-et-vient avec ceux qui participent aux organisations sociales, aux groupes ou collectifs locaux, corporatifs ou de quartiers... certains viendrons avec des documents, d’autres viendront avec leurs expériences, et puis... Mais l’idée du point de vue politique est de nous enrichir tous le plus possible, sans voter des caractérisations, ni des politiques, ni des orientations qui iraient au-delà de l’impulsion des cinq points sous la forme que chaque groupe, avec autonomie, considère adéquate de faire. Et de ce point de vue organisationnel nous pensons établir des liens stables, qui ne signifient pas l’intégration à Autodétermination et Liberté ni sa reproduction en divers lieux, mais l’établissement d’un réseau ou d’une sorte d’organisation qui, tout en préservant l’autonomie de ses partie prenantes, serve à l’échange des informations, peut-être à la sortie d’un périodique qui pourrait être vendu dans tout ce réseau, voire de plusieurs, peut-être pour organiser d’autres rencontres périodiques... peut-être pour établir des liens entre les luttes et apprendre d’elles... Lorsque nous avons présenté la rencontre ces jours-ci, on nous a dit : « C’est bien, et ce sera un moment apprécié ! »... Car ce ne sera pas l’apparition d’un individu mais d’un mouvement ou plus exactement ce sera une convocation qui n’a pas pour but de se départager mais de se lier, d’établir des relations...

  • Les « cinq point initiaux » d’Autodétermination et Liberté présentent et laissent explicitement ouvert un ensemble de questions politiques, stratégiques et théoriques auxquelles ce qui se passe dans le pays a donné de l’importance et une grande urgence, cela me paraît évident... D’autre part, en tant que revue, Herramienta est amenée à aborder d’une manière ou d’une autre des questions semblables. Croyez-vous qu’il serait possible et utile de proposer un échange d’opinions plus ou moins systématique à propos de ces 5 points dans les pages de notre revue, d’ouvrir une réflexion à leur sujet, avec vos contributions et celles d’autres ?

Oui, je crois qu’il serait utile de les discuter... Nous avons rencontré des questionnements au sein de la gauche plus « orthodoxe », plus « traditionnelle », comme on pouvait s’y attendre. Mais nous-mêmes nous rendons compte qu’il s’agit de questions en suspens, que nous devons être capables de développer et également de modifier... Pour le moment nous regardons ces questions comme valables et passionnantes, surtout parce qu’elles entrent en syntonie avec le processus en cours, mais sans nul doute il serait utile d’établir un débat formel à leur sujet.

  • Duhalde a dit que s’il n’était pas Président il serait probablement piquetero, mais en même temps il tient un autre discours, systématique : « le pays est submergé par l’anarchie », « nous allons vers la guerre civile », « un bain de sang nous menace », etc. Alfonsin et même le Pape n’ont pas dit autre chose. S’agit-il seulement de mots ou de quelque chose de plus sérieux ?

Il me semble qu’à court terme ce sont des mots, dont le but est de semer la confusion et d’affaiblir le processus de mobilisation, la révolution de la conscience. Mais de toute manière il faut tenir compte des avertissements et envisager d’autres alternatives... Comme je l’ai dit auparavant, l’unique force de Duhalde c’est de convaincre un secteur de la population en répétant « moi ou le chaos ». Il s’agit d’un truc utilisé à de nombreuses occasions par Alfonsin, par Menem... mais aujourd’hui nous sommes dans une situation différente car la bourgeoisie ne dispose d’aucune structure organisée... L’idée que « l’anarchie est insupportable pour toute société » implique aussi des projets qui peuvent rétablir l’ordre à un moment donné ou tout au moins affaiblir ou décourager la mobilisation. Ils ne peuvent répondre aux revendications et pour cela ils découragent, dégoûtent, divisent en envoyant des bandes, ou répriment. Mais la répression n’est pas en ce moment leur politique centrale... Si Duhalde réprimait, il se mettrait tout le monde à dos. D’autre part, je crois que l’Argentine est un pays « exclu » par la mondialisation capitaliste et en ce sens je crois qu’il faut prendre la menace au sérieux. A court terme je ne vois aucun plan « autoritaire », mais nous devons rester en alerte pour le moyen terme... Mais que signifie « le moyen terme » en Argentine ? Nous sommes dans une situation si différente de celle que nous avions vécue il y a seulement deux ans...

  • En réalité toute la situation continentale est radicalement différente et fluide : au Pérou, en Bolivie, au Venezuela... Même le Brésil est une inconnue... Et maintenant la guerre en Colombie : pour l’impérialisme il ne s’agit pas seulement d’une guerre contre les FARC, ce qui est en marche c’est un programme pour tout le continent. Dans ce contexte l’Argentine joue un rôle important, parce que le processus politique peut montrer une voie d’affrontement avec l’impérialisme qui sera effectif et attractif pour les peuples latino-américains...

C’est évident que ce qui se passe en Colombie, si l’impérialisme y marque des points, sera utilisé comme exemple et pourra produire un débat aussi en Argentine. D’autre part, en effet, le processus argentin est différent de ceux du Cône Sud en général et en cela il présente un intérêt particulier pour les peuples latino-américains.

  • Il est significatif que ces questions, réellement centrales, aient été marginalisées par les organisateurs du Forum social mondial [11] de Porto Alegre. Parce que les FARC et l’EZLN n’ont pu y participer et aussi qu’il y eut une décision politique pour que ce qui se passe en Argentine apparaisse le moins possible...

J’ai eu une mauvaise impression du Forum. Les événements officiels ne sont pas sortis de la défense du soi-disant « capitalisme plus humain » et il y a eu des discriminations, comme tu l’as dit. Néanmoins l’expérience des activités « non officielles » et le contact des milliers de groupes et de militants des mouvements dits antimondialisation furent d’une très grande richesse. Cela n’a pas de prix. Naturellement, il est aussi enrichissant d’écouter Chomsky ou même Wallerstein. Ou de participer aux débats avec des militants anticapitalistes comme Chesnais. Tu avais aussi l’opportunité excellente de connaître les actions des Sans Terre... Et il est vrai que si les zapatistes ont été discriminés j’ai également senti qu’au sujet de l’Argentine les opinions étaient contrôlées. Par exemple j’ai été invité à un débat puis décommandé et remplacé par un représentant de l’ARI [12].

  • Pour terminer : avez-vous avancé ou élaboré un peu plus sur l’une des questions les plus complexes – et certainement les plus polémiques –, celle que l’on nomme, en termes généraux, la « question du pouvoir » ?

Je ne sais si nous avons avancé... nous avons discuté sur ce sujet et avons souligné l’importance du contre-pouvoir, ou de l’anti-pouvoir, comme on voudra... Pour prendre un exemple concret, dans de nombreuses assemblées sont apparues des Bourses du travail, des commissions pour résoudre les problèmes du quartier ou les problèmes des habitants du quartier, de cette manière on a eu des expériences très riches... et on commence à voir de manière plus concrète ce qu’est la formation d’éléments de « contre-culture », qui impliquent une pratique solidaire et une lutte contre la fragmentation et l’individualisme, opposée à la culture capitaliste, avec l’énorme force que cela procure à toute action collective. On a pu voir également la construction d’un contre-pouvoir, parce que d’une certaine manière ce qui se discute c’est l’organisation de la société d’une manière différente de celle qu’organise la classe dominante...

Nous savons que cela n’implique nullement que la classe dominante ait été privée du pouvoir, une chose qu’on ne peut ignorer, car elle règle tout en définitive, ce qui crée une tension réelle. Mais cela nous renforce dans l’idée d’explorer le chemin de mettre fin au capitalisme à travers un contre-pouvoir qui sera si grand qu’il abattra le pouvoir capitaliste... Ne pas parier sur un parti de cadres qui, en des circonstances déterminées, lors d’une vague décisive de luttes, s’attaque avec succès au pouvoir de la bourgeoisie, mais construire une contre-culture et un contre-pouvoir d’en bas, renforçant par les processus de lutte en cours un « socialisme par en bas », comme dirait Hal Draper [13]... Je ne peux dire comment cette tension finira par être résolue et je n’écarte pas que cette tension puisse conduire à un moment à la nécessité d’une organisation plus proche de celles que nous avons connues... mais de toute façon le centre de gravité ne peut être la formation d’un parti dirigeant, mais celle de l’autodétermination qui produit le pouvoir et devient insupportable à la classe dominante, en travaillant non pas en vue d’une conjoncture exceptionnelle mais en nous tournant vers une situation insoutenable dans la durée...

Ce que je viens de dire, si général et rempli de points d’interrogations, me semble reprendre certaines idées zapatistes tout en s’en distinguant, car il n’est pas question de faire abstraction du pouvoir de l’État bourgeois, de se limiter aux revendications partielles, spécifiques à un groupe sinistré... En ce qui nous concerne nous mettons en question la société et le monde capitaliste et si nous mettons en avant l’autodétermination c’est pour renverser le monde capitaliste.

On pourrait ajouter que, toujours en laissant de côté les évaluations que nous pourrions faire des points forts et des points faibles de la Révolution russe — par exemple le caractère ultra minoritaire de la classe ouvrière et du Parti bolchevique, seulement circonstanciellement majoritaire dans les soviets —, il semble évident qu’en ce moment historique il y avait des conditions qui ne peuvent se répéter aujourd’hui... Aujourd’hui le pouvoir militaire, économique, culturel et politique de l’impérialisme rend impossible de penser son renversement sans le scier à la base, à la racine, par un peuple qui s’autodétermine pour avancer et s’organiser en désorganisant l’ennemi : c’est le fondement de tout et à partir de là nous devons rester ouverts à tout type de combinaisons du point de vue organisationnel...

  • Nous avons dit que la vie quotidienne a changé en Argentine et que la population peut penser la possibilité d’un autre monde, puis nous nous sommes dépêchés de regarder les répercussions de ce processus dans l’ensemble de l’Amérique latine... Il est nécessaire de penser les problèmes de la transformation de la société d’une manière concrète, et cela implique de penser cette transformation à l’échelle non d’un pays, mais d’une région... ce qui se passe en Argentine met à l’ordre du jour la réflexion et le travail pour une révolution latino-américaine ou au minimum de son Cône Sud... Il est de plus en plus irréel de penser une transformation profonde, révolutionnaire, de l’Argentine si elle n’entre pas en syntonie avec les masses populaires du Brésil, qui sont un facteur décisif en Amérique latine...

J’ai l’impression qu’une grande partie de la gauche, au fur et à mesure qu’elle est devenue de plus en plus électoraliste, s’est également enfermée dans une vision nationaliste... Même les revendications anti-impérialistes, comme le « non-payement de la dette » sont utilisées comme des slogans électoraux, sans être intégrées dans une démarche d’ensemble... On peut voter le non-payement de la dette d’une manière qui la prive de toute force. Surtout quand on en parle dans les mass-médias. J’ai eu un débat avec l’ARI à la Chambre des députés, mais cela aurait pu arriver avec des organisations de la gauche. Mario Cafiero avait mis en question le payement de la dette et le terme extérieur mais il a terminé en disant : « Nous ne sommes pas contre le Fonds [monétaire international], ni avec le Fonds : notre attitude est sans le Fonds... Nous devons vivre avec ce que nous avons ». Et j’ai senti la nécessité de polémiquer, pour expliquer à la population pourquoi de tels discours affaiblissent la lutte... Car la réalité c’est que les pays européens, le G7, tous, tous disent : « Arrangez-vous avec le Fonds » et les gens demandent que faire face à cela : il faut savoir et dire que oui, nous allons vers un affrontement avec le FMI, que nous devons affronter les pays impérialistes, que nous devons affronter le monde globalisé, la barbarie capitaliste...

Et en ce qui concerne de vivre avec ce que nous avons, l’Argentine a des possibilités que d’autres pays n’ont pas, mais ce n’est que transitoire, car les États-Unis ne vont pas accepter que nous vivions notre vie. Ils ne nous dirons pas : « Ah, vous ne nous voulez pas ? Bien, débrouillez vous seuls ». Il y aura une politique d’isolement, de harcèlement et de guerre. Ce dont on parle c’est d’une bataille et c’est pourquoi il faut expliquer le cadre du « non- payement », et ce cadre c’est la lutte contre l’impérialisme et la barbarie du capitalisme globalisé, il faut donc penser comment l’affronter, comment s’unir entre les latino-américains, et en premier lieu convaincre le peuple travailleur qu’il doit assumer cette bataille, avec une politique sérieuse, sans méconnaître ce qui se passe dans le monde, ce qui signifie aussi de savoir qu’en Amérique Latine existent toutes les conditions pour lutter en faveur d’une intégration qui ouvre le chemin opposé au monde dessiné par les États-Unis. C’est un débat essentiel au sein de la gauche et le défi que nous avons en Argentine est si grand qu’il serait magnifique si d’autres militants, dans diverses parties du monde, pouvaient suivre ce processus et l’aider.

Notes

[1De cazerola (casserole), une de ses formes bruyantes, presque festives, de manifestation qui a marqué l’argentinazo depuis décembre 2001.

[2Les piqueteros organisent des barrages de routes pour exiger la satisfaction de leurs revendications ; ce sont en premier lieu des chômeurs et des travailleurs précaires (cf. Inprecor n° 456 de mars 2001). Ce mouvement, composé de nombreuses structures locales, s’est rassemblé à l’échelle nationale en juillet 2001 (cf. Inprecor n° 461/462 d’août-septembre 2001). Certaines de ses composantes sont structurées par la confédération syndicale indépendante CTA et par le Courant classiste et combatif (CCC, initié par les maoïstes du PCR). En février 2002 est apparue une nouvelle structuration – le Bloque Nacional Piquetero – au sein duquel dominent les organisations de la gauche radicale et qui se lie au mouvement des assemblées de quartiers (cf. Inprecor n° 468/469 de mars-avril 2002).

[3Le syndicalisme argentin traditionnel – éclaté entre la CGT et la CGT rebelle – est dominé par la bureaucratie syndicale péroniste. Cette dernière n’hésite pas à utiliser les bandes de voyous pour imposer ses vues aux travailleurs mobilisés.

[4La CTA (Centrale des travailleurs argentins) est la troisième confédération syndicale, plus autonome et plus combative, dont la direction avait pris ses distances avec la tradition péroniste.

[5Le Front national contre la pauvreté (FRENAPO) a été constitué par la CTA, des représentants de divers ordres religieux (catholiques, évangélistes, méthodistes), quelques organisations de défense des droits humains, et des organisations « collatérales » du PC argentin (Association des petits et moyens entrepreneurs, la banque coopérative, la Fédération agraire argentine — la plus petite organisation paysanne). Ce front a organisé la « Consultation populaire pour la sécurité de l’emploi et la formation » en décembre (3 millions de personnes l’ont soutenue). Mais ni la CTA ni le FRENAPO n’ont pris part à la révolte commencée les 19-20 décembre 2001.

[6Cf. Inprecor n° 468/469 de mars-avril 2002.

[7Après l’effondrement financier argentin en décembre 2001 et la rupture forcée avec la dollarisation, le gouvernement Duhalde a eu recours à la dévaluation de la monnaie nationale – le Peso – et à la suppression du dollar américain (par ailleurs disparu du marché car exporté ou thésaurisé) comme monnaie officielle (à égalité avec le Peso), dénommée « pesification ».

[8Les AFPJ sont les caisses de retraites privées, par capitalisation, qui ont remplacé le système public de retraites.

[9L’YPF est le sigle de l’entreprise pétrolière privatisée, acquise par la multinationale espagnole REPSOL.

[10Les cinq « points fondamentaux », autour des quels Autodétermination et Liberté s’est constitué, sont : l’anticapitalisme, l’internationalisme, l’horizontalité, l’autodétermination et les nouvelles formes du socialisme.

[11Dans Inprecor n° 468/469 nous avons publié un dossier présentant différents points de vue sur le second Forum social mondial.

[12ARI (Argentins pour une République des Égaux) est un regroupement politique constitué par des ex-radicaux, des ex-péronistes, des ex-centre-gauche, des sociaux-démocrates. Elisa Carrió, sa principale dirigeante, fonde toute sa politique sur la dénonciation de la corruption et en faveur de la transparence des actes administratifs. Marginale dans l’argentinazo, E. Carrió est bien placée par les sondages en cas d’élection présidentielle anticipée.

[13Théoricien socialiste américain d’origine trotskyste, Hal Draper (1914-1990) a notamment réfléchi aux liens entre les formes d’organisation révolutionnaire et ses rapports avec les mouvements de masses. La revue suisse À l’encontre a commencée à publier (dans son n° 5, 2002) une traductioin française de l’étude de Hal Draper Qu’est-ce que le socialisme-à-partir-d’en-bas ? (http://www.alencontre.org).

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