Accords et marchés régionaux

L’ALENA : une préfiguration de l’OMC

, par TREILLET Stéphanie

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Introduction

La régionalisation en Amérique latine, telle qu’elle s’opère déjà dans le cadre de l’Alena, n’est en rien contradictoire avec la mondialisation libérale et l’extension globale du « libre-échange » à toutes les régions de la planète et dans tous les domaines de l’activité économique et sociale.

En effet, la conception du régionalisme ouvert, à l’œuvre dans la région depuis le milieu des années 80, se démarque des tentatives faites par les gouvernements du sous-continent, au cours des décennies 50 et 60. L’objectif était de constituer des marchés communs, en cohérence avec les stratégies d’industrialisation par substitution des importations (ISI), basées sur l’intervention de l’Etat et orientées vers le marché intérieur.

Ces tentatives (MCCA, Pacte andin entre autres) n’intégraient pas les Etats-Unis. Elles n’avaient pas été lancées à leur initiative. Elles avaient pour but de pallier, par l’extension régionale, l’étroitesse des marchés nationaux, insuffisants pour entraîner la croissance du secteur industriel.

Si elles ont échoué, c’est en partie parce qu’elles ont, par ce moyen, tenté de faire l’économie d’une redistribution des richesses à l’intérieur des sociétés concernées. Les stratégies d’industrialisation par substitution des importations étaient même souvent fondées, comme dans le cas du « miracle brésilien » des années 60, sur une concentration accrue de ces richesses. Par ailleurs les firmes multinationales n’étaient pas absentes des stratégies d’ISI. Contrairement à ce qu’on peut lire encore aujourd’hui dans la littérature du « consensus de Washington », la « fermeture » des économies latino-américaines était toute relative.

Le processus actuel de régionalisme ouvert signifie donc une forme d’alliance des Etats avec le capital transnational, différente de celles qui pouvaient exister auparavant.

Les traités signés aujourd’hui en Amérique latine ne sont pas, à l’exception relative du Mercosur, des tentatives pour mettre en place un marché commun (ce qui supposerait un minimum de politique économique commune). Ils sont des blocs commerciaux fondés avant tout sur des accords de libre-échange, dont le prototype est l’Alena. Cela ne signifie pas pour autant une passivité totale des Etats. Bien au contraire, ils sont très actifs dans ces processus.

On trouve dans le texte de l’Alena, comme dans ses modalités d‘application, les grandes lignes de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). On peut également observer, depuis l’entrée en vigueur de Alena en janvier 1994, quelques mois à peine avant celle de l’OMC dans le cadre des accords de Marrakech (avril 1994), le même type de conséquences économiques et sociales. Enfin, ce qui se prépare dans le cadre du "round du millénaire" à Seattle, à partir de novembre 1999, est en concordance avec les perspectives affirmées d’extension continentale de l’Alena.

La régionalisation actuelle, à quelques exceptions près, se présente en fait comme une des étapes permettant l’achèvement de la mondialisation libérale.

On peut distinguer deux niveaux d’analyse du processus :

  • Une extension géographique progressive du libre-échange à partir d’une zone. Du traité de libre-échange entre les Etats-Unis et le Canada à l’Alena incluant le Mexique, on peut constater la multiplication des traités de libre–échange bilatéraux entre pays et entre zones à l’intérieur du continent (par exemple entre Mexique et le Chili ; la liste est longue) et la perspective relativement proche de la constitution d’une zone latino-américaine de libre-échange (ZLA) sur tout le continent du nord au sud. Cette extension du libre échange n’est cependant pas limitée au contient américain. Ainsi, connaissons-nous « l’accord économique de Concertation politique et de Coopération commerciale entre l’Union européenne et le Mexique ». De son côté, le Canada cherche, via l’OMC, à contrebalancer la dépendance unilatérale par rapport aux Etats-Unis.
  • La modification et l’orientation du fonctionnement interne des économies dans le sens d’un poids plus grand des FMN, du marché et du secteur privé, ainsi que d’une financiarisation accrue.

A cet égard, le processus de régionalisation est également totalement cohérent avec les stratégies d’ajustement structurel mises en œuvre, depuis la décennie 80, dans les pays du Tiers-Monde. Ces stratégies impliquent une orientation des économies vers le marché mondial, le rôle central du secteur privé transnational exportateur, ainsi que des politiques monétaristes et de désinflation compétitive dans les pays industrialisés.

Un même credo

Les textes des deux traités (Alena, OMC) se fondent sur le même credo, jamais démontré, de la supériorité économique et sociale du libre-échange, de la spécialisation fondée sur les avantages comparatifs, et de la suppression de toutes les distorsions et de toutes les entraves à la concurrence.

L’Alena s’inscrit explicitement dans le cadre du GATT. Son préambule affirme vouloir « réduire les distorsions commerciales », mais aussi « renforcer la compétitivité des firmes sur les marchés globaux ». Les mêmes principes y sont explicitement à l’œuvre (traitement national, clause de la nation la plus favorisée, entre autres).

Ouverture commerciale et croissance : un bon ménage ?

En même temps, le credo du lien entre ouverture commerciale et croissance est réaffirmé, sous l’emballage du « développement soutenable », de l’élévation des niveaux de vie, du renforcement des droits des travailleurs, des lois sur l’environnement, des nouvelles opportunités d’emploi... On retrouve la vieille idée du « ruissellement » (“trickle down”) : la croissance du PIB, assimilée au développement, assurera au bout d’un certain temps une élévation du bien-être de toute la population, y compris les plus pauvres, par simple diffusion de ses bienfaits du haut vers le bas de l’échelle des revenus, sur la base uniquement des mécanismes du marché.

En ce qui concerne les pays dits « en développement », l’extension du libre-échange, dans des domaines comme l’agriculture ou l’industrie textile est même censée les favoriser, tout particulièrement dans la mesure où ils pâtissaient des entorses aux règles du GATT que constituaient, de la part des pays industrialisés, les politiques protectionnistes dans ces domaines (subventions agricoles, accord multifibre...).

D’autre part, il faut noter que, si depuis le début des années 90, la rhétorique des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale) a dû intégrer l’évolution de la théorie néoclassique et renoncer au retrait total de l’Etat en matière d’infrastructures, formation... (théories du capital humain, de la croissance endogène, thème de la « gouvernance »), force est de constater qu’on n’en voit guère l’effet concret dans les principes mis en avant par les traités de libre-échange : le marché reste de façon absolue le mécanisme central, sans que ses « défaillances » puissent être ici envisagées.

Les tendances à l’œuvre : le « tout au marché »

Cinq années de mise en œuvre, ainsi que les perspectives d’élargissement évoquées, permettent de noter que l’Alena, comme l’OMC, comporte deux aspects fortement interdépendants : d’une part, la poursuite et l’approfondissement de la libéralisation des échanges de marchandises et, d’autre part, l’extension des mécanismes du marché aux autres domaines de la vie économique et sociale. Dans les deux cas, on observe une tentative pour rendre ces processus irréversibles et faire jouer un effet de seuil, faisant en sorte que l’abolition d’une éventuelle exception ne puisse plus être remise en question.

A. Les échanges de marchandises : approfondissement de la libéralisation.

1. Une libre circulation qui exclut les personnes

La libre circulation, dans le cadre de l’Alena, ne concerne que les marchandises, les services et les capitaux. Elle exclut toute libre circulation des personnes, en l’occurrence l’émigration mexicaine aux Etats-Unis ou au Canada. Les effets du traité sont censés prévenir cette émigration par l’amélioration du niveau de vie de la population mexicaine. On a donc la physionomie d’une mondialisation libérale, accompagnée d’une fermeture accrue des pays ou des régions industrialisées à la libre circulation des personnes en provenance des pays du Tiers-Monde (comme dans les cas de la forteresse de Schengen en Europe).

2. Une forte diminution des tarifs douaniers mexicains

Il faut noter que le Mexique, à l’instar de la plupart des grands pays en développement ayant rompu avec la substitution des importations, avait commencé à abaisser fortement ses tarifs douaniers (de 33,7 % sur les produits manufacturés), dès son adhésion au GATT en 1986, donc bien avant l’entrée en vigueur de l’Alena.

B. Extension aux autres domaines de l’économie

Le round du millénaire de l’OMC, même si l’ordre du jour n’en est pas encore fixé, se caractérise par la perspective d’une extension des principes de la libre concurrence à tous les domaines possibles de la vie économique et sociale (services, dont les transports, et le cas échéant l’eau, l’énergie, la santé, l’éducation, investissements, propriété intellectuelle, normes sanitaires et phytosanitaires...).

Les conséquences en seraient particulièrement dramatiques en Europe, compte tenu d’une présence de l’État dans la régulation plus importante qu’aux Etats-Unis, et de l’existence de services publics quasi inexistants aux USA.

En revanche, un parallélisme est possible avec la rupture entraînée par l’Alena au Mexique, où deux modalités historiques de l’intervention de l’Etat dans l’économie ont été remises en cause avec le traité : l’existence d’un secteur public de l’exploitation des hydrocarbures, et surtout l’existence de l’ejido, c’est-à-dire le secteur agricole communautaire lié à la réforme agraire. La réforme de l’article 27 de la Constitution mexicaine, condition à la signature du traité, a signifié la remise sur le marché de la totalité des terres agricoles. Elle constitue d’ailleurs un des facteurs majeurs du déclenchement de l’insurrection zapatiste dans le Chiapas en janvier 1994).

Modification du fonctionnement de l’économie et de la société

Il en résulte que, davantage qu’une extension du libre-échange, l’Alena, comme l’OMC, signifie clairement une modification en profondeur du fonctionnement des économies, modification qu’avait préparée, dans la plupart des pays du Tiers-monde, la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel dès le milieu des années 80. Une fois passée l’étape immédiate de restauration de la solvabilité de ces pays, à la suite de la crise de la dette, l’étape de long terme a créé les conditions d’une accumulation orientée vers le marché mondial et reposant sur un poids accru du capital transnational. A cet égard, il n’est pas toujours aisé, dans le cas du Mexique, de distinguer les conséquences directes de l’Alena, de celles de la politique économique impulsée par le gouvernement à partir de 1987.

C. Privatisation, orientation vers l’extérieur et augmentation du poids des FMN

  1. On assiste, via les différents accords de l’OMC, à un recul de la marge de manœuvre dont pourrait disposer un gouvernement pour mettre en place une stratégie de développement, toutes les mesures en ce sens étant assimilées à des entraves à la concurrence. En ce sens, ces dispositifs pèsent proportionnellement plus lourdement sur les économies du Tiers-Monde. Les conséquences de l’Alena sur l’économie mexicaine ont préfiguré ces mesures approfondissant les inégalités sociales.

Régime de l’investissement

Le Mexique a initié dès le début des années 90 une libéralisation de son régime d’investissement, la suppression de tout contrôle ayant été finalisée ensuite dans le cadre de l’Alena.

Aujourd’hui, l’accord envisagé sur l’investissement, qui est l’équivalent de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) dans le cadre de l’OMC, prévoit d’assurer la libre entrée des investissements dans un pays, sans que le gouvernement de celui-ci puisse imposer des limitations ou des conditions en fonction de ses besoins et ses priorités de développement.

Ainsi, les discussions internationales autour du Partenariat économique transatlantique (PET), à partir de fin 1998, sous l’impulsion du « Transamerican business dialogue » (TABD) entre les Etats-Unis et l’Union européenne, ont clairement posé comme objectif la réalisation d’une zone de libre-échange transatlantique (TAFTA), bâtie selon les mêmes principes que l’Alena (privatisation, traitement national, procédures de règlements des différents entre Etats, ou entre Etats et firmes à l’avantage de ces dernières, etc.).

Accord de l’OMC sur les subventions gouvernementales

Il prévoit leur suppression totale, hormis quelques exceptions. En font partie celles qui sont couramment pratiquées dans les pays industrialisés et qui ont trait à la recherche-développement, le développement des régions les plus pauvres, l’adoption de technologies respectueuses de l’environnement (sans parler de la question de l’agriculture, pour l’instant en suspens). Mais ce n’est pas le cas du type de subventions qu’on trouve généralement dans les stratégies d’industrialisation des pays du Tiers-Monde : subventions à certaines industries pour favoriser la diversification, la remontée de filières, l’entrée sur de nouveaux marchés, etc.

D. Tendance à l’abaissement des normes (santé, environnement, droit du travail).

Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre dans le cadre de l’Alena et de l’OMC.

1. Rien dans les traités n’impose un alignement sur les normes nationales et internationales les plus élevées (ou sur les conventions internationales), et rien ne pousse à une élévation de celles-ci.

La mise en œuvre de l’Alena a ainsi légalisé aux Etats-Unis des importations de produits alimentaires (par exemple de viande) non conformes aux normes de sécurité alimentaire en vigueur dans le pays, alors même que, contrairement aux promesses, les inspections sanitaires ont tendance à diminuer. On observe donc localement le même processus que celui qui est aujourd’hui mondialement à l’œuvre dans le cadre de l’OMC, avec une mise à l’écart du principe de précaution (voir les sentences de l’Organe de règlement des différents de l’OMC dans les cas du bœuf aux hormones, des OGM, etc.).

Il en est de même des normes environnementales ou du droit du travail. La Déclaration finale de la conférence ministérielle de Singapour les a notamment renvoyées à la compétence de l’OIT, dont les pouvoirs sont faibles. Un tel dispositif n’implique aucune subordination de l’OMC aux conventions de l’OIT.

2. Dans le cadre de l’OMC, comme dans le cadre de Alena, des institutions ont été créées pour désamorcer les critiques et sont officiellement censées servir de garantes pour certains objectifs sociaux ou environnementaux.

Le bilan qu’on peut en tirer est celui d’une absence totale d’efficacité à faire prévaloir ce type d’objectifs face aux exigences de la liberté du commerce, avancées par les FMN.

Ainsi, l’accord latéral concernant la coopération salariale (NAALC – North american agreement on labor cooperation) de l’Alena n’impose pas (comme le revendiquaient les mouvements sociaux de part et d’autre de la frontière) un plancher de règles minimales communes aux trois pays, ni la garantie du droit de libre association et représentation syndicale, mais seulement le respect des législations nationales. De plus, il ne prévoit aucune procédure de sanction.

Parfois, ce type d’institution joue même un rôle qui va dans le sens de celui voulu par les FMN. C’est ainsi que le “Committee on Trade and the Environnement” (CTE) de l’OMC permet souvent d’identifier ce qui, dans les lois ou règlements de protection de l’environnement, devrait être éliminé pour prévenir des conflits commerciaux. Il contribue à prévenir toutes les tentatives qui pourraient se manifester pour renforcer les accords multilatéraux sur l’environnement.

3. La jurisprudence des règlements des différents,aussi bien de l’Alena que de l’OMC, montre que les conventions internationales dans ces domaines sont purement et simplement ignorées et contournées.

D’autre part, les différentes lois nationales de protection de l’environnement, de défense de la sécurité alimentaire ou de la santé publique ont fréquemment, depuis cinq ans, fait l’objet de recours de la part ou à l’instigation des FMN. Cela a été souvent tranché à l’avantage de celles-ci, et cela au nom de la libre concurrence. D’après l’association nord-américaine Public Citizen, sur sept recours se fondant sur l’Alena, six ont impliqué des firmes des Etats-Unis, mettant en cause des mesures de protection de l’environnement au niveau fédéral ou étatique, au Canada ou au Mexique.

Les recours, dans le cadre de l’OMC, obéissent exactement au même schéma : condamnation d’une loi de protection de l’environnement aux Etats-Unis limitant l’importation de pétrole vénézuélien ; mise à l’écart par le Guatemala d’une loi de protection de la santé de l’enfance, limitant les publicités d’aliments pour bébés et mise en cause par une firme de ce secteur ; mise en cause par les firmes pharmaceutiques des Etats-Unis d’une loi sud-africaine organisant la distribution de médicaments à bas prix, etc. À noter que dans le cas des pays du Tiers-Monde, la menace d’un recours est souvent suffisante pour que les firmes obtiennent gain de cause, tant ces pays n’ont pas les moyens de faire face à une procédure longue, coûteuse et compliquée.

E. Instabilité financière

L’exemple du Mexique, en décembre 1994, a montré comment une orientation extravertie de l’économie combinée à une forte dépendance extérieure de l’appareil productif (en biens d’équipement, en technologie) et liée à une libéralisation brutale des échanges de marchandises et des mouvements de capitaux, pouvait conduire à une instabilité financière exacerbant les phénomènes de crise.

Le modèle de croissance mexicain, avant décembre 1994, (il n’a d’ailleurs pas changé depuis cette date) reposait sur l’attraction de capitaux extérieurs (pour la plupart à très court terme), capitaux attirés par le taux d’intérêt élevé d’un peso fort. Ce facteur de déficit commercial doit être compensé par l’excédent de la balance des capitaux. Ce processus de fuite en avant s’est révélé source d’une grande instabilité de l’économie. Ces mécanismes de crise, on les a retrouvés en Asie puis au Brésil, toujours dans le cadre de libéralisation poussée à l’extrême.

F. Dégradation partout du rapport de force pour les salariés

L’emploi

On estime la perte d’emplois industriels pour les Etats-Unis, résultant de l’ALENA, à plusieurs centaines de milliers (affectant surtout les femmes, les communautés rurales et les industries intensives en main d’œuvre : confection, électronique de consommation).

Le solde du Mexique en terme d’emplois n’est pas pour autant positif. Le pays a perdu 684 000 emplois formels, pendant les 22 premiers mois de l’ALENA. Cependant, l’emploi dans les maquiladoras a augmenté, passant d’un peu plus de 500 000 salariés au début des années 90 à près d’1 million en 1998. Mais surtout, au-delà des effets des délocalisations, les menaces de transferts de la production vers le sud du Rio Grande sont utilisées par des employeurs aux Etats-Unis pour inciter les salariés à accepter des conditions de travail et de rémunération dégradées.

Enfin, plusieurs études montrent que les emplois créés aux Etats-Unis, grâce aux exportations, sont moins bien rémunérés que ceux qui ont été détruits à cause de la concurrence des importations.

L’évolution des salaires et des revenus

Comme pour l’emploi, il est difficile de déterminer ce qui est dû spécifiquement à l’ALENA et ce qui relève de la politique d’ajustement structurel et de libéralisation en général.

On assiste également à une poursuite de la pression globale sur les coûts salariaux. Celle-ci contredit l’idée, parfois évoquée par certains économistes, selon laquelle les modifications dans l’organisation de la production (nouvelles technologies, fin du taylorisme, élévation des qualifications requises) contribueraient à relativiser l’importance des coûts salariaux dans la compétitivité des firmes, au bénéfice d’avantages comme la qualité, la rapidité, la variété, la flexibilité... Or, on peut observer, dans le cas des stratégies des FMN implantées au Mexique, que la pression sur les salaires existe quel que soit le niveau des qualifications. Le Mexique présente pour les firmes multinationales l’avantage de pouvoir offrir aussi des salariés qualifiés, techniciens ou ingénieurs, bon marché, dans l’automobile, l’électronique, la chimie... D’où l’installation dans ces branches, en plus des maquiladoras traditionnelles d’assemblage, de ces maquiladoras dites de la deuxième génération. Dans l’ensemble, les salaires mexicains ont connu, depuis l’entrée en vigueur de l’Alena, une véritable chute (alors que l’application du traité était censée élever les niveaux de vie). En 1997, 7 771 607 Mexicains étaient recensés comme gagnant moins que le salaire minimum légal mexicain de $3,40 par jour (20 % de plus qu’en 1993). Les salaires à la fin de 1997 étaient tombés à 60 % sous leur niveau de 1994.

On observe également une stagnation globale des salaires des travailleurs aux Etats-Unis, au cours des années 90 et ce en dépit de la reprise de la croissance du PIB. La croissance des salaires horaires moyens des travailleurs de la production, depuis le début de la décennie 90, est restée inférieure aux gains de productivité dans l’industrie.

Le différentiel de salaires entre les deux pays, de 15 % avant la dévaluation du peso en 1994, tend à s’aggraver, dépassant le différentiel de productivité, en particulier dans l’automobile (compte-tenu des forts gains de productivité au Mexique au cours des dernières années). Selon le Département du travail des Etats-Unis, les salaires horaires des travailleurs mexicains du secteur manufacturier n’atteignent que 9,6 % des salaires des travailleurs des Etats-Unis, ce qui est inférieur de 22 % au niveau de 1980.

De plus, dans les deux pays, cette évolution s’accompagne d’une aggravation des inégalités salariales, y compris, comme aux Etats-Unis, en période de croissance.

D’autre part, parallèlement à la libéralisation des échanges agricoles régionaux et l’augmentation de leur volume, on observe une diminution des revenus des agriculteurs des trois pays de l’Alena.

Cette mise en concurrence des salariés, de part et d’autre de la frontière dans le cadre de l’Alena, a posé un défi aux syndicats et aux associations de la société civile en général. Passée la tentation du repli nationaliste, des réseaux se sont constitués, sur la base d’un certain renouveau du syndicalisme indépendant au Mexique — y compris, fait nouveau, dans certaines maquiladoras. Leur orientation a consisté à bâtir une démarche internationaliste concrète, pour tenter d’empêcher les FMN de tirer parti des différences de salaires, de conditions de travail, des limitations du droit syndical, etc. (recours concrets dénonçant la répression, actions conjointes contre les différentes filiales d’une même FMN, renfort des associations de consommateurs ou de défense de l’environnement, etc.).

Le même genre de défi est posé aujourd’hui aux syndicats et aux associations à une échelle beaucoup plus large, dans le cadre du round du millénaire de l’OMC.

Conclusion

L’exigence de bilans des cinq années de l’OMC est aujourd’hui avancée par les réseaux qui s’opposent au néolibéralisme.

Cette exigence peut d’ores et déjà s’appuyer sur le bilan de l’Alena. Cet accord de libre-échange est, à une échelle géographique plus réduite, une sorte de banc d’essai de la libéralisation, particulièrement brutale et rapide, d’un pays dit "émergent" et soumis à un régime d’accumulation financiarisé.

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