L’écosocialisme : de William Morris à Hugo Blanco

, par LÖWY Michael

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Qu’est-ce que l’écosocialisme ?

L’écosocialisme est un courant politique fondé sur une idée essentielle : la préservation de l’équilibre écologique de la planète et donc d’un environnement favorable aux espèces vivantes – y compris la nôtre – est incompatible avec la logique expansive et destructrice du système capitaliste. La poursuite de la « croissance » sous l’égide du capital nous conduit à brève échéance -– les prochaines décennies — à une catastrophe sans précédent dans l’histoire de l’humanité : le réchauffement global.

Les « décideurs » de la planète — milliardaires, managers, banquiers, investisseurs, ministres, politiciens, dirigeants d’entreprise et « experts » —, influencés par la rationalité à courte vue et étroite d’esprit du système, obsédés par les impératifs de croissance et d’expansion, par la lutte pour les positions sur le marché, par la compétitivité et les marges de profit, semblent obéir au principe proclamé par Louis XV quelques années avant la Révolution française : « Après moi, le déluge ». Le déluge du XXIe siècle risque de prendre la forme, comme celui de la mythologie biblique, d’une montée inexorable des eaux – résultat du changement climatique et de la fonte des calottes glaciaires mondiales – noyant sous les vagues les villes côtières de la civilisation humaine : New York, Londres, Venise, Amsterdam, Rio de Janeiro, Hong Kong…

Face à cette catastrophe imminente, que propose l’écosocialisme ? Son principe de base, déjà suggéré par le terme lui-même, est que le socialisme non écologique est une impasse et que l’écologie non socialiste n’est pas en mesure de faire face à la crise écologique actuelle. La proposition écosocialiste consistant à combiner le « rouge » — la critique marxiste du capital et le projet d’une autre société — et le « vert » — la critique écologique du productivisme — n’a rien à voir avec les coalitions gouvernementales dites « rouges-vertes » des sociaux-démocrates et de certains partis écologistes, basées sur un programme de gestion capitaliste social-libéral. L’écosocialisme est une proposition radicale — en ce qu’elle porte sur les racines de la crise économique — qui se distingue à la fois des variétés productivistes du socialisme du XXe siècle (la social-démocratie ou la marque stalinienne du « communisme ») et des courants écologiques qui, d’une façon ou d’une autre, s’accommodent du système capitaliste. Une proposition radicale qui aspire non seulement à la transformation des relations de production, de l’appareil productif et des schémas de consommation dominants, mais aussi à la création d’un nouveau mode de vie, en rupture avec les fondements de la civilisation capitaliste et industrielle occidentale.

Dans ce court essai, nous ne pouvons pas nous attarder sur l’histoire de l’écosocialisme. En revanche, nous discuterons brièvement des idées de deux précurseurs importants, William Morris et Walter Benjamin, puis étudierons la montée de l’écosocialisme depuis les années 1970, en nous intéressant particulièrement au dirigeant indigène péruvien Hugo Blanco.

William Morris

William Morris (1834-1896) était un socialiste révolutionnaire, allergique à l’idéologie productiviste et consumériste de la civilisation capitaliste moderne. Intellectuel, poète, romancier, peintre, architecte et décorateur brillant et talentueux, il occupe une place particulière dans l’histoire du socialisme anglais. Membre, avec Edward Burne-Jones et Dante Gabriel Rossetti, de la très sélecte confrérie préraphaélite, dirigeant de la Société pour la protection des monuments anciens, il est devenu socialiste et l’auteur, après 1880, d’ouvrages politiques et littéraires vraiment révolutionnaires, à mi-chemin entre le marxisme et l’anarchisme.

Dans son célèbre article de 1894 intitulé « Comment je suis devenu socialiste », il déclare avec force, associant dans un même combat l’art et la révolution : « Outre le désir de produire de belles choses, la passion dominante de ma vie a été et reste la haine de la civilisation moderne » [1].

Son ouvrage le plus connu, le roman utopiste Nouvelles de nulle part (1890), propose une vision imaginaire de l’Angleterre socialiste en l’an 2102. Contrairement aux socialistes utopistes du XIXe siècle, Morris a retenu une leçon commune à Marx et aux anarchistes : l’utopie ne peut s’accomplir en abandonnant la société corrompue pour vivre une vie harmonieuse en marge de celle-ci ; le défi, c’est de transformer la société elle-même par une action collective des classes opprimées. En d’autres termes, Morris était un utopiste révolutionnaire et un marxiste libertaire. Un chapitre entier de son livre, intitulé « Comment s’est produit le changement », raconte le passage dramatique de l’« esclavage commercial » à la liberté par une guerre civile entre communisme et contre-révolution, qui s’est terminée par la victoire finale des rebelles.

L’économiste écologique Serge Latouche voit Morris comme un précurseur de la « décroissance », mais il semble plus juste de l’associer à l’écosocialisme ; en tout état de cause, contrairement à la plupart des socialistes de son temps, il percevait déjà les effets désastreux de la domination capitaliste de la nature. Sa critique virulente de la civilisation capitaliste semble plus pertinente aujourd’hui que le productivisme qui a prévalu à gauche pendant si longtemps.

Dans un article de 1884 intitulé « Travail utile et vaine besogne », il décrit les marchandises produites par le commercialisme capitaliste comme des « expédients pitoyables » et ajoute le commentaire suivant, dont la forte dimension écologique est assez inhabituelle pour l’époque : « Ces choses […] je refuserai toujours de les appeler richesse : elles ne sont pas richesse, mais gaspillage. La richesse, c’est ce que la Nature nous donne et ce qu’un homme raisonnable peut faire des cadeaux de la Nature pour son usage raisonnable. La lumière du soleil, l’air pur, la face préservée de la terre, la nourriture, les vêtements et l’habitation nécessaire et décente ; l’emmagasinage de connaissances de toute sorte, et le pouvoir de les diffuser, […] les œuvres d’art, la beauté que l’homme crée lorsqu’il est essentiellement un homme […] — toutes ces choses qui servent les plaisirs du peuple, libre, viril et non corrompu. Voilà ce qu’est la richesse. » [2]

Morris rejette catégoriquement l’éthique protestante du travail : « le dogme quasi théologique du travail comme bienfait pour les travailleurs, quelles qu’en soient les circonstances, est hypocrite et faux », c’est une « croyance opportune pour ceux qui vivent du travail des autres », à savoir les classes parasites dominantes. Le travail n’est bon que lorsqu’il « est associé à l’espoir légitime du repos et du plaisir », ce qui n’est pas le cas dans la civilisation capitaliste : « quel rare répit représente pour n’importe lequel d’entre eux le fait de se sentir appartenir à la Nature, et de sentir sa vie s’écouler sans hâte, de manière réfléchie et avec bonheur […] ». Pour rendre le travail attrayant, il faut le libérer de la tyrannie du profit capitaliste en faisant passer les moyens de production entre les mains de la communauté ; le travail répondra alors aux besoins réels du corps (nourriture, vêtements, logement) et de l’esprit (poésie, art, science) et non aux exigences du marché. Après la révolution, le temps de travail sera substantiellement raccourci, car « nous ne serons plus contraints de produire des choses dont nous ne voulons pas, de travailler dur pour rien » [3]

Lors de sa conférence de 1884 intitulée « Art et socialisme », Morris soutient que ce n’est que par une transformation socialiste, en mettant fin aux règles inexorables du commerce capitaliste, que nous pourrons surmonter la triste situation actuelle, lorsque « nos champs verts et nos eaux claires, l’air-même que nous respirons, seront devenus […] crasse. […] Mangeons et buvons car demain nous mourrons, étouffés par la saleté. » [4] En avance sur son temps, par sa critique des faux besoins créés par le mercantilisme, des désastres sociaux et environnementaux générés par le capitalisme industriel, du travail « répugnant » au service du profit et de l’empoisonnement de la nature par la crasse capitaliste, William Morris peut en effet être considéré comme un prophète précoce de l’écosocialisme.

Walter Benjamin

À l’instar de William Morris, Walter Benjamin a été l’un des rares marxistes avant 1945 à proposer une critique radicale du concept d’« exploitation de la nature » et de son rapport « meurtrier » avec la civilisation.

Dès 1928, dans son livre Sens unique, Benjamin dénonce l’idée de domination de la nature comme un discours « impérialiste » et propose une nouvelle conception du travail comme « la maîtrise des relations entre la nature et l’humanité [5].

Les sociétés archaïques vivaient également en meilleure harmonie avec la nature. Dans Le Paris du Second Empire chez Baudelaire (1938), Benjamin remet en cause la « maîtrise » (Beherrschung) de la nature et son « exploitation » (Ausbeutung) par les humains. Comme l’a déjà montré l’anthropologue du XIXe siècle Bachofen, Benjamin insiste sur le fait que « l’idée meurtrière (mörderisch) de l’exploitation de la nature » — un concept capitaliste et moderne dominant à partir du XIXe siècle — n’existait pas dans les sociétés matriarcales car la nature était perçue comme une mère généreuse (schenkende Mutter) [6].

Pour Benjamin — tout comme Friedrich Engels et le socialiste libertaire Élisée Reclus, tous deux intéressés par les écrits de Bachofen —, il ne s’agit pas de revenir au passé préhistorique, mais de proposer la perspective d’une nouvelle harmonie entre la société et l’environnement naturel. Ce n’est que dans une société socialiste où la production cessera d’être fondée sur l’exploitation du travail humain, que « le travail […] cessera d’être considéré comme une exploitation de la nature par l’homme » [7].

Dans les Thèses sur le concept d’histoire (1940), son testament philosophique, Benjamin salue Charles Fourier, cet utopiste visionnaire qui rêvait d’« une forme de travail qui, loin d’exploiter la nature, [soit] en mesure de l’accoucher des créations virtuelles qui sommeillent en son sein » (Thèse XI). Cela ne veut pas dire que Benjamin veut remplacer le marxisme par le socialisme utopiste : il considère Fourier comme un complément à Marx et insiste sur l’importance des notes critiques de Marx sur le conformisme du programme de Gotha concernant la nature du travail.

Pour le positivisme social-démocrate, incarné notamment par Joseph Dietzgen, « la nouvelle conception du travail revient à l’exploitation de la nature qui, avec une complaisance naïve, est mise en contraste avec l’exploitation du prolétariat ». Il s’agit d’« une conception de la nature qui diffère de façon inquiétante de celle des utopies socialistes d’avant la révolution de 1848 », fait observer Benjamin, et qui « affiche déjà les caractéristiques technocratiques que l’on retrouvera plus tard dans le fascisme » [8].

Dans sa Thèse IX intitulée « Sur le concept d’histoire », Walter Benjamin qualifie de « tempête » le progrès destructeur accumulant les catastrophes. On retrouve ce mot « tempête » dans le titre (qui semble presque inspiré de Benjamin) du dernier livre de James Hansen, un climatologue de la NASA qui est aussi l’un des plus grands spécialistes mondiaux du changement climatique. Publié en 2009, le titre de cet ouvrage est Storms of My Grandchildren : The Truth About the Coming Climate Catastrophe and Our Last Chance to Save Humanity. Hansen n’est pas un révolutionnaire, mais son analyse de la « tempête » à venir — qui pour lui, comme pour Benjamin, est l’allégorie de quelque chose de plus menaçant — est impressionnante de lucidité :

« La planète Terre, la création, le monde dans lequel la civilisation s’est développée, le monde avec les schémas climatiques que nous connaissons et ses littoraux stables, est en danger imminent. L’urgence de la situation ne s’est cristallisée qu’au cours de ces dernières années. Nous avons maintenant des preuves manifestes de la crise […]. La conclusion saisissante est que l’exploitation continue de tous les combustibles fossiles de la Terre menace non seulement les autres millions d’espèces présentes sur la planète, mais aussi la survie de l’humanité elle-même. Et les délais sont plus courts que prévus. » [9]

L’écosocialisme depuis 1970

En vérité, pendant la plus grande partie du xxe siècle, les courants dominants du mouvement ouvrier (le syndicalisme, la social-démocratie et le communisme de type soviétique) ont, à quelques exceptions près, ignoré les problèmes écologiques. D’un autre côté, les mouvements écologiques et les partis verts, à l’exception de quelques petits courants de gauche, n’avaient aucune sympathie pour le socialisme.

L’idée d’un socialisme écologique, ou d’une écologie socialiste, n’a réellement commencé à se développer que dans les années 1970, lorsqu’elle est apparue sous différentes formes dans les écrits de certains pionniers d’un mode de pensée « rouge-vert » : Manuel Sacristán (Espagne), Raymond Williams (Royaume-Uni), André Gorz et Jean- Paul Deléage (France), Rachel Carson et Barry Commoner (États-Unis), Wolfgang Harich (République démocratique allemande), et d’autres.

Quelques mots sur André Gorz, peut-être le plus influent de ces pionniers de l’écosocialisme : ce philosophe existentialiste (ami et disciple de Jean-Paul Sartre) ayant de solides antécédents marxistes s’est efforcé, à partir des années 1970, de réunir le socialisme et l’écologie, se fondant sur leur opposition commune au productivisme et au consumérisme capitaliste. Dans un essai de 1980, il écrit : « Seul le socialisme peut rompre avec la logique du profit maximum, du gaspillage maximum, de la production et de la consommation maximum, et la remplacer par le bon sens économique : le maximum de satisfaction avec le minimum de dépense. » L’idée de valeurs extra-économiques et non marchandes est étrangère au capitalisme. « Elle est, en revanche, essentielle au socialisme, et celui-ci ne pourra prendre forme en tant que négation positive du système dominant que si les idées d’autolimitation, de stabilisation, d’équité, de gratuité reçoivent une illustration pratique […] [10].

Même si les lignes suivantes traitent principalement de la tendance écomarxiste, on peut également trouver des analyses radicalement anticapitalistes et des solutions alternatives qui ne sont pas trop éloignées de l’écosocialisme dans l’écologie sociale anarchiste de Murray Bookchin, dans la version de gauche de l’écologie profonde d’Arne Naess et chez certains auteurs de la « décroissance » (Paul Ariès).

Il semble que le terme « écosocialisme » ait commencé à être utilisé après les années 1980, avec l’apparition, au sein du Parti vert allemand, d’une tendance de gauche autoproclamée « écosocialiste », dont les principaux porte-parole étaient Rainer Trampert et Thomas Ebermann. Parallèlement est apparu le livre L’Alternative, du dissident est-allemand Rudolf Bahro, qui développe une critique radicale du modèle soviétique et de la RDA, au nom d’un socialisme écologique. Dans les années 1980, l’économiste américain James O’Connor a élaboré une nouvelle approche écologique marxiste dans ses écrits et créé la revue Capitalism, Nature and Socialism. À la même période, Frieder Otto Wolf, membre du Parlement européen et l’un des principaux leaders de l’aile gauche du Parti vert allemand a coécrit avec Pierre Juquin, ancien dirigeant communiste français converti à la perspective rouge-verte, un ouvrage intitulé Pour une alternative verte en Europe [11], que l’on pourrait considérer comme le premier programme écosocialiste européen. Dans le même temps, en Espagne, des disciples de Manuel Sacristán, tel que Francisco Fernández Buey, ont développé des arguments écologiques socialistes dans la revue barcelonaise Mientras Tanto. En 2001, par ailleurs, la Quatrième internationale a adopté une résolution écosocialiste, Écologie et révolution socialiste, lors de son congrès mondial. La même année, Joel Kovel et le présent auteur ont publié un Manifeste écosocialiste international, qui a fait l’objet de nombreuses discussions et a inspiré la création à Paris, en 2007, du Réseau international écosocialiste. Un deuxième manifeste écosocialiste traitant du réchauffement climatique, la Déclaration écosocialiste de Belém, signé par plusieurs centaines de personnes issues de dizaines de pays, a été distribué au Forum social mondial de Belém (État du Pará), au Brésil, en 2009. Quelques mois plus tard, lors de la Conférence internationale des Nations unies sur le changement climatique, à Copenhague, le Réseau international écosocialiste a distribué une bande dessinée illustrée, Copenhague 2049, aux centaines de milliers de personnes manifestant sous la bannière « Changez le système, pas le climat ! ».

À cela il faut ajouter, aux États-Unis, le travail de John Bellamy Foster, Fred Magdoff, Paul Burkett et leurs amis de la célèbre revue de gauche nord-américaine Monthly Review, qui se réclament d’une écologie marxiste ; l’activité ininterrompue de Capitalism, Nature and Socialism sous la direction de Joel Kovel, l’auteur de L’Ennemi de la nature [12], et, plus récemment, de Salvatore Engel-Di Mauro ; le jeune cercle d’activistes appelé Ecosocialist Horizons (Quincy Saul), qui a récemment publié une bande dessinée écosocialiste Truth and Dare (2014) ; sans parler de nombreux ouvrages importants, dont l’un des plus complets est Ecology and Socialism de Chris William (2010). Tout aussi important, dans d’autres pays : les écrits écosocialistes/écoféministes d’Ariel Salleh et Terisa Turner ; la revue Canadian Dimension, publiée par les écosocialistes Ian Angus et Cy Gonick ; les écrits du marxiste belge Daniel Tanuro sur le changement climatique et l’impasse du « capitalisme vert » ; les recherches des auteurs français liés au Mouvement pour la justice mondiale, comme Jean-Marie Harribey ; les écrits philosophiques d’Arno Münster, un disciple écosocialiste d’Ernst Bloch et d’André Gorz ; le récent Manifeste écosocialiste (2013) publié par le Parti de gauche français ; et les Conférences écosocialistes européennes qui se sont tenues à Genève (2014) et Bilbao (2016).

Alors que l’attitude des partis communistes et verts à l’égard de l’écosocialisme a été distante — pour des raisons diamétralement opposées ! —, des discussions sur la thèse écosocialiste ont récemment commencé à poindre dans leurs journaux et revues. Il en va de même pour le Parti de la gauche européenne qui a approuvé, en 2014, une résolution en accord avec les idées écosocialistes.

Hugo Blanco

Il serait faux de conclure que l’écosocialisme se limite à l’Europe et à l’Amérique du Nord ; en réalité, l’activité et les discussions écosocialistes sont vives en Amérique latine. Au Brésil, un Réseau écosocialiste local regroupant des intellectuels et des activistes de différents partis, syndicats et mouvements paysans a vu le jour ; au Mexique, plusieurs publications ont traité de l’écosocialisme. En outre, des conférences écosocialistes se sont récemment (en 2014) tenues à Quito et à Caracas. Enfin, dernier élément mais non des moindres, il existe un intérêt croissant pour l’écosocialisme en Chine où les livres de John Bellamy Foster et Joel Kovel ont été traduits et plusieurs conférences sur l’écosocialisme ont été organisées par des universités chinoises ces dernières années.

L’écosocialisme intéresse non seulement les intellectuels, mais aussi les activistes sociaux et les leaders populaires de nombreux pays. Les communautés indigènes d’Amérique latine sont actuellement à l’avant-garde de la lutte socio-écologique contre la déforestation et l’empoisonnement des rivières et des terres par les multinationales des secteurs pétrolier et minier. L’un des principaux leaders de ces mouvements de résistance antisystémique est Hugo Blanco, un révolutionnaire péruvien, dirigeant indigène et écosocialiste.

Initialement affilié à la Quatrième internationale, Hugo Blanco a, au début des années 1960, organisé un important mouvement paysan dans la vallée de Convención, au Pérou, qui disposait de ses propres brigades d’autodéfense armées. Arrêté par la police et condamné à mort, il a été sauvé par une campagne de solidarité internationale, à laquelle ont participé Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et Bertrand Russel. Plusieurs fois élu au Parlement, il a été contraint à l’exil par la dictature de Fujimori en 1992. Après son retour au Pérou, il s’est joint à l’action menée par la Confederación Campesina de Perú (CCP), le principal syndicat paysan péruvien. Aujourd’hui, la principale référence d’Hugo Blanco est le mouvement mexicain Zapatista ; il est le rédacteur en chef du périodique Lucha Indígena et, malgré ses plus de 80 ans, il reste en première ligne des luttes indigènes au Pérou.

Ces dix dernières années, l’intérêt de Blanco pour l’écosocialisme s’est accru, voyant dans ce courant la continuité des traditions collectivistes des communautés indigènes et leur respect pour la Pachamama, la terre nourricière [13]. Il a signé la Déclaration écosocialiste de Belém et, dirigeant une délégation indigène péruvienne, a participé à la Conférence écosocialiste internationale qui s’est tenue à Belém après le Forum socialiste mondial de 2009. Il a souvent soutenu que les communautés indigènes, en Amérique latine et ailleurs, pratiquent l’écosocialisme depuis des centaines d’années…

Conclusion

Il est important de souligner que l’écosocialisme est un projet pour l’avenir, un horizon du possible, une alternative anticapitaliste radicale, mais aussi, et indissociablement, un programme pour maintenant, autour de propositions concrètes et immédiates. Toutes les victoires, même partielles et limitées, qui ralentissent le changement climatique et la dégradation de l’environnement sont « des tremplins vers plus de victoires » : elles « développent notre confiance et notre organisation pour aller encore plus loin » [14]. Le triomphe de l’alternative écosocialiste n’est pas garanti et il y a très peu à attendre des pouvoirs en place. Le seul espoir réside dans les mobilisations d’en bas, comme à Seattle en 1999 où l’on a vu s’unir les « tortues » (écologistes) et les « camionneurs » (syndicalistes) et naître le Mouvement pour la justice mondial ; comme à Copenhague en 2009, où des centaines de milliers de manifestants se sont réunis autour du slogan « Changez le système, pas le climat » ; ou à Cochabamba, en Bolivie, en 2010, lorsque 30 000 délégués des mouvements indigènes, paysans, syndicaux et écologistes d’Amérique latine et du monde ont participé à la Conférence du peuple sur le changement climatique, dont le document dénonçant la destruction impérialiste de la terre nourricière fait écho aux écrits de Walter Benjamin datant des années 1930.

P.-S.

Transform !, 14 août 2017. URL : https://www.transform-network.net/fr/publications/revue/overview/article/yearbook-2017/ecosocialism-from-william-morris-to-hugo-blanco/

Notes

[1William Morris, “How I Became a Socialist” (1894), Political Writings, ed. A.L. Morton, London : Lawrence & Wishart, 1979, p. 243.

[2William Morris, “Useful Work versus Useless Toil”, Political Writings, p. 91.

[3William Morris, Political Writings, p. 96, 97, 107.

[4William Morris, “Art and Socialism”, Political Writings, p. 116.

[5Walter Benjamin, One-Way Street and Other Writings (trans. J. A. Underwood), London : Penguin, 2008, p. 87.

[6Walter Benjamin, » Das Passagen-Werk « , Gesammelte Schriften, Frankfurt/Main : Suhrkamp Verlag, VI, 1, p. 456.

[7Walter Benjamin, » Das Passagen-Werk « , I, p. 47.

[8Walter Benjamin, » Über den Begriff der Geschichte « , Gesammelte Schriften, I, 2, p. 698-699.

[9James Hansen, Storms of My Grandchildren : The Truth About the Coming Climate Catastrophe and our Last Chance to Save Humanity [Les Tempêtes de mes petits-enfants : la vérité sur la catastrophe climatique à venir et notre dernière chance de sauver l’humanité], New York : Bloomsbury, 2009, p. IX.

[10André Gorz, Écologica, Paris : Galilée, 2008, p. 98-99.

[11Montreal : Black Rose, 1992.

[12Joel Kovel, The Enemy of Nature : The End of Capitalism or the End of the World ?, London and New York : Zed Books, 2002.

[13Voir son livre Nosotros los indios [Nous, les indigènes], Buenos Aires : Herramienta, 2010.

[14Chris Williams, Ecology and Socialism, Chicago : Haymarket Books, 2010, p. 237.

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