L’interview d’Algerie Interface : Chawki Salhi

, par SALHI Chawki

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Paris, 14/09/01 – Le porte-parole du Parti socialiste des travailleurs (PST) évoque le rôle joué par son mouvement au sein du comité de coordination de Kabylie.

En juillet dernier des journaux algériens ont affirmé que des trotskistes avaient « infiltré » le comité de coordination en Kabylie, notamment pour « déstabiliser » le gouvernement algérien.
Les premiers qui nous ont dénoncé de cette façon sont des journaux arabophones comme Echourouk El Youmi, qui ont désigné des cadres du parti et moi-même comme étant investis dans l’organisation du mouvement. La campagne du journal L’expression, qui ne s’est pas contenté d’un article mais d’une bordée de papiers aussi abracadabrants les uns que les autres correspond, elle, à la période durant laquelle la présidence voulait choisir ses interlocuteurs pour des négociations avec le mouvement, et voulait réduire le rôle joué par des militants du PST et des militants de gauche.

Quelle est votre influence réelle sur ce mouvement en Kabylie ?

Je ne peux pas m’attribuer, ce ne serait pas correct, de bonus ou des pourcentages. Mais lorsque cette jeunesse s’est révoltée contre tous les symboles de l’ordre social qui l’excluait, lorsqu’elle a refusé les partis majoritaires aux dernières élections dans la région, lorsqu’elle s’est révoltée contre tout ce qui représentait le monde dont elle était exclue, les militants du PST et d’autres militants de gauche ou syndicalistes ont joué le rôle qui a consisté à transformer les émeutes en un mouvement organisé de contestation. Ce mouvement populaire n’est pas une chose bien stabilisée, bien sûr, c’est un mouvement de l’instant, du moment. La gauche a joué un rôle déterminant dans cette construction, mais ce n’est pas un mouvement dont on peut établir de façon définitive la transformation.

Les premières dissensions sont justement apparues en raison de l’émergence de syndicalistes et de militants de gauche au sein du mouvement ?

En fait le clash a eu lieu bien avant. En réalité nos militants et dirigeants sont intervenus avant même qu’il n’y ait des comités. Il s’agit de syndicalistes qui sont notamment intervenus pour construire les premiers comités. Pour rappeler que les délégués devaient êtres élus par la base, pour appeler au rassemblement de tout ce qui représentait la population en révolte contre la hogra et la misère. (…) Des attaques de toutes sortes se sont déversées sur nous dès le début du mouvement. Il y a eu cette campagne bizarre qui a constitué à appeler arch (tribu, NDLR) tout un mouvement qui ne s’appelait arch qu’à Tizi-ouzou, privilégiant une composante du mouvement et donnant un retentissement peu représentatif à ses initiatives. Il y a eu ces attaques contre les syndicalistes, qui pourtant agissaient dignement et qui s’étaient tous investis dans cette mobilisation. Il y a eu aussi le silence de toute cette presse, notamment francophone, qui n’évoquait les trotskistes que pour dire leur inexistence, leur caractère d’extrême gauche, ou anarchiste.

Le PST a pourtant disparu du paysage politique, on n’entend pas beaucoup parler de votre parti

Le PST a certainement disparu du paysage médiatique ! Au plan électoral, nous n’avons pas gagné les millions d’algériens dans une phase ou les idées de gauche subissaient une sorte de reflux mondial. Pour son honneur, le parti a toujours continué à militer en Algérie. Il est malheureusement cité avec les usages de la presse de droite : toujours comme comploteur infiltré dans les mouvements et jamais comme partie prenante des combats de la société.

Pour en revenir à la coordination, on a l’impression que le mouvement n’arrive pas à trouver sa voie...

Le mouvement avait sa logique jusqu’au 14 juin (date de la manifestation d’Alger, NDLR). Après cette date il lui fallait un second souffle, au niveau des objectifs. Il fallait certainement radicaliser certains aspects de son affirmation devant le mur opposé par le pouvoir aux démarches les plus rudimentaires d’une manifestation pacifique. Il fallait certainement un renouvellement au niveau des formes d’expression, car il était inutile de refaire de nouvelles démonstrations de sa représentativité pour un mouvement désormais massivement appuyé par la population.

Va-t-il se réorganiser et activer sous de nouvelles formes ?

Ce mouvement a constitué un choc considérable dans la société. Il a changé les rapports de forces en Algérie, on ne le dit pas assez. Il y a une certaine tradition d’immobilisme dans les partis, mais cette fois les gens ont reconquis le droit de manifester. Il y a une avancée qui restera, quel que soit l’avenir immédiat. Le mouvement doit redémarrer à la rentrée, c’est ce que nous espérons, des campagnes sont prévues, nous avons des divergences avec certains irresponsables. Nous pensons par exemple qu’il faut une manifestation nationale à Alger et non pas une manifestation de Kabylie à Alger. Et quand bien même le mouvement aurait des difficultés à reprendre, la colère des jeunes, elle, persistera.

Que pensez-vous du rapport préliminaire de la commission d’enquête dirigée par Mohand Issad ?

Pour être honnête, le rapport reprend des choses connues de tous. Il y a aussi un second rapport en préparation : iront-ils jusqu’à dénoncer les responsables, non pas des comploteurs mythiques derrière le pouvoir ou je ne sais quoi. Mais en établissant des responsabilités claires. Le président de la république n’a pas donné l’ordre d’arrêter de tirer, le ministre de l’Intérieur a salué les forces de l’ordre pour leur « retenue », les chefs de la gendarmerie et de l’armée n’ont pas pris leurs responsabilités par rapport à ces actes qui ont duré plusieurs mois. Maintenant, pour le reste, il y a aussi des acquis qui ont été conquis par la pression populaire et qu’il est urgent d’intégrer dans le fonctionnement réglementaire et légal du pays. Les Algériens demandent le droit de manifester sans demander la permission, huit jours avant, de se mettre en colère.

Quel bilan faites-vous des deux années et demie de pouvoir de Bouteflika ?

Bouteflika a été ramené par les chefs de l’armée, qui l’ont aidé à faire sa campagne et à se faire élire, certes. Mais Bouteflika a suscité un espoir immense que les différents commentateurs enfermés dans leur sectarisme n’ont pas vu. Bouteflika a trahi, délibérément, les espoirs qu’il a suscités. Alors que cette popularité lui donnait la possibilité de se soustraire à toute pression (…) Il a continué de démanteler l’économie, il a continué de plonger dans le marasme total les entreprises et les secteurs existants. Si Ahmed Ouyahia (ancien Premier ministre, NDLR) avait, sous couvert d’une opération mains propres, mis en prison des centaines de cadres et mis sur la défensive l’encadrement du secteur public, Bouteflika les menaçait, lui, de réorganisation imminente et de disparition immédiate. Il a produit le même effet de paralysie sur un secteur qui ne bouge plus depuis si longtemps qu’effectivement il ne peut que s’enfoncer.

Le gouvernement n’a pas profité d’une conjoncture économique qui lui était favorable ?

(…) Nous avons eu cette anomalie de ces réserves en devises de 14 milliards de dollars — pratiquement deux ans d’importations — qui allaient, je suppose, enrichir un capital déjà considérable des banques suisses. Alors que nous avions un investissement urgent, un investissement dans le développement du pays. Mais (le gouvernement) aurait pu investir dans des travaux d’infrastructure, ou des opérations publiques qui pouvaient fouetter l’économie, au lieu de les laisser en réserve, dans une position absurde, pendant que l’économie se mourrait. Et dans ces conditions, cette jeunesse peut-elle se taire ? Aujourd’hui pour résoudre les problèmes, il faudrait faire tarir la source du désespoir, faire cesser cette politique économique qui fait émerger une classe arrogante de nouveaux riches et qui écrase la grande majorité de la population, il faudrait arrêter de démanteler l’économie algérienne. Il s’agit d’écraser le peuple algérien, de lui faire subir une régression au niveau des acquis sociaux, pour que la logique du droit au travail, jugée trop rigide, soit abandonnée au profit d’une jungle comme on commence à le voir dans des chantiers du sud du pays, par exemple : des gens payés quasiment au SMIG qui vivent dans des conditions inhumaines, dans des camps.

Des élections sont prévues au printemps 2002. S’agira-t-il juste d’un duel entre les partis qui soutiennent Bouteflika ?

Il faut beaucoup plus qu’une élection classique pour changer les choses. Nous sommes contre la logique d’un peuple appelé à voter une fois tous les cinq ans, et laissant un appareil opaque décider à sa place. Le débat dans la société ne fait que commencer : les émeutes des derniers mois à travers une vingtaine de wilayas n’ont accouché de comités véritablement représentatifs que dans la région kabyle. Cela prouve que tout un cheminement reste encore à faire. Mais c’est un combat à long terme : ce ne sont pas les échéances de Bouteflika qui vont changer les choses. Mais au niveau électoral, qui sait ? Apparemment les islamistes continuent d’êtres hors du coup, ils sont discrédités, et le RND comme le FLN ne suscitent aucun enthousiasme, ils pourraient juste stabiliser leur hégémonie sur le Parlement. Pour notre part nous jouons sur l’émergence de la gauche, d’un programme alternatif à tous les partisans du capitalisme qui se dispersent en des dizaines de partis et qui d’ailleurs rêvent tous, soudés derrière leur président, d’un parti unique.

P.-S.

Propos recueillis par Djamel Benramdane.

Algeria Interface, 14 septembre 2001. url : https://algeria-watch.org/?p=59339

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