« L’UE et les États-Unis ont joué un rôle de pompiers pyromanes »

, par SAMARY Catherine

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Catherine Samary, maître de conférences en économie à Paris-Dauphine, insiste sur la stabilité de l’ensemble de la région.

  • Quels sont les rapports de forces sur cette question sur les scènes intérieures serbe et kosovare ?

Catherine Samary. La population albanaise kosovare réclame l’indépendance de façon unanime. Mais lors des dernières élections au Kosovo est apparue une force qui revendique l’indépendance, tout en mettant l’accent de façon pragmatique sur la recherche d’un accord avec la Serbie et avec la Russie. Il s’agit d’un nouveau parti, l’Alliance pour un nouveau Kosovo (AKR), qui a remporté 12 % des voix. Behxhet Pacolli, son leader, est un homme d’affaires, très attentif aux enjeux économiques. Pour lui, les relations économiques et politiques du Kosovo ne doivent pas se limiter à l’Europe occidentale. Ce parti, qui est une composante du noyau de négociation, poussera sans doute à chercher des éléments d’intérêts communs avec la Serbie. Du côté serbe, aucun parti au pouvoir ne veut être celui qui a accepté l’indépendance. Mais il y a des marges pour des compromis sur les enjeux sous-jacents : le contrôle des ressources énergétiques du Kosovo à l’échelle régionale et des liens directs avec le nord du Kosovo. En ce qui concerne la population, il y a une lassitude et la conviction que le Kosovo ne sera plus jamais une province serbe.

  • Quel est ou devrait être le rôle de l’Union européenne ?

Catherine Samary. Il n’y a pas de position unanime de l’Union. Dans le contexte de désaccords entre Serbes et Albanais et sans vote unanime du Conseil de sécurité de l’ONU, il y aurait 22 États sur 27 prêts à reconnaître le Kosovo indépendant, les autres s’abstiendront sans doute de bloquer. L’Union européenne et les États-Unis ont joué un rôle de pompiers pyromanes dans les Balkans : confrontés à l’instabilité, ils ont encadré militairement et politiquement des quasi-protectorats avec orientation néolibérale imposée. Le Kosovo indépendant ressemblerait à la Bosnie-Herzégovine « souveraine » et totalement dépendante, où le « haut représentant » de l’UE fait des lois et destitue des élus inopportuns. L’essentiel n’est pas le statut juridique. C’est la façon dont les choix se prennent et l’instabilité de l’ensemble de la région avec un désastre économique, notamment au Kosovo.

  • À quoi est dû ce désastre ?

Catherine Samary. La province est en train de se transformer en supermarché sans capacité productive, donc avec un déficit externe colossal. 1 000 ha de terres arables par an sont supprimés pour construire ces surfaces commerciales. En 1989, l’économie du Kosovo reposait sur l’exploitation des mines et sur l’agriculture. Derrière les négociations sur le statut, il y a les impasses et conflits sur les privatisations de ces ressources entre la KTA (Kosovo Trust Agency), chargée des privatisations pour l’ONU (en pratique, les grandes puissances), Belgrade et les Albanais du Kosovo. L’Union européenne joue le même rôle négatif que les États-Unis, en imposant une zone de libre-échange et des financements privés. C’est-à-dire l’inverse de ce qu’a connu la France après la Seconde Guerre mondiale : même dans un cadre capitaliste, la reconstruction s’est faite sur la base d’une certaine planification et de financements publics.

P.-S.

Propos recueillis par Anne Roy.
Entretien paru dans l’Humanité, édition du 12 décembre 2007.

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