« La constitution, c’est du Chirac et du Raffarin dans le texte »

, par BESANCENOT Olivier

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Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), souligne l’importance de la mobilisation sociale pour que le « non » l’emporte.

  • Nous venons d’entrer dans la campagne officielle. La LCR, qui fait campagne pour le « non » à la constitution, sera privée d’expression publique dans ce débat. Comment appréciez-vous cette décision ?

Olivier Besancenot. Cela s’ajoute à une campagne caricaturale tant elle a été inéquitable, entre les 8 millions d’euros dépensés pour les panneaux publicitaires officiels pour le « oui » et l’exposé des motifs envoyé avec la constitution, qui ressemble à un tract de l’UMP. Nous remercions d’ailleurs le Parti communiste qui nous permet, en partageant son temps d’antenne, de revenir dans le cadre officiel de la campagne électorale. Mais avec treize minutes pour le « non » de gauche, le traitement restera inéquitable. Ce rouleau compresseur médiatique et institutionnel risque cependant d’avoir un effet boomerang. Entre cette campagne médiatique, qui est la source d’un mécontentement parfaitement légitime, et les 448 articles d’une constitution écrite dans une autre langue qui est une insulte à l’intelligence, cela fait partie des arguments qui, mis bout à bout, peuvent conduire au vote « non ».

  • La LCR s’était déjà prononcée pour le « non » à Maastricht en 1992. Quel bilan tirez-vous de la construction européenne de ces treize dernières années ?

Olivier Besancenot. Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle depuis 1992. La mauvaise, c’est que l’Europe est de plus en plus inégalitaire. Ce qui montre que la promesse sociale de Jacques Delors n’a pas été tenue. La bonne nouvelle, c’est que depuis 1992, face à la fausse alternative qui voulait que l’on soit souverainiste ou libéral, une troisième option est apparue autour du slogan « Une autre Europe est possible », dans la foulée des forums sociaux européens, des marches européennes pour l’emploi ou pour le droit des femmes, et des euro-grèves. Les libéraux ne doivent plus avoir le monopole du projet européen. Au contraire même, car si on laisse se construire et se renforcer leur Europe, c’est le projet européen qui sera discrédité, ce qui favorisera les réflexes nationalistes et chauvins de l’extrême droite.

  • Les partisans du « oui » prétendent que cette constitution permettrait de corriger les défauts de cette Europe, avec la charte des droits fondamentaux. Qu’en pensez-vous ?

Olivier Besancenot. Chaque traité libéral charrie son lot de promesses sociales. Pas étonnant qu’aujourd’hui, on nous rejoue le même coup avec la charte. Pour nous, celle-ci pose deux types de problèmes : d’abord, elle est largement insuffisante, puisque des droits essentiels n’y sont pas, comme la laïcité, le droit à l’avortement, à la retraite, à la santé, à l’emploi. Mais, en plus de cela, il y a les articles II-111 et 112, qui nous expliquent noir sur blanc que la charte n’est pas contraignante sur le plan juridique. Nous ne sommes pas de ceux qui font dans la caricature en prétendant que le droit à l’avortement sera interdit en France demain. Dire que chaque État aura le droit de continuer comme il veut est partiellement vrai. Mais c’est vrai aussi pour la Pologne, le Portugal ou l’Irlande qui pourront continuer à interdire l’IVG. Cela signifie que, quand il s’agit des politiques libérales, du démantèlement de la protection sociale, de la privatisation des services publics, il faut se mettre au pas, sous l’effet de convergences contraignantes. Mais quand il s’agit des questions sociales et démocratiques, chacun a le droit de faire ce qu’il veut y compris le pire. Les trois domaines où l’on parle explicitement de convergences contraignantes sont le marché intérieur, la justice pénale, et les questions militaires. Ça donne une idée de l’Europe qu’ils veulent construire.

  • Si le « non » gagne, comment voyez-vous une éventuelle renégociation ?

Olivier Besancenot. Ça ne peut être que dans un nouveau cadre. En tout cas sûrement pas celui de la convention Giscard qui n’a été mandatée par personne. C’est vrai aussi du fameux « plan B » dont discute la Commission européenne. Ce plan B, c’est simplement une solution de repli pour les tenants de l’Europe libérale. Nous, c’est un plan B alternatif pour une autre Europe que nous défendons. Cela demande un véritable processus constituant démocratique, qui élaborerait à terme sur une autre constitution. Cela se prépare en établissant un autre rapport de forces, et cela commence par voter « non ».

  • Vous réclamez également la démission de Jacques Chirac si le « non » l’emporte. Pour vous, la défaite du « oui » serait donc aussi celle de la politique de la droite ?

Olivier Besancenot. L’enjeu principal n’est pas franco-français, mais il y a un rapport entre la politique libérale menée par Chirac et Raffarin en France, et les politiques libérales menées en Europe. La politique de Chirac et de Raffarin peut se traduire dans toutes les langues et dans tous les pays, y compris ceux où il y a des gouvernements de gauche. La constitution, c’est du Blair, c’est du Schröder, c’est du Berlusconi, c’est du Chirac et du Raffarin dans le texte. Et puis nous avons un problème spécifique, c’est que notre gouvernement est devenu complètement illégitime. Il n’y a pas à se priver de lui donner une nouvelle claque électorale après les deux premières raclées des régionales et des européennes.

  • Le « oui » et le « non » sont au coude à coude dans les sondages. Qu’est-ce qui, selon vous, est susceptible de faire la différence dans les deux dernières semaines avant le référendum ?

Olivier Besancenot. La seule garantie de pouvoir l’emporter, ce sont les luttes sociales. C’est cela qui a changé radicalement l’ambiance dans le pays. On est passé en quelques mois du dossier turc aux questions sociales, du « oui » de la consultation du PS au « non » de la CGT. C’est cela qui permettra jusqu’au bout, entre la journée de la Pentecôte ou encore celle des chercheurs, d’avoir non seulement la possibilité de l’emporter, mais de dire que dans le « non », c’est bien la gauche qui est majoritaire.

P.-S.

Entretien réalisé par Sébastien Crépel.
© L’Humanité, 18 mai 2005. URL : http://www.humanite.fr/node/327810

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