- Où en êtes-vous dans la campagne sur le harcèlement ?
Nous avons entrepris un travail de formation de nos cadres et encouragé nos structures à se solidariser des victimes. Des cas concrets sont pris en charge. C’est difficile pour une femme de se livrer aux regards de l’entourage, c’est difficile aussi de prouver des violences, en général, sans témoin. Notre campagne publique pour imposer le respect de la dignité de la femme travailleuse dans l’entreprise a brisé le tabou. Elle a eu des échos positifs dans la presse, et divers acteurs sociaux et institutions inscrivent désormais de façon naturelle la question du harcèlement sexuel parmi leurs préoccupations.
- Mais concrètement, quels progrès espérez-vous ?
Notre pays n’a pas inventé le harcèlement sexuel. C’est un vieux problème. Il s’agit d’abord d’obtenir, comme nous l’avons demandé à la ministre en juillet, une loi spécifique qui réprime cette violence faite aux femmes. L’idée fait son chemin, et notre commission va saisir officiellement le ministre de la Justice. Nous espérons changer le regard de la société. Si nous faisons déboucher quelques affaires avec le soutien de la presse, nous ferons que les victimes ne soient plus honteuses. Au contraire, ce seront les auteurs des violences qui seront rejetés par les collègues, la famille et le quartier. Bâtir une nouvelle culture par nos luttes.
- Votre commission est-elle impliquée dans le débat actuel sur les réformes économiques ?
J’allais intervenir quand a eu lieu le clash avec Temmar qui ne comprenait pas que le syndicat critique la politique de son gouvernement ! Nous avons préféré sortir. En tant qu’élues syndicales, toutes les sœurs de la commission sont impliquées dans cette bataille pour préserver les entreprises publiques, sauver l’emploi et les acquis sociaux menacés par le suicide économique libéral. Les travailleuses sont souvent les premières concernées par les compressions, elles souffriront plus que les hommes de la disparition du secteur public, elles sont mises en danger par la précarisation qui se généralise et perdent leur meilleur atout si l’Etat se désengage de l’effort d’éducation généralisée.
- Mais du point de vue des femmes, les sociétés libérales ne sont-elles pas meilleures ?
On nous fait rêver à la Suède, mais ce qui est prévu pour nous, c’est la Thaïlande ou la Côte d’Ivoire. La précarisation des salariés, érigée en idéal, fragilise la femme travailleuse qui doit compter avec l’environnement social hostile. Et la prostitution sévit quand la misère avance. La privatisation menace de priver les femmes de la protection du droit algérien du travail qui garantit l’égalité des droits et du salaire et qui protège la femme durant sa maternité. Car dans le privé, nous ne sommes souvent pas déclarées, et la possibilité de se syndiquer est faible. L’effondrement programmé de l’industrie publique renvoie au foyer un secteur important de l’emploi féminin qui sera remplacé par des emplois informels compatibles avec le rôle traditionnel de la femme. L’émancipation des femmes aurait eu besoin de la possibilité concrète d’occuper des emplois décents au niveau de formation acquis, de la possibilité concrète pour les jeunes couples, pour les travailleuses d’accéder à un logement, alors que la pénurie actuelle retarde l’évolution des pratiques sociales. Sans parler des crèches et des cantines scolaires nécessaires pour que les obligations familiales ne soient pas vite déclarées incompatibles avec le travail de la femme. Avec les menaces sur l’université, que restera-t-il de nos espoirs et de la marche des femmes vers la citoyenneté ?
- Il y a aussi le débat actuel sur le code de la famille...
Ce code inégalitaire, contradictoire avec la Constitution, est à abroger. Il réprime les secteurs de la société qui avancent, il empêche la femme, cadre ou simple travailleuse, qui a réussi à se faire respecter dans le monde des hommes, de décider de sa propre vie.
Une femme wali a besoin d’un wali pour décider à sa place de sa propre vie !!! Même les traditionalistes n’acceptent plus que leur sœur ou leur fille soit coincée dans un mariage sans issue. Bien sûr, tout progrès est le bienvenu. Mais des lois civiles égalitaires sont nécessaires.
- Que pensez-vous de ce que dit la ministre de la Famille ?
Mme Cheriet propose le débat. Mais qu’a-t-on débattu au long des quinze dernières années plus que cette question ? En 1998, Mme Mechernène proposait quelques trop modestes améliorations. Le 8 mars 2001, Bouteflika semblait nous promettre des progrès et la levée des réserves sur la convention de Copenhague. Ouyahia, ministre de la Justice, annonçait l’abrogation du code. Et là, on nous dit d’attendre l’avis des exégètes. Ce n’est pas la bonne piste. Il faut parler du droit de la citoyenne à disposer de sa propre vie dans l’Algérie de 2003. Assurer l’égalité et le respect mutuel lors du mariage et de sa rupture dans le couple en fonction des aspirations d’aujourd’hui.