La crise économique s’aggrave en Espagne

, par MONTES Pedro

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La crise économique s’aggrave, ou la décélération s’approfondit comme le dirait le gouvernement, attrapé dans un exercice de jonglerie sémantique, grotesque et inutile, dont le but est d’éluder ses responsabilités. Les données négatives tombent en avalanche, ce qui laisse peu de place pour le doute sur le fait que nous nous enfoncions dans une période de dégradation intense de l’économie, et donc, qui ne pourra pas être brève, comme le gouvernement cherche à le faire croire. La chute de la production, la chute de la consommation, l’augmentation du chômage, l’explosion de ce qui a été in fine une bulle immobilière, la hausse de l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, du déficit extérieur inarrêtable, l’excédent du secteur public réabsorbé, les restrictions de crédit, le morosité croissante de la banque, le prix de pétrole bats tous les record, les crises énergétique et alimentaire survolent le monde..., tout contribue à peindre un tableau obscur, avec des composants sociaux de bruit, de furie et de désespoir qui le rendent sombre, où n’existe aucun point de lumière pour faire croire que le tunnel a une fin.

Dans l’économie espagnole trois circonstances ou éléments de crise confluent, isolément, n’importe lequel d’eux pourrait générer une situation grave mais combinés ils donnent comme résultat un diagnostic et un pronostic inquiétant au plus haut degré.

La crise financière

En premier lieu, il y a l’instabilité financière internationale, déclanchée depuis l’été dernier par ce que l’on connaît comme la crise des hypothèques “subprime”, des hypothèques à haut risque d’impayé. Cela a commencé aux États-Unis, mais a contaminé à tout le système financier mondial et a déjà provoqué une réduction des perspectives de croissance, sans que ne soit écartée la possibilité d’événements et de perturbations beaucoup plus dangereux. Nous en avons ni connaissance ni évaluation précises, compte tenu des énigmes du manteau financier qui enveloppe l’économie mondiale et des intérêts en jeu (personne ne reconnaît sa propre situation financière comme délicate pour éviter de se voir précipiter dans la banqueroute), mais il y a un vrai problème, comme le met en évidence les réductions fréquentes du taux d’intérêt réalisées par la Réserve Fédérale et les injections massives de liquidité décidées par les autorités monétaires, pour amortir des tensions sur les marchés et pour boucher les trous financiers multiples qui surgissent et qui menacent d’écroulement le système financier actuel. Cette situation peut affecter plusieurs institutions de crédit espagnoles, de cela il y a des rumeurs, et cela exerce un impact négatif dans le climat d’une économie très globalisée comme l’économie espagnole, caractérisée par son grand endettement — la dette extérieure représente plus du double du PIB — son déséquilibre intense de la balance des paiements et sa dépendance accrues au financement extérieur.

La bulle immobilière éclate

Mais en marge de la crise internationale, le capitalisme espagnol a couvé sa propre crise, mise fondamentalement en évidence par le naufrage de l’activité du secteur de la construction et la crise immobilière. Beaucoup d’excès qui ont été commis, à tous les niveaux, dans le passé devaient inexorablement déboucher, sur une rupture abrupte du cycle et révéler le manque de solidité de la situation proclamée sans sens par le gouvernement. Les logements inhabités se comptent par millions, les invendus par centaines de milliers et continuent de s’accumuler tandis qu’ils finissent ceux déjà commencés, alors que la demande est tombée en chute libre à cause des prix – une vraie extorsion – les restrictions de crédit et la hausse des taux d’intérêt, un très grand dérèglement a été généré entre l’offre et la demande d’un bien non périssable qui prendra du temps à disparaître et marquera la conjoncture des temps suivants.

La chute du secteur de la construction entraîne beaucoup d’autres activités économiques, ce qui amène à conclure, enfin, que le modèle de croissance précédent s’est épuisé. On propose avec ingénuité de le changer pour sortir de la crise, sans tenir en compte que c’est quelque chose qui ne peut pas être décidé bureaucratiquement et être fait du jour au lendemain, car c’est un peu plus complexe que cela, essayer sérieusement, prendrait beaucoup du temps, beaucoup de ressources et plus de cohérence et de planification que ce que le système peut proposer.

D’autre part, ont surgi, avec des caractéristiques propres mais de la même nature que les risques “subprime”, des problèmes financiers relatifs aux crédits hypothécaires et au financement des sociétés immobilières, dont la croissance a tiré l’activité et la spéculation des derniers temps. Ces problèmes commencent à avoir une répercussion sur la santé de l’ensemble du système bancaire et le financement d’autres activités, qui ne sont pas toujours récupérables via l’inondation de liquidité dans le système, puisque existent des problèmes additionnels de solvabilité, de fiabilité et de risques d’impayés. L’endettement a progressé à un rythme sans comparaison avec l’activité réelle de l’économie, et en particulier celui des familles, dont la situation hypothécaire pèse excessivement maintenant sur la demande de consommation.

La crise du secteur extérieur

Á côté de ces problèmes, qui sans préjuger de leur gravité pourraient être considérés comme conjoncturels, l’économie espagnole est attrapée dans une crise structurelle dérivée de son insertion, non digérée, sur le marché et la monnaie uniques. Si la crise financière et la crise de la construction s’éclaircissent ou sont surmontées, il faudra encore faire face, sans instruments pour cela, à la crise extérieure de l’économie espagnole.

Depuis un quasi équilibre de la balance des comptes courants en 1998, à la veille de l’implantation de l’euro, en 2007 on a enregistré un déficit qui dépasse le 10 % du PIB. En valeur absolue c’est le deuxième plus grand déficit du monde, après celui des États-Unis. Ceci arrive avec une croissance relativement plus intense que celle d’autres économies de l’Union Européenne, mais aussi après une évolution économique propice pour maintenir la compétitivité, comme le révèlent, le recul de la capacité d’achat des salaires ou la précarité extrême de l’emploi. L’existence de l’euro, ou ce qui est équivalent, l’inexistence d’une propre monnaie qui détecte et traduit le déséquilibre extérieur, masque et cache les problèmes dérivés d’un déficit si énorme, mais ne fait pas disparaître les problèmes réels qu’il implique : à savoir, en premier lieu, que la production intérieure ne couvre pas les nécessités de la demande : celle-ci est satisfaite avec une importation croissante face à des biens espagnols pas suffisamment compétitifs, avec le résultat que la croissance du PIB et l’emploi du pays est plus petit que celui provoqué par la demande. En deuxième lieu, que l’économie, à cause du déficit, s’est endettée à un rythme vertigineux. Il suffit de dire que l’endettement extérieur de l’économie espagnole en 1998, qui est, la différence entre les passifs et les actifs extérieurs était de 28,8 % du PIB et qu’en 2007 ce pourcentage s’est élevé à 70 %.

La perte de compétitivité, reflétée dans un déficit de la balance du compte courant, a eu une importance non négligeable dans la précédente crise économique, celle du début des années quatre-vingt-dix (un déficit, pour le comparer à l’actuel, qui en 1991 et 1992 a « seulement » été de 3 % du PIB), mais grâce à la dévaluation de la peseta les exportations ont pu être relancées et avec celles-ci par la suite le reste de la demande. Maintenant cette possibilité n’existe pas, par ce que le problème est posé sur la table avec une gravité jamais vue.

Et maintenant...

Le gouvernement en évidence est dépassé par les événements. Cependant, il maintient un niveau bizarre de combativité pour nier ce qui arrive, tentant de se débarrasser de ses responsabilités inéluctables. Si pendant la législature précédente il s’est tant vanté, et a aussi profité, de ce qu’allait bien l’Espagne, maintenant il doit assumer la catastrophe et reconnaître qu’en grande partie c’est la conséquence d’une évolution économique perverse consentie. Avec assez d’incompétence, ils ne se sont pas aperçus de ce que l’Espagne n’allait pas bien. La composante dramatique de la crise consiste en ce que, après avoir accepté, avec tant t’enthousiasme, les postulats du néolibéralisme — l’État doit sortir ses mains « sales » de l’économie — et d’être devenu un chef de file de la construction néolibérale de l’Europe, maintenant le gouvernement est non seulement inerte pour affronter des situations de crise, après avoir été dépouillé de ses pleins pouvoirs et des instruments qu’il avait historiquement disponibles pour opérer et régler les économies, mais il est aussi ligoté par les engagements d’appartenance à l’Union Européenne, dont les directives sont souvent ni ajustées ni ne conviennent aux particularités de chaque pays.

Nous disions au commencement que le gouvernement installé dans les nuages prétendait éluder ses responsabilités. Pour être plus exact, il faudrait dire que le gouvernement n’a pas de solutions pour affronter la crise, en dehors des marges très étroites que la dépense publique peut accorder. Une crise dont les conséquences économiques sociales et politiques peuvent être épouvantables et que, depuis la gauche il faudrait tout au moins essayer de combattre, en affrontant à son tour l’évidence : que dans le cadre du marché et de la monnaie unique, il n’y a pas de solution pour la crise dans notre pays et beaucoup moins encore de place pour implanter les améliorations et atteindre les aspirations pour lesquelles on lutte. La frayeur semble être le sujet, la peur semble paralyser la pensée, mais la question sera inéluctable.

Comme un petit hommage au Che dans ces jours où nous nous souvenons du 80e anniversaire de sa naissance, nous dirons comme lui :

« Nous avons la nécessité urgente de penser : impérieusement ! ».