Plus de quinze mois se sont écoulés depuis l’effondrement des marchés boursiers consécutif à la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers aux États-Unis. Pour certains « experts », uniquement attachés à l’évolution du PIB et au redressement des indices boursiers, ce serait déjà le retour à la « croissance », le plus gros de la tempête étant désormais derrière nous. Mais, il faut se rendre à l’évidence, aucun indice sérieux de relance n’est perceptible : l’investissement productif n’a pas repris, la demande régresse partout, l’endettement et les déficits publics ont atteint des niveaux historiquement sans précédent. La crise de Dubaï dont la Bourse a perdu en deux mois 25 % de sa valeur, la situation de crise budgétaire ouverte de pays comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, les pays baltes nous rappellent que les États souverains peuvent, eux aussi, faire faillite.
Les mécanismes brutaux de la purge du système, « l’ajustement » comme disent les économistes, jouent désormais à plein. La poursuite de la hausse de la productivité de l’économie américaine en témoigne. Au troisième trimestre 2009, elle a atteint 9,5 % en rythme annuel (6,9 % au deuxième trimestre). Comment s’opère cette purge ? En licenciant des travailleurs, en abaissant leurs salaires, en réduisant la part du travail dans la production. Pour produire la même quantité de biens et de services, il faut désormais moins de force de travail. Il n’y a donc nul paradoxe à constater, dans certains pays, de manière simultanée, à la fois un redressement du PIB tombé très bas, une hausse de la productivité et une énorme augmentation du chômage. Les mécanismes de la concurrence et les impératifs de la recherche du profit maximum conduisent à fermer des entreprises ou à poursuivre leur délocalisation, à supprimer des milliers d’emplois. Nous retrouvons là les processus classiques de la crise de surproduction, analysés il y a bien longtemps par Marx, ceux de la dévalorisation-destruction du capital accumulé mais aussi celui de la force de travail seule capable de le mettre en valeur. Cet « ajustement » se poursuit dans tous les pays et dans tous les secteurs de la production, de la banque et des services.
À l’échelle mondiale, le capital avait déjà commencé à se restructurer mais le rythme s’est accéléré dans la dernière période et les fusions-acquisitions sont reparties de plus belle. Aucun secteur n’est épargné par ces restructurations et les changements de « gouvernance » qui en résultent. L’automobile en est le meilleur exemple. Des méga-fusions ou des « prises de participation réciproques » sont en cours qui ne connaissent pas les frontières : General Motors et Volkswagen, Peugeot et Mitsubishi et bien d’autres. Avec ou sans « l’aide » des États, ces fusions sont l’occasion de fermer des unités de production, d’en délocaliser d’autres dans des pays à bas salaires et donc de gagner encore en profitabilité. Il serait fastidieux d’établir ici la chronique de toutes ces opérations mais toutes les branches sont concernées : la Banque bien entendu, la production et l’énergie, mais aussi les secteurs des services et du transport, la distribution, la presse et l’édition, la production cinématographique, la mode et la haute couture. L’industrie des loisirs, des casinos et de la prostitution n’échappent pas à cette logique mondiale de rationalisation du capital. La crise environnementale et énergétique avec le « marché » du capitalisme vert qu’elle peut générer est aussi une occasion pour tenter d’exploiter de nouvelles sources de profits.
Les fonds d’investissement, les « hedge funds » qui ont survécu à la première phase de la crise reviennent en première ligne pour financer ces opérations. Ces « princes du capitalisme » comme certains avaient pu les qualifier élaborent à nouveau les montages financiers les plus acrobatiques et organisent, dans l’ombre, le bal des « grandes manœuvres » et des OPA. Les discours lénifiants des hommes politiques sur la nécessaire « régulation » bancaire, la transparence financière et la fin des paradis fiscaux ont fait long feu. « Business as usual », la spéculation a repris tous ses droits. Comme il est impossible, faute de demande solvable suffisante et de débouchés pour les biens produits, que la reproduction puisse se faire à la même échelle qu’avant, sur une base « élargie » dirait Marx, la Bourse vient à nouveau servir de support aux liquidités en quête de placement. C’est ce qui explique en partie sa remontée depuis huit mois. Non seulement les « régulations » envisagées n’ont pas été mises en place mais une directive européenne récente de libéralisation des marchés boursiers a créé le « trade gate », plate-forme « alternative » permanente de négociation des valeurs boursières, augmentant encore les risques financiers. Déjà certains économistes mettent en garde quant à la reconstitution de cette nouvelle « bulle spéculative », également alimentée par le gonflement sans précédent de la dette des États et dont les titres sont aussi négociés sur les marchés.
Vision catastrophiste de la situation ? Un récent rapport envoyé par la Société Générale à ses clients à patrimoine élevé envisage « un éventuel effondrement économique global » et conseille de s’y préparer. Comment ? En vendant des dollars et en prenant des options à la baisse sur certaines valeurs cycliques. Quelque soit la pertinence du conseil, la Banque aura au moins perçu les commissions.
Jusqu’à présent, en particulier dans un pays comme la France, les palliatifs habituels : l’assurance-chômage, les indemnisations du chômage partiel, le revenu minimum, les aides sociales et les soupes populaires avaient en partie amorti la brutalité du choc de la crise. Mais 2010 s’annonce pour les économistes comme « l’année du pouvoir d’achat », c’est-à-dire du ralentissement inévitable de la masse salariale et des retraites dont le gouvernement Sarkozy a déjà programmé une nouvelle « réforme ». Le revenu moyen de la paysannerie française a baissé en un an de plus d’un tiers. Dans ce contexte de dépression du revenu et de la demande, le surendettement des ménages a explosé (plus de 17 % d’augmentation en un an de dossiers déposés à la Banque de France) ainsi que les impayés de loyer et de charges de co-propriété . On parle maintenant de « précarité énergétique » pour plus de 2 millions de foyers en France, tous ceux qui n’ont plus les moyens de se chauffer en hiver.
Les plus grandes difficultés sont devant nous car le capital, pour continuer à extraire la richesse du travail, rétablir la profitabilité et tenter de mettre en place un nouveau modèle d’accumulation n’a d’autre issue que de détruire la valeur déjà accumulée, c’est-à-dire de remettre en cause tous les acquis sociaux du salariat. Les limites de ce pouvoir destructeur découlent directement de la résistance et de l’organisation que les travailleurs seront susceptibles de lui opposer dans une perspective qui ne peut être aujourd’hui que celle du socialisme.