La grosse colère des obstinés

, par MALIFAUD Jean

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Le mouvement de protestation contre le saccage de l’enseignement supérieur et de la recherche qui embrase depuis quatre mois les universités bute sur la fin de l’année. Face au gouvernement qui continue d’avancer ses pions, de manier provocations et répressions, la colère ne fléchit pas...
Ce mouvement n’a pas fini d’étonner !

On sait les directions syndicales toujours prêtes à se saisir des moindres reculs – ou supposés tels – pour valoriser leur action et leur pugnacité de négociateurs. On ne saurait d’ailleurs le leur reprocher quand reculs il y a... Mais force est de constater que le couple infernal VP-XD ne leur simplifie pas la tâche : Pécresse et Darcos manoeuvrent et ne lâchent rien ! Et de recul, le mouvement n’en a pour l’heure pas enregistré...
Si le mouvement enclenché par les enseignants-chercheurs (EC) en janvier n’avait porté que sur la défense de leur statut, on pourrait peut-être trouver, en grattant bien, quelques éléments pour essayer de montrer que c’eut pu être pire... Et encore, la querelle d’interprétation des différences entre le décret publié le 25 avril, pendant les vacances de printemps, sur le statut des EC et la circulaire (d’application !) arrivée à point nommé pour brouiller les cartes, fait-elle rage ! Mais pour apprécier ce que ces quatre mois de grève, d’occupation, de manifestation, de cours hors les murs, de ronde obstinée... ont obtenu, point n’est besoin d’exégèses de textes juridiques !
Le mouvement, malgré sa force et sa détermination, n’a pas réussi à enfoncer un coin dans le dispositif de contre-réformes mis en place par le gouvernement qui vise à la destruction de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) en tant que service public : concurrence généralisée entre universités et entre ses personnels, fonctionnement calqué sur celui des entreprises avec ses conséquences en terme de clientélisme et de précarité, soumission de la recherche à des impératifs immédiats de rentabilité... Or, c’est bien tout cela que les acteurs de ce mouvement voulaient mettre en échec !
Démarré contre le chamboulement du statut des EC et un projet aberrant de formation des enseignants, le mouvement a en effet très vite désigné la loi LRU et le « pacte » pour (?) la recherche comme responsables de cette entreprise de démolition du service public d’ESR. Il se confrontait donc au coeur de la politique menée par l’ovni-président avec sa brutalité coutumière... La logique de cette politique vient de loin, d’un engagement à construire un espace européen de l’ESR avant 2010 (nous y sommes), connu sous le nom de processus de Bologne, qui fut initié par le regrettable Claude Allègre, et de la stratégie de Lisbonne dont l’objectif est de faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde d’ici 2010 ».

Les convergences... façon Godot !

Enfoncer un coin dans cet édifice pour commencer à le fissurer était — et reste — un objectif élevé ! Le mouvement dans les universités, historique par son ampleur, sa détermination, sa cohésion dont témoignent les coordinations nationales successives, a mené cette confrontation. Malgré les appels à l’élargissement, à la « convergence des luttes », il n’a pas été relayé... Les stratégies syndicales – sauter d’une journée à l’autre par trimestre (en oubliant le dernier !) – sont donc en question. La défense des services publics, portée par ce mouvement, est pourtant une cause commune qui peut fédérer ! D’autant que les attaques contre l’hôpital et l’université, par exemple, sont bien similaires... La FSU, particulièrement, aurait dû être en première ligne pour assurer la convergence des ripostes « de la maternelle à l’université ». Le loupé du 11 mars laisse un goût amer ! Bien sûr, 2003 — qu’il faut bien considérer rétrospectivement comme une défaite — pèse sur les mobilisations dans l’éducation... Mais « notre fédération » aurait pu, tout de même, essayer ! De convergences, les EC n’ont ainsi rien vu venir...
On ne peut éviter d’interroger la FSU sur une question particulière : la mal nommée « mastérisation ». Faire l’économie d’une année de formation rémunérée et donc « l’économie de la connaissance (du métier) », se débarrasser des IUFM, préparer un recrutement local des enseignants et une explosion de la précarité, accessoirement introduire la zizanie dans la FSU... Le projet s’insère parfaitement dans le dispositif du gouvernement contre le service public d’éducation. Mais il n’est pas au coeur de la logique LRU. Il est de plus apparu particulièrement bâclé, fourmillant d’inepties... C’est donc certainement sur ce dossier que le mouvement pouvait le plus facilement l’emporter. Las, notre grand syndicat du 2nd degré escomptait une invraisemblable « revalo » et celui du 1er courait derrière – pour éviter le décrochage manifestement désiré par l’autre ? La FSU s’est engluée dans des « groupes de travail » précédents la commission Marois-Filatre qui devait rendre ses conclusions en juillet ; et le SNESup — que le mouvement avait retenu jusque là de s’engouffrer dans des négociations tant que VP [1] ne retirait pas ses projets contestés — s’est laissé entraîner dans cette galère... Le résultat est désolant : la commission est à peine installée que XD [2], décidemment adepte du camouflet, sort ses projets de décret ! En prime, nous héritons d’un accord entre le (si peu) Catholic Doctor et le Vatican qui confère aux instituts catholiques la possibilité de délivrer des diplômes, leur donnant ainsi par miracle le statut d’universités ! Le gang des soutanes n’a pas attendu pour livrer son chapelet de maquettes de masters « éducation »...

Rien ne sera plus comme avant ?

Si le mouvement qui continue d’enfiévrer l’Université n’a pas encore ébréché la politique de VP-XD contre l’ESR — à laquelle NS [3] tient tant ! — et l’Education nationale, il est malgré tout fort d’avoir existé dans la durée. Fort de la prise de conscience collective — une denrée rare dans ce milieu où l’institution pousse à l’individualisme — de ce qu’est le libéralisme, de la compréhension que l’ESR doit rester un service public contre leur volonté de transformer le savoir en marchandise et l’université en entreprise. Fort de sa cohésion et des structures – AG, coordinations – qu’il a forgé. Fort de son inventivité, de l’imagination qu’il a libéré. Fort des rapports qui se sont tissés entre ses acteurs...
C’est cela que VP voudrait maintenant annihiler par la répression, les sanctions, les menaces sur la validation de l’année universitaire. Les EC ont raison de refuser qu’on leur impose des rattrapages comme s’il fallait effacer la grève qu’ils ont mené ! Ils sauront collectivement assurer que les étudiants ne feront pas les frais du mouvement qu’ils assument. Et il ne faut pas penser que les diplômes seraient dévalorisés : après tout, la « qualification » qu’ils attestent n’est, comme bien des choses en ce monde, qu’un rapport social dépendant des rapports de force... ?

P.-S.

Article paru dans L’École émancipée, n° 17, mai-juin 2009, pp. 8-9.
Les notes de bas de page sont de la rédaction.

Notes

[1Initiales de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche depuis 2007.

[2Initiales de Xavier Darcos, ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville. Ce dernier a déjà été :
— ministre délégué à l’enseignement de 2002 à 2004 dans le gouvernement Raffarin aux côtés de Luc Ferry.
— ministre de l’Éducation nationale de de 2007 à 2009.

[3Initiales de Nicolas Sarkozy, président de la République française depuis 2007.

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